Le débat de Missélé eba’a: La Françafrique et les fondamentaux: l’avenir du régime en péril.

Un proverbe bien connu des coutumes africaines dit: » un enfant, même si le sein de sa mère a la gale, il va toujours téter ». C’est grâce aux témoignages consignés dans le film documentaire  » Françafrique, 50 ans sous le sceau du secret » de Patrick Benquet que l’on peut affirmer que le pouvoir hérité par Omar Bongo est fille de la Françafrique.

En effet, c’est Maurice Delaunay, témoin majeur et ambassadeur de France au Gabon de cette époque qui livra tout le scénario qui avait conduit Omar Bongo à prendre le pouvoir à la suite de Léon Mba sans aucune élection. La Constitution avait été expressément modifiée pour les besoins de la cause avec le concours de la France. Et depuis lors, malgré les contestations électorales légitimes ou farfelues, le soutien de la Françafrique au régime de Libreville n’a pas failli.

Sur quoi et sur qui, cette jeune adolescente frappée par une puberté capricieuse, compte t’elle désormais pour survivre lorsqu’elle décida, de façon irréfléchie, de quitter le giron protecteur? En 2023, le Gabon vivra l’élection du président de la République. Le bilan de 14 ans au pouvoir est-il vendeur ? Les promesses faites et comptabilisées ont-elles été réalisées?

La santé du candidat et la température sociale sont-elles en phase? Après l’hégémonie de la légion étrangère au premier septennat et la folie des collégiens du bord de mer au second, le corps social et institutionnel est-il prêt à valider une énième forfaiture annoncée? Les fondamentaux du pouvoir en place ont-ils été honorés? Le cercle familial, l’ethnie, la province sont-ils encore prêts à donner leur caution? La franc-maçonnerie, le PDG et la diplomatie toute entière, notamment la voix de la France souvent très attendue, valideront-ils les risques d’explosion évidente qui mijotent?

Avec toutes les transgressions et les défiances qu’elle a eu à subir avec les collégiens du bord de mer, nul doute que la France entend bien monter le rejet qu’elle subit et qui est réclamé par les élites et la jeunesse africaine. Certes, le débat sur la place de la France au cœur du continent africain n’est pas nouveau, mais la multiplication des frondes qui émerge ne peut la laisser indifférente.

Au sortir des indépendances, il y avait déjà ces confrontations verbales sur le rôle que la France devait ou pouvait prétendre jouer sur le sol de ses anciennes colonies. La position de Sékou Touré, de Felix Mounier, de Léon Mba, de Félix Houphouet Boigny et un peu plus tard Omar Bongo, Thomas Sankara ou Denis Sassou Nguesso en est la preuve.

Mais toujours est-il que la France savait comment tirer son épingle du jeu de ces hostilités quelques fois brutalement exprimées. Elle se servait d’une diplomatie parallèle efficace concentrée sous le vocable de Françafrique. Avec le système des alliés certains et rassurants à l’intérieur des États africains, elle suivait à la lettre les principes du gaullisme qui a toujours pour devise « tout pour la grandeur de la France ».

Autant on peut critiquer sur le plan de la morale classique les méthodes brutales souvent utilisées par la France pour chercher à maintenir son statut de grande puissance. Même s’il faut dire que le domaine politique a sa propre morale qui est parfois amorale. Autant, il est tout à fait légitime dans cet univers concurrentiel de tout faire pour le bien-être de son peuple et le rayonnement de son pays.

Aussi, à la lecture de ces réalités évoquées, on ne peut ne pas rendre hommage à Omar Bongo Ondimba qui avait su inverser le rapport de force face l’ancienne puissance coloniale. Sans pour autant se déchirer avec la France, il était parvenu à se créer des capacités d’indépendance, hélas mal exploitées, à influencer le jeu politique français et à façonner des acteurs qui ont compté dans la vie politique française. C’est dire qu’avec un peu d’intelligence au rendez-vous, on peut arriver à des fins prometteuses et heureuses.

Par conséquent, les méthodes irréfléchies qui ont été suggérées à Ali Bongo Ondimba et qu’il a malheureusement validé sont du même ordre que les démarches suicidaires de Sékou Touré ou de Thomas Sankara. Nul doute que les mêmes causes produiront les mêmes effets. Le pouvoir de Libreville aura du mal à tenir. Le dire n’est pas être contre quiconque mais ressemble plutôt à ce médecin qui dit à son patient la gravité de sa situation médicale et sanitaire.

La France tend à perdre de sa superbe en Afrique contrairement aux fois précédentes parce qu’elle a quitté le siège des fondamentaux enracinés par les pères fondateurs de la cinquième République. Quand il n’est  plus question de la grandeur de la France avant l’enrichissement personnel des individus, plus rien ne peut être comme avant.

La Françafrique dans toute sa composition, y compris dans sa partie la plus sombre, fait partie des éléments qui ont toujours participé au rayonnement de la France. Donc vouloir jouer la morale ordinaire dans un univers qui a sa propre morale est juste de la bêtise et la course vers l’échec. Et nous y sommes désormais avec le cas de la France en Afrique. L’objectif ici n’est pas de dire que la Françafrique est une bonne chose ou une mauvaise mais de poser une réalité.

La Grande Bretagne a compris l’exercice. C’est pourquoi, il n’y a pas plus colonial que l’esprit du Commonwealth où une allégeance à la couronne est obligatoire. Elle est même une condition sine qua none pour être accepté dans cette association dite d’États souverains. Aujourd’hui, à qui les dirigeants africains du cercle francophone font-ils allégeance sachant que hier, ils la faisaient à la Françafrique. On comprend mieux cet éparpillement des brebis qui désormais se cherchent un berger éveillé.

En d’autres mots, cet enracinement aux fondamentaux a permis à la Grande- Bretagne de nourrir un modèle de contrôle efficace de ses anciennes colonies. Or, avec la Françafrique, la France, dès Jacques Chirac, n’a pas su s’adapter aux évolutions tout en préservant les fondamentaux. C’est pourquoi les bousculades d’aujourd’hui atteignent des niveaux de défiance de type malien avec une alliance russe ou gabonais avec l’adhésion au Commonwealth.

Qui aurait pu imaginer sous De Gaulle et Jacques Foccard, un AssimiGoïta du Mali faire autant de cinéma sans se prendre des torgnoles 24 heures après ses agitations entamées? Mais cela n’est possible et légitime que parce que des gens comme Jean Yves Ledrian ont servi avant tout leurs intérêts personnels et non ceux de la France.

Qui aurait pu au Gabon tenter de fanfaronner au rythme des chantages divers et variés au point d’adhérer au Commonwealth, de maintenir en prison de façon arbitraire des citoyens français, sans recevoir une menace claire de Paris qui viserait à faire compter les jours des tenants du pouvoir au sommet  de l’État? Cela n’est possible que parce que certains industriels français se sont compromis au nom de leur trésorerie personnelle au détriment des intérêts de la France d’abord.

C’est bien la preuve irréfutable que la Françafrique est mise en veilleuse même si elle peut encore faire très mal à son rejeton écervelé. Les nouveaux acteurs politiques français peinent peut-être à ressusciter ou à reproduire les méthodes efficaces jadis utilisées par leurs pères mais dans leur passivité affichée, ils peuvent encore se montrer toxique pour le pouvoir de Libreville. C’est une évidence.

Autant pour un AssimiGoïta et son régime, la France aura un peu plus de mal à lui coller un procès en sorcellerie, même si la méthode Sankara reste la dernière option pour régler son cas, autant pour le cas Gabon, le niveau de compromission du pouvoir en place, enraciné dans les affaires les plus détestables de corruption et de fraudes diverses, d’illégitimité politique et de précarité généralisée de la majorité  de la population font qu’il n’y a pas grand effort à fournir pour favoriser l’ascension d’un nouveau maître des horloges. A cela, l’état de santé fragilisé d’Ali Bongo Ondimba n’arrange pas les équations compliquées en présence.

Dans ce constat établi, la France pèche et perd en influence parce qu’elle a marginalisé les fondamentaux du gaullisme dont la Françafrique était l’un des bras armés. Le pouvoir gabonais s’est mis en danger parce qu’il a oublié son histoire, son passé. Il y a des réformes dans notre pays que le régime actuel ne peut nullement engager sans laisser ses plumes.

En adhérant au Commonwealth, le pouvoir gabonais, tendance Ali Bongo, s’est coupé de sa source d’énergie. L’électroencéphalogramme du régime  de Libreville s’annonce inévitable plat dans les temps à venir. Son existence ou sa résistance étant fonction des manœuvres de la Françafrique dont il a quitté le giron protecteur. Autrement dit, le régime en place s’est toujours maintenu au sommet de l’État parce qu’il savait qu’il y avait une force supérieure au dessus qui veillait et qui agirait au moment opportun.

D’ailleurs, un proverbe africain bien connu dit » lorsqu’un jeune insulte un vieux reconnu puissant, c’est parce qu’il compte ou a été envoyé par un autre vieux, encore plus puissant ». Le régime de Libreville aura du mal à forcer la main en 2023 sans prendre le risque de vivre la jurisprudence Gbagbo. La Grande-Bretagne n’ayant pas encore ses racines sur nos terres.

Enfin, une des plus grandes fragilités du pouvoir en place est que le problème constaté est bel et bien circonscrit. L’adversaire ou l’ennemi commun au système semble désormais identifié. La France, Guy Nzouba Ndama, Paulette Missambo, Alexandre Barro Chambrier ou les potentiels candidats encore assis silencieusement dans les rangs du pouvoir peuvent dire avec des arguments recevables qu’Ali Bongo Ondimba n’a pas respecté les codes de sauvegarde du système. Et la boucle sera bouclée. Le manque de respect des fondamentaux a toujours été fatal.

En clair, on ne récolte que ce qu’on sème. Comprendra qui pourra.

Par Télesphore Obame Ngomo

Paul Essonne

Journaliste

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