Les Assureurs Gabonais Face à un Déséquilibre Financier : Une Politique d’Investissement Trop Prudente ? Par Nicolas Nkabwala, Actuaire Risk Management.

Le secteur des assurances joue un rôle fondamental dans la stabilité économique en sécurisant les actifs des entreprises et des particuliers tout en contribuant au financement de l’économie. Une gestion optimisée des investissements est cruciale pour garantir la solvabilité des assureurs et renforcer la confiance des assurés. Or, au Gabon, une analyse des données financières met en lumière un paradoxe : bien que le chiffre d’affaires des compagnies d’assurance affiche une progression notable, leur capacité à couvrir leurs engagements réglementés demeure fragile. Cette situation pose la question de l’adéquation de leur politique d’investissement à long terme.

UNE CROISSANCE ENCOURANGEANTE MALGRE UN CONTEXTE DELICAT

D’après le rapport annuel de la Fédération Gabonaise des Sociétés d’Assurances (FEGASA), le secteur a connu une expansion significative en 2023, avec une hausse du chiffre d’affaires global – correspondant aux primes émises – de 117 milliards de FCFA en 2022 à 137 milliards de FCFA en 2023. Cette croissance de près de 13 % est d’autant plus remarquable qu’elle intervient dans un contexte de ralentissement économique marqué par une contraction du PIB, selon les données de la Banque mondiale. Par ailleurs, le taux de pénétration de l’assurance a progressé, passant de 1,15 % à 1,37 %, signe d’un élargissement de la
couverture assurantielle dans le pays.
Toutefois, derrière ces indicateurs positifs se cachent des fragilités structurelles. Une analyse détaillée des états financiers et des portefeuilles d’actifs des assureurs, tels que publiés par la FEGASA, révèle des déséquilibres préoccupants qui pourraient limiter la résilience du secteur face aux chocs économiques et
financiers et qui, par conséquent, méritent une attention particulière.

UN TAUX DE COUVERTURE GLOBAL PREOCCUPANT

Le rapport annuel 2023 de la FEGASA met en évidence un déséquilibre dans la politique d’ investissement des compagnies d’assurance au Gabon. Si le taux de couverture des engagements réglementés pour les assurances Vie atteint 104 %, celui des assurances Non-Vie demeure à un niveau plus faible de 85 %. En
combinant ces deux segments, les engagements admis en représentation s’élèvent à 177 milliards de FCFA, alors que les actifs représentatifs totalisent seulement 170 milliards de FCFA, soit un déficit de couverture de 7 milliards de FCFA.
Ce ratio global inférieur à 100 % soulève une question cruciale : les assureurs gabonais adoptent-ils une politique d’investissement trop prudente, moins optimisée, au détriment de la rentabilité et de la solidité financière du secteur ?

UNE RETENTION EXCESSIVE DE LIQUIDITES AU DETRIMENT DE LA RENTABILITE

Paradoxalement, malgré ce déficit de couverture, les compagnies d’assurance Vie et Non -Vie du Gabon maintiennent une part excessive de leurs actifs sous forme de liquidités. Sur les 50 milliards de FCFA déposés en banque ou en caisse par ces assureurs, seuls 18 milliards sont requis par l’autorité de régulation,
conformément à l’Article 335 du Code des assurances CIMA, afin de couvrir les échéances à court terme. Cela implique que les compagnies d’assurance gabonaises laissent 32 milliards de FCFA immobilisés dans des comptes bancaires à faible rendement, des ressources qui pourraient être plus stratégiquement
allouées pour améliorer la rentabilité et la solidité financière du secteur.

Cette rétention massive de liquidités peut s’expliquer par une prudence excessive face aux incertitudes économiques et réglementaires. Cependant, elle pose une multitude de problèmes:• Une rentabilité affaiblie : Les liquidités offrent des rendements très faibles, réduisant la capacité
des assureurs à générer des revenus suffisants pour couvrir leurs engagements. • Érosion par l’inflation : L’inflation diminue la valeur réelle des liquidités, entraînant une perte de pouvoir d’achat. • Un déficit de couverture non résorbé : En n’investissant pas suffisamment dans des actifs productifs, les assureurs ne parviennent pas à combler l’écart entre leurs engagements et leurs actifs, ce qui pourrait fragiliser leur solvabilité à long terme.
Une allocation des actifs plus diversifiée et stratégique pourrait-elle contribuer à combler ce déficit et à renforcer la résilience du marché de l’assurance au Gabon ?

UN BESOIN URGENT DE REALLOCATION DES RESSOURCES

Pour améliorer la couverture des engagements tout en optimisant la rentabilité du secteur, plusieurs stratégies s’imposent : • Une diversification accrue des investissements, en réduisant la part des liquidités au profit d’obligations, d’actions et d’actifs immobiliers. • Une approche plus dynamique de l’Asset-Liability Management (ALM), afin d’aligner plus efficacement les actifs sur les passifs et d’éviter un déséquilibre financier. • Un renforcement des investissements dans des secteurs à fort potentiel, tels que les infrastructures, l’énergie renouvelable et les obligations d‘entreprises, qui offrent une rentabilité stable tout en soutenant l’économie nationale. • Un engagement dans le Private Equity, en finançant des entreprises locales stratégiques. Un exemple concret serait un investissement dans la Société d’Énergie et d’Eau du Gabon (SEEG), qui connaît actuellement des insuffisances records dans la distribution d’eau et d’électricité. Une implication du secteur l‘assurance dans ce domaine permettrait d’améliorer les infrastructures essentielles tout en générant des revenus à long terme. • L’intervention des politiques publiques : L’État pourrait imposer aux compagnies d’assurance d’investir une part de leurs liquidités excédentaires dans l’économie locale, via des obligations d’État, des projets de développement ou des participations dans des entreprises stratégiques. Cela permettrait de dynamiser la croissance économique tout en garantissant des rendements plus attractifs pour le secteur de l‘assurance.

En repensant leur allocation de capital et en intégrant ces nouvelles stratégies, les assureurs gabonais pourraient non seulement améliorer leur solvabilité, mais aussi jouer un rôle clé dans le financement du développement du pays. L’enjeu est désormais de trouver un équilibre entre prudence et performance,
afin d’assurer une croissance durable du marché l‘assurance et de l’économie nationale.

Par Nicolas Nkabwala, Actuaire Risk Management.

Paul Essonne

Journaliste

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