Gabon : « Qui après Ali Bongo ? (en réponse à l’Edito de Jeune Afrique n°3116 de septembre 2022) » par Etienne Francky Meba Ondo.

Un proverbe bien connu des Africains nous enseigne en disant : «Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, l’histoire de la chasse glorifiera toujours le chasseur.»

Le Sage à l’origine de cette pensée ne pensait pas si bien dire. Puisque le magazine Jeune Afrique se permet en permanence une déformation de l’histoire politique racontée à ses lecteurs sur tant de pays africains, notamment le Gabon. En effet, l’éditorial signé de Marwane Ben Yahmed, dans sa parution n°3116 du mois de septembre 2022, est un vicieux message subliminal, qui sous-entend que l’opposition gabonaise a perdu l’élection présidentielle de 2016.

Pour foncer le trait, l’éditorialiste fixe un lourd plafond de verre sur la tête du prochain challenger du candidat du Parti Démocratique Gabonais (PDG) en 2023, en réduisant ce prochain scrutin présidentiel à la seule volonté de remplacer l’ancien candidat Jean Ping dans sa posture actuelle.

De quoi se demander si Marwane Ben Yahmed prédit déjà pour 2023 une réédition des événements dramatiques de la présidentielle de 2016 ? Evénements qui ont conduit le PDG à inverser l’avantage des suffrages en faveur du candidat Jean Ping par des manipulations frauduleuses qu’accompagnait l’assaut meurtrier de son QG de campagne.

A aucun moment dans son analyse, le « spin-doctor » des palais présidentiels africains ne s’interroge sur la transparence et la sincérité du scrutin. A aucun moment, il ne se demande : « Pourquoi le Gabon, qui comptait officiellement 627 805 électeurs en 2016 pour 373 310 votants, était-il incapable de rendre publics les résultats de l’élection au soir du jour du vote, comme cela se fait dans tous les pays démocratiques du Monde ? »

Alors que le vote s’était déroulé le 27 août 2016, ce ne sera que quatre jours plus tard que les résultats étaient rendus publics, soit le 31 août au soir. Le temps évidement pour Ali Bongo Ondimba et l’administration électorale qui lui est totalement assujettie de s’inventer de faux résultats. Ce fut notamment le miracle de la province du Haut-Ogooué.

Le rapport publié par la Mission d’observation des élections (MOE) de l’Union Européenne sera clair à ce sujet : « Dans le Haut-Ogooué où la MOE a relevé un processus de consolidation particulièrement opaque et des anomalies au niveau des commissions électorales, le taux de participation tel que publié par le MdI (Ministère de l’Intérieur) est de 99,93%, avec 95,47% des suffrages pour le président sortant. Le taux de participation au niveau national, sans le Haut-Ogooué, s’évalue à 54,24%. Le nombre d’abstentions et des bulletins blancs et nuls dans une seule des 15 Commissions électorales locales (CEL) de cette province est supérieur à celui annoncé pour l’ensemble des 15 CEL de la province. Ce constat remet en question l’intégrité des résultats de la province. Il est à noter que les résultats de cette province ont inversé la tendance constatée par la mission sur la base des résultats annoncés par les gouverneurs des huit autres provinces du pays. Ces anomalies mettent en question l’intégrité du processus de consolidation des résultats et du résultat final de l’élection ».

En lieu et place de ces constats objectifs, Marwane Ben Yahmed choisit de fantasmer sur les ambitions de potentiels candidats de l’opposition, alors que celle-ci avait déjà résolu cette équation en 2016, en se choisissant, bon gré mal gré, un « candidat unique » sous la demande et la pression des populations qui veulent se débarrasser du système de gouvernance d’Ali Bongo Ondimba.

C’est dire si ces Gabonais, qui souhaitent majoritairement vivre une alternance politique au sommet de l’Etat, n’avaient jeté leur dévolu sur la candidature de Jean Ping que par rejet légitime et justifié de celle d’Ali Bongo Ondimba. Ce, au regard notamment de son médiocre bilan à la tête de l’Etat.

A ce stade, rien n’exclut que les électeurs, les partis et les acteurs politiques de l’opposition soient en mesure de rééditer l’exploit de 2016 en 2023. Doit-on rappeler à Marwane Ben Yahmed que ce n’était que le 16 août 2016, soit 11 jours avant le jour du vote, que l’opposition se choisissait son « candidat unique » ?

Mais, aujourd’hui conscients de ce que le débat essentiel ne se situe plus dans le seul choix d’une candidature unique, ces acteurs de l’opposition ont soumis aux autorités compétentes des propositions de réformes électorales, après que la Cour constitutionnelle, par la voix de sa présidente Marie-Madeleine Mborantsuo, le leur suggère le 24 février dernier, lors de l’audience de rentrée solennelle de son institution.

Comme pour emboiter le pas aux acteurs politiques, un Congrès de la société civile, tenu les 23, 24 et 25 août derniers, a mis en place un Consortium de ses organisations pour des élections transparentes et apaisées en 2023. Pour ce faire, cette entité dénommée COTED-GABON s’est doublement engagée pour de nombreux plaidoyers auprès des institutions nationales et internationales, et pour des campagnes de sensibilisation électorale au profit des populations.

Telle est la chronologie des faits que Jeune Afrique élude pour distraire les opinions sur des débats exclusifs de personnes.

Que Marwane Ben Yahmed interroge le silence des autorités gabonaises sur cet ensemble de choses. Qu’il interroge le silence du ministre de l’Intérieur qui, à moins de 12 mois de la prochaine élection présidentielle, n’a toujours pas fait de communication sur la moindre initiative allant dans le sens de préparer des élections plus crédibles. D’ailleurs, de nombreux Gabonais demeurent sans cartes nationales d’identité. De même, la révision de la liste électorale, qui doit se faire chaque année, est placée sous le sceau d’une opacité sans appel.

Non, Marwane Ben Yahmed ! Votre obsession à distraire les masses sur des débats de personnes ne trompera pas grand monde ici au Gabon ! Peut-être devrions-nous vous rappeler que nous étions présents à Accra au Ghana, le 11 juillet 2009, lorsque l’ancien président américain Barack Obama déclarait, en trouvant l’assentiment de nombreux Africains démocrates, que : « L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, elle a besoin d’institutions fortes ».

S’il nous était alors ici permis de porter la voix de cette opposition gabonaise que nous fréquentons bien mieux que vous, nous vous dirions tout aussi que : « Les Gabonais n’ont pas besoin d’un opposant fort, ils ont besoin d’institutions fortes — qui respectent l’expression réelle de leurs suffrages. »

Personne ne veut remplacer Jean Ping. Ce dernier a joué et jouera peut-être encore sa partition avec le soutien de ceux qui pensent à juste titre que le médiocre bilan de gouvernance d’Ali Bongo Ondimba est suffisant pour se demander :

« Qui après Ali Bongo ?»

Étienne Francky Meba Ondo

Dit Meboon Môôn Meba Ondo

Paul Essonne

Journaliste

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