Icône ou héros : les Gabonais ont besoin de repères.

La mort à 73 ans de l’ancien Président ghanéen Jerry John Rawlings le jeudi 12 novembre 2020 dernier, annihile un puissant fantasme. Tout comme la disparition à 87 ans, du Dr Marcel-Eloi Rahandi Chambrier le 27 novembre 2020. Avec eux, le rêve collectif d’une euphorie, d’une émotion, disparait.

La frustration est immense, car c’est par un élan convoquant la sémantique messianique, qu’une icône est rattrapée par ses démons. D’un coup de sang, elle peut transgresser une vertu consubstantielle, l’idéal du contrôle de soi. Elle a lavé son propre honneur et ainsi trahi le solidarisme, la loyauté, l’exemplarité, valeurs dont elle censée être dépositaires.

En effet, dans un moment d’absence le héros doit donc reconnaître sa propre humanité, sa propre faiblesse et, sachant l’étendue de son sacrifice, accepter et, d’une certaine façon, endosser son débordement émotif. En somme, saisi par son désir d’idole, son culte de la victoire, le corps social gabonais est fautif. Alors, il lui faut payer le prix du vertige et du passif. Le fait est que le chant choral du récit médiatique légitime l’imprévisibilité et excuse souvent l’agressivité. Le héros peut être une brute, un être cruel. Le héros idéalisé a beau-être vertueux, il confond en lui les qualités du saint et du guerrier, du génie et du guerrier, au besoin des trois. Ainsi ses éventuels déficits de contrôle de soi sont‑ils banalisés ou implicitement justifiés.

Au final, une icône est à la fois l’Autre et un modèle frappant d’insertion et d’ascension sociale. Cette complexité le dédouane. L’incomplétude du héros, nous ramène à sa part d’humanité, à ses failles, à ses blessures. Le héros n’est jamais aussi grand que lorsqu’il a connu des triomphes et des tempêtes, la certitude et le doute, le sacre et l’échec, qu’au besoin il a flirté avec la mort, connu la défaite, de cruelles défaillances, commis parfois des erreurs, des outrages autant d’épisodes qui lui donnent chair et font la saga. Le héros vaut donc autant par ses excès, son impulsivité que par son génie et ses fêlures.

L’icône ne participe pas de la médiocrité sociétale. Elle est donc imprévisible et inimitable. En somme, elle est unique et géniale jusque dans l’égarement. Elle reprend son destin en main, ce qui n’est pas à la portée de tous et ce par quoi, encore, elle montre sa force de caractère, son inaliénable liberté, et reste un modèle.

Le principe de célébration, c’est aussi préserver le mythe dans une complaisance partagée, ne souhaitent pas souiller l’icône. Dès lors, la voix minoritaire des critiques est noyée dans le chant choral de la rédemption. Nul n’ignore que l’ivresse, le vertige, la passion intersubjective sont éphémères. Or, cela suppose de neutraliser les paradoxes et les errances par l’empathie, la coresponsabilité, la dette et le pardon. L’icône est canonisée par une société incapable de renier son idole. Le héros qui endosse une souffrance prouvant qu’il est en mesure de guérir celle des hommes.

Face à ce constat, force est de s’interroger sur l’histoire et la sociologie des politiques du pardon, un champ finalement assez peu exploré à ce jour alors qu’il est au cœur de nombreuses affaires et débats contemporains, dans le champ politique gabonais notamment.

Sevrée d’idéologies et de figures transcendantes, l’opinion gabonaise se réfugie ainsi et volontiers dans la célébration de l’identité gabonaise et de la soif de mythologies dans un Gabon qui n’en produit plus guère et qui, souffrant de cette vacuité, troque volontiers ses désillusions contre n’importe quel miroir aux alouettes.

Serge Kevin Biyoghe

Rédacteur en Chef, Journaliste-Ecrivain, Sociétaire de la SCAM (Société Civile des Auteurs Multimédias), membre de la SGDL (Société des Gens De Lettres), membre du SFCC (Syndicat Français de la Critique de Cinéma), membre de l'UDEG (Union Des Écrivains Gabonais).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *