François NZIGOU NZIGOU, président fondateur de Nzy Green Finance Consulting se confie sur cette problématique.
Quel système de santé faut-il pour l’Afrique afin de lutter efficacement contre la pandémie covid19 ?
La pandémie de COVID-19 a parfois infirmé, parfois confirmé les évaluations initiales de l’Organisation Mondiale de la Santé des capacités des systèmes de santé à faire face à ce choc. Ces évaluations initiales sont le plus souvent basées sur des caractéristiques de l’offre de soins, et des insuffisances plus ou moins prononcées de celle-ci : manque de personnel formé, segmentation de la population, ou trop forte prééminence des plateaux techniques dans le système de santé. Selon les économistes, Mohamed Ane ; Stéphane Callens ; Moussa Khoré Traoré, (2020), l’explication des écarts constatés entre les classements des systèmes de santé dans le monde et celui de leurs performances mettent en avant seulement certains de ces travers et font appel à des éléments de contexte et le déroulement de la crise sanitaire.
La lecture globale actuelle, permet de repérer quatre types de situation pour les systèmes de santé dans le monde (Bendaoud, Callens, 2017). Une première situation type est celle d’une insuffisance très marquée de personnel de santé, ce qui se trouve dans les pays d’Afrique et d’Asie du Sud. Cette situation suscite la plus vive inquiétude pour la pandémie de COVID-19. Une deuxième situation est celle de fortes disparités dans l’accès aux soins, principalement dans les Amériques. Un troisième type de situation est celui de pays où il existe un discrédit de la médecine générale vis-à-vis d’une médecine plus technique et hospitalière. La France et la Chine appartiennent à ce groupe intermédiaire de système de santé. Enfin, les systèmes de santé les mieux notés ont su mieux équilibrer l’inscription sociale de l’accès aux soins et le rôle des plateaux techniques, et savent mieux concilier facteur d’échelle, réactivité et innovation.
Dans cette réflexion, nous allons nous intéresser au système de santé de l’Afrique en nous interrogeant sur un point essentiel : quels modèles d’organisation de la médecine de crise pour l’avenir ?
Les pays africains occupaient en date du 25 mai 2020 une position de milieu de tableau vis-à-vis de la propagation du virus Sars-CoV-2, avec quelques foyers importants de la pandémie au Nigéria et en Afrique du Sud, mais une situation générale moins dégradée qu’il a pu être légitimement être craint. Seul le président tanzanien Magufuli se déclare en opposition avec la coordination globale de l’Organisation Mondiale de la Santé et cherche ouvertement à spéculer sur les prix agricoles, proposant des denrées à prix très élevés à ses voisins confinés. Une crise interne à l’Organisation Mondiale de la Santé était issue de sa lente réaction à l’épidémie de fièvres hémorragiques d’Ebola de 2013-2015, le premier cas datant de décembre 2013 et le premier bulletin épidémiologique du mois d’août 2014. Elle avait amené une réforme de la gouvernance de l’agence, instituant l’élection pour son poste de direction en 2016 et l’amenant à se doter d’une capacité opérationnelle. Le médecin éthiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus est donc le premier directeur général élu de l’OMS.
Le bureau africain de Brazzaville de l’OMS avait défendu un rôle de l’agence strictement limité à la formation de normes, et justifiait ainsi son inaction devant la propagation d’Ebola. L’indicateur interne encore utilisé en 2013 à l’agence était tourné vers les différentes phases de l’émergence, et avait une portée plus observationnelle qu’opérationnelle. Le nouvel indicateur détaille différents niveaux de coordination avec une implication progressive des moyens de l’OMS.
L’Afrique est le continent des jeunes, et des facteurs de vulnérabilité tels que l’obésité y et les problèmes cardiovasculaires sont moins présents. Il est aussi probable que les très jeunes jouent un faible rôle dans la diffusion du Sars-CoV-2. Aussi, une population avec un âge médian de 20 ans serait moins favorable à l’existence de complications graves du COVID-19 et à sa diffusion.
La pandémie de COVID-19 est entrain de marquer et marquera sans doute une transition dans la relation entre durabilité et services de santé. Cette question de la durabilité était invoquée pour la maîtrise des dépenses de santé, lorsque celles-ci prenaient un sentier insoutenable dans la durée. Il s’agissait d’allouer de façon pérenne des ressources au système de santé, soit parce qu’elles faisaient défaut, soit parce qu’elles devenaient incontrôlables. Pour la durabilité, deux inscriptions complémentaires de la médecine dans les schémas de pouvoirs se dégagent aujourd’hui : politique de santé et médecine de crise. Les politiques de santé sont spécialisées dans des procédures parlementaires d’arbitrage budgétaire avec des politiques « extérieures » au système de santé, comme par exemple la politique d’amélioration du logement mise en œuvre par le gouvernement indien. La médecine de crise est du côté des coordinations opérationnelles, et des pouvoirs exécutifs. Les temporalités du développement durable sont celles de la cohérence dans le long terme des politiques de santé, et celles de la résilience devant des chocs biologiques pour celle de la médecine de crise.
Quant à l’Afrique, nonobstant le manque du personnel et des technologies de pointe, il faut une médecine de crise, c’est à dire de réactivité d’une part et d’innovation d’autre part. La réactivité peut se définir comme la capacité d’une organisation à anticiper et agir plus vite en cas de crise. Certes, l’avenir ne se prévoit pas, mais il se prépare à travers une vision prospective des grandes tendances qui animent le monde. La dynamique suppose ainsi une analyse des forces et faiblesses structurelles du pays, une anticipation raisonnée des menaces à éviter et des occasions à saisir. En effet, il faut savoir estimer ses forces, ses besoins pour mieux affronter des obstacles et agir rapidement en cas de crise. Les dynamiques d’anticipation (en positif) et de réaction (en négatif) des pays expliquent en partie les écarts entre eux en termes de décès du COVID-19.
Et d’autre part, L’innovation dans une crise sanitaire comprend des innovations majeures décisives, et des innovations de processus, de protocoles de traitement et d’organisation (Kasmi, 2019). Pour une maladie émergente, ou toute maladie qui ne possède pas de traitement et de vaccin, un objectif prioritaire est celui d’avoir ces innovations pharmaceutiques. Il existe environ 13 000 maladies, de nouvelles apparaissent, d’autres disparaissent à un rythme lent. Les innovations décisives érodent cet ensemble à une vitesse d’environ un par an.
Force est de constater qu’il existe un paradoxe, celui d’un rendement décroissant de la rentabilité financière dans la santé, en raison d’une faible part d’investissement consacré au domaine des maladies transmissibles, alors que le taux de succès des innovations dans ce domaine est important. Il n’existe aujourd’hui dans le monde que deux programmes de recherche de vaccin pour le SRAS, et 5 pour le MERS, les précédentes épidémies à coronavirus. Le paradoxe provient du fait que le succès du développement de traitement est bien supérieur pour les maladies transmissibles que pour les autres domaines de la santé. Mais les décisions des investisseurs ne respectent pas cette distribution de probabilité. L’investisseur, contrairement au modèle standard de l’utilité espérée, déforme les probabilités de succès en étant uniquement préoccupé par le montant du gain financier. L’investisseur est plus attiré par des domaines de la santé où les prises de médicaments sont fréquentes, répétées et régulières. De plus, les vaccins donnent plus lieu à des procédures judiciaires qui viennent diminuer les perspectives de l’industrie pharmaceutique sur cette filière. Les populations pour les maladies transmissibles peuvent être perçues comme étant du Sud et disposant de moins de ressources financières. Le développement d’un vaccin pour les fièvres hémorragiques d’Ebola a commencé au début du millénaire, puis les équipes ont été arrêtées faute de financement, et ce n’est que récemment que des grandes campagnes de vaccination ont pu être menées à bien. C’est pour cette raison que l’innovation technologique reste un moyen efficace
L’innovation technologique comme moyen efficace de la médecine de crise
L’innovation technologique devient un moyen de lutte efficace pour la médecine de crise à travers l’introduction d’un modèle alternatif du système de santé usant de la télémédecine (développement de vidéo-consultation/téléconsultation), qui permet de soulager les hôpitaux et assurer la prise en charge des autres pathologies en période de pandémie (Nys, 2020). Une telle action permet de mobiliser plus de moyens matériels et humains pour la médecine de crise afin de se concentrer sur la lutte contre la pandémie. A cette innovation, s’ajoute l’innovation organisationnelle comme moyen efficace de la médecine de crise.
L’innovation organisationnelle comme moyen efficace de la médecine de crise
L’innovation organisationnelle est également primordiale quelque soit le modèle d’administration du pays (centralisée ou décentralisée). Par exemple pour des pays occidentaux comme certains pays africains ou la démocratie est présente, la difficulté spécifique de l’État à répondre à la crise tient beaucoup à la situation intermédiaire où il se trouve : il n’est plus l’État jacobin d’hier, qui commande la politique publique à partir de la Capitale. Il doit désormais compter avec les régions, les maires, les agences indépendantes de santé, les savants… Mais il n’est pas non plus devenu un État girondin, déléguant vraiment aux collectivités locales le pouvoir de décision pour la politique sanitaire et en assurant la bonne coordination. Il délègue une partie de son pouvoir, mais en silo, les préfets et les agences régionales de santé ne se parlant peu ou pas du tout, ce qui explique en partie les difficultés des politiques de tests au début de la crise (Cohen, 2020). Il faut alors pour l’Afrique d’appliquer les bonnes politiques de santé et celle de la médecine de crise.