Le débat de Missélé eba’a: Commonwealth, allons-y.

Dans le cadre de l’opération Mamba, cette activité politico-judiciaire anti-corruption visant à faire le point sur les dégâts financiers du premier septennat d’Ali Bongo Ondimba, circonscrit dans un premier temps à la stricte justice gabonaise, c’est Guido Santullo lui-même qui décida de conduire l’affaire devant les tribunaux parisiens. La principale  raison qu’il donnait, légitime ou pas, reposait sur le fait qu’il disait ne pas faire confiance à la justice gabonaise. Ironie de l’histoire, c’est pourtant bien devant les tribunaux français qu’il avait lui-même choisi qu’il fut débouté et condamné.

Après l’adhésion du Mozambique dans le Commonwealth en 1995, c’est en 1997 à Edimbourg, lors de la réunion des chefs de gouvernement que des critères plus précis furent adoptés pour faire partir de cette association volontaire de 56 États souverains.

Tout d’abord (1), il faut accepter les principes adoptés à Harare en 1991 concernant la démocratie, la liberté, la non discrimination raciale. (2) Puis, être un État souverain. (3) Il faut reconnaître la reine Elizabeth II comme chef du Commonwealth. (4) Ensuite, accepter l’anglais comme langue de communication du Commonwealth. (5) Enfin, il faut respecter les vœux de la population sur l’adhésion au Commonwealth.

En observant ces critères, chacun peut, à son niveau, en son âme et conscience, se demander si le Gabon était réellement qualifié pour intégrer cette organisation. Mais là n’est plus le sujet puisque l’instance décisionnelle a jugé recevable la candidature du Gabon. Toutefois, d’aucuns ont le droit de s’interroger sur le sérieux de cette organisation et les réelles visées de cette instance décisionnelle. En d’autres mots, était-ce une véritable décision de raison ou plutôt une provocation de Londres, après le coup tordu des sous-marins australiens?

Sur la démocratie, la liberté et la non discrimination raciale, le Gabon a encore du chemin à parcourir. L’histoire politique de notre pays est suffisamment éloquente à ce sujet. Les crises post-électorales récurrentes depuis le retour au pluralisme politique sont les preuves tangibles de la fragilité de notre système démocratique. D’ailleurs, le principal problème que la France a avec de nombreux peuples africains est qu’elle est accusée, à tort ou à raison, de soutenir des familles régnantes qui spolient leurs peuples.

C’est dire que, si on s’en tient à la réalité sociologique de notre pays qui est majoritairement dans l’opposition du fait des conditions de vie exécrable du plus grand nombre, et à l’esprit des principes du Commonwealth, le pouvoir en place au Gabon a de bonnes raisons de fortement s’inquiéter pour son avenir politique au sommet de l’État. Après le coup de l’adhésion au Commonwealth par les locataires du palais présidentiel, nul doute que la France privilégiera d’abord sa relation avec l’opinion publique. Or, c’est elle qui détient le souffle de vie des pouvoirs établis décriés. Si certains ne le savaient pas ou l’auraient oublié, ils l’apprendront à leur dépens.

Sur la question de la liberté, la France fera moins l’autruche et pourrait réagir avec une extrême violence dans le but de bien démontrer que ce sont les actuels tenants du pouvoir politique qui sont les véritables ennemis des principes de liberté et de démocratie qu’elle prône et respecte bien chez elle. Par conséquent, la problématique des arrestations abusives et arbitraires  enregistrées ces dernières années et dénoncées par la commission des droits de l’homme de l’ONU, notamment celles des citoyens français, pourrait connaître une voie moins diplomatique. La gestion de ce problème pourrait largement dépassée le simple cas des frères Laccruche Alihanga. Un coup pour régler tous les problèmes à la fois.

Dénoncer l’hégémonie de la France au Gabon pour ensuite faire allégeance à la Reine Elizabeth 2 du Royaume-Uni ne rassure pas si tant était que l’ambition des décideurs gabonais était de s’affranchir des tutelles colonisatrices. Ce symbole d’allégeance d’un État souverain à une autorité, fut-elle royale, donne l’impression d’un retour à une nouvelle forme de colonisation. Ce qui ne peut être du goût des souverainistes gabonais ou des combattants de la libération totale du Gabon du joug des diverses légions étrangères.

Enfin, avec tous les milliards de francs CFA que notre pays a eu en terme de budget depuis les indépendances, jamais nos dirigeants successifs ne sont parvenus à (1) construire suffisamment d’écoles, (2) former un nombre conséquent de professeurs de français, (3) apprendre la langue française à tous les gabonais. Comme dans une séance de magie, c’est maintenant l’anglais qu’on devrait considérer comme la principale langue du pays, conformément aux exigences de cette sorte de charte du Commonwealth? Cette manière de faire se confond aisément à l’expression « placer la charrue avant les bœufs. Le Gabon et son peuple ne sont pas encore prêts pour se conformer à l’esprit du Commonwealth. Ce n’est nullement une injure si on vient à le dire. Les faits sont vérifiables par tous. Il y a des établissements scolaires dans le Gabon où des élèves n’ont jamais eu de cours d’anglais jusqu’en classe de troisième. Et c’est institutionnaliser l’anglais qu’on réussira ?

Aucun référendum ou aucune consultation populaire n’a été organisé pour proposer ou faire adhérer le peuple gabonais à ce projet de Commonwealth. La preuve est que très peu de gabonais saurait dire qu’est ce qu’on gagnerait en adhérant au Commonwealth. Autrement dit, combien de gabonais peuvent parler avec précision du Commonwealth? Combien peuvent égrainer les offres diverses que proposerait le Commonwealth? Qu’est ce qui sera différent du modèle de jadis, c’est-à-dire de la francophonie?

C’est dire qu’en réalité, nous sommes plutôt face à la volonté de quelques gens au sommet de l’État qui n’acceptent plus le leadership de la France mais préfèrent désormais se soumettre au diktat de l’Angleterre. Comme disent les francs-maçons  » tout dans la vie est symbole ». C’est bien à Londres que le président de la République a posé ses valises. C’est bien au Gabon, en 2022, qu’un anglais, de père et de mère, se trouve dans le gouvernement de la République.

Finalement, dans toute cette histoire, le peuple reste le grand spectateur de ce combat du pot de terre contre ce vaste gisement de fer. Malheureusement pour la partie gabonaise, l’issue de ce bras de fer est déjà connue car, les liens historiques multiples avec la France ne laissent pas de place à des alliances autres non mutuellement consenties. C’est ça la réalité.

Jamais dans l’histoire de la France avec le régime de Libreville, les relations n’auront été aussi exécrables. La détention arbitraire de deux citoyens français ajoutée à l’adhésion au Commonwealth suffisent pour affirmer que le divorce est consommé entre le pouvoir d’Ali Bongo Ondimba et les alliés de toujours. Nul doute que le retour d’ascenseur sera amer. On ne peut avoir autant de français dans la garde républicaine et à tous les étages du palais présidentiel et se sentir a l’aise avec un discours antifrançais. L’incohérence est trop grossière et suicidaire. Une chose est certaine, jamais l’alternance au sommet de l’État n’a été aussi possible. Le pouvoir est à porter de main pour qui saura manœuvrer.

Tous les présidents français de la cinquième République, même François Mitterrand, ont quelque chose en commun: le gaullisme. Ils travaillent d’abord pour la grandeur de la France. C’est-à-dire pour son rayonnement international et le maintien de sa place de grande puissance. Aussi, lorsqu’il s’est toujours agi de la politique étrangère, toutes les forces politiques ne parlent que d’une seule voix. Les faits sont là et les exemples légions.

Emmanuel Macron vient d’être réélu à la tête de la France. Il vient d’avoir une majorité, certes pas absolue à l’assemblée nationale, mais majorité tout de même. Cette configuration politique n’est pas nouvelle dans l’histoire politique de la France. D’ailleurs, elle n’est pas pire que la cohabitation. Et pourtant, c’est bien durant ces moments de cohabitation que les présidents français ont le mieux fait vivre le gaullisme. Autrement dit, pendant que le gouvernement se concentre sur les problèmes des français, le président de la République lui s’occupe de la France.

Emmanuel Macron qui entend entrer dans l’histoire est bien conscient du procès en sorcellerie qui est fait à la France dans certains espaces en Afrique. C’est sans conteste qu’il saura apporter sa voix au nom de la France devant les peuples qui attendent sa part de vérité. Qui spolie qui en réalité et où se situe la responsabilité de chacun? Telle est la vraie question qui permettra à tous de se faire une idée claire de qui devra partir: la France ou les présidents africains jugés corrompus et incompétents?

Si les contrats entre les entreprises françaises et les États africains peuvent être critiqués en terme de part à gagner, ils sont tout de même légaux. Les parties africaines qui ont signé ces contrats auraient pu dire non comme l’ont fait Sékou Touré ou Thomas Sankara au nom de leurs ambitions pour l’Afrique ou leurs pays respectifs s’ils n’étaient pas d’accord. Si nos dirigeants ont accepté de signer lesdits contrats en l’état avec les entreprises françaises, c’est qu’ils étaient d’accord de poser cet acte. Il n’y avait pas d’enfants de 5 ans sur les tables de négociations. Que chacun assume pleinement ses responsabilités au lieu de toujours trouver les responsables de nos turpitudes ailleurs.

Par ailleurs, quels sont les textes ou les lois officiels qui donnent le droit à nos dirigeants de s’accaparer des richesses de nos pays qui nous appartiennent à tous? Cette attitude n’est ni légale, ni légitime. Par conséquent, on est objectivement en droit de se demander quelle est la légitimité de ces dirigeants d’ouvrir des procès de cette nature contre la France sans espérer y laisser leur tête?

Est-ce la France qui demande à nos dirigeants de planquer des milliards dans les paradis fiscaux au lieu de faire des routes, de construire des hôpitaux ou des écoles? Est-ce la France qui demande à nos responsables d’avoir des parts dans toutes les plus grandes entreprises du pays? N’est-ce pas avec la poussière des miettes que nous donnerait la France que certains gouvernants parviennent à s’enrichir pour être à l’abri du besoin pendant des siècles et des siècles avec toute leur famille?

Face à ces réalités vérifiables, l’africain sérieux et consciencieux serait même tenté de dire  » heureusement que la France ne donne pas une part plus importante, celle-ci n’aurait jamais servi au développement du continent mais serait sans aucun doute allée dans les comptes de ceux qui nous gouvernent « . Sinon, quid de l’argent du covid-19 par exemple? Est-ce encore la France qui a demandé de voler l’argent public qui devait servir à sauver des vies? De quoi on nous parle? Pourquoi subitement la France devrait devenir notre ennemi? Est-ce parce qu’elle aurait refusé un funeste projet qui ne rendait nullement hommage à la République et à ses principes?

Cette fois-ci, personne ne manipulera quiconque. A la lecture de l’histoire de notre pays, le Commonwealth est la dernière chose qui aurait dû être conseillée au pouvoir gabonais comme les juridictions françaises étaient les seules à ne pas proposer à Guido Santullo. C’est dans le Commonwealth que les ONG et la société civile ont une puissance dévastatrice. Transparency international qui a bousculé Omar Bongo Ondimba a certes été créée par un allemand, Peter Eigen, mais ses cofondateurs appartiennent pour la plupart aux pays membres du Commonwealth. C’est dire…

Les actes que pose le copil citoyen intéresseront le Commonwealth car, dans la plupart de ses pays membres, tous ceux qui se sont amusés avec l’argent du covid-19 se sont retrouvés condamnés. Là où la France aurait dénoncé sans forcément aller jusqu’à la condamnation. A chacun ses méthodes ou ses modes opératoires.

En 1990, lors des élections législatives dans notre pays, le parti démocratique gabonais d’Omar Bongo n’avait eu aucun député dans le Woleu-Ntem. Attristé et agacé par cette ascension fulgurante du Morena des Bûcherons, parti politique de l’opposant Paul Mba Abessolo, le président de la République convoqua les principaux responsables politiques du septentrion. C’est alors que le Ntem ouvrit le bal des audiences avec Simon Essimengane qui était jadis quatrième vice premier-ministre. Omar Bongo de lui demander  » alors Simon, même pas un seul député?

Simon Essimengane répondit  » Monsieur le président, l’affaire du Bûcheron dans le Woleu-Ntem est comme un homme qui vient de prendre une deuxième épouse. Celui-ci n’a plus d’oeil ou d’oreilles que pour cette dernière jusqu’au jour où elle lui montrera son mauvais visage. Et là il se souviendra de la première épouse, le PDG « .

Autrement dit, la France n’a pas à rougir de cette adhésion du Gabon dans le Commonwealth. Connaissant l’ADN des dirigeants gabonais et l’esprit même du Commonwealth, c’est avec certitude qu’on peut affirmer que la lune de miel ne durera que le temps d’un clin d’œil. Plusieurs pays, à l’instar du Zimbabwe de Mugabe, portent bien la mention « anciens membres du Commonwealth. D’autres sont même appelés « membres suspendus ». C’est dire qu’au réveil, certains se souviendront du « pacte » entre la France et le Gabon. Mais pour l’heure, Commonwealth, allons-y.

Par Télesphore Obame Ngomo

Paul Essonne

Journaliste

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