Le Palais de Justice de Libreville a reçu moins de monde aujourd’hui que précédemment lors de ses audiences à caractère « politiques »: pas de dispositif de sécurité impressionnant, l’accès à la salle d’audience est libre… comme à l’entrée d’un marché.
L’ancien Directeur de Cabinet du Président de la République a comparu ce mardi 15 juin 2021 devant la Cour d’Appel, suite à l’appel interjeté via ses avocats contre le jugement rendu le 3 mai 2021. Ce dernier portait sur la compétence du tribunal correctionnel à statuer sur l’obtention frauduleuse du certificat de nationalité de BLA…
Dès l’ouverture du procès, l’un des avocats de BLA Me Anges Kevin Nzigou, va faire des observations à la Cour. Il dit que, depuis la dernière audience, il n’a pu avoir accès à son client à la prison centrale, que les droits de la défense sont violés.
Le Parquet Général va répondre à la Cour qu’il n’a rien à dire suite aux observations de l’avocat.
Mme la Présidente de la Cour d’appel, sous un ton péremptoire, va répondre à l’avocat que nous sommes ici pour savoir pourquoi vous avez interjeté appel et non sur ce qui se passe à la Prison centrale, vous voulez plaider ce dossier ou pas ?
L’audience s’embrase sur les chapeaux des roues.
Il faut rappeler que BLA est, dans cette audience, poursuivi pour obtention frauduleuse des documents administratifs, et non pas pour les autres affaires de détournement pour lesquelles il a été placé en détention préventive en 2019.
Ce délit d’obtention frauduleuse des documents administratifs est puni par l’article 122 du Code Pénal gabonais.
Mais cette audience de la Cour d’appel n’a pas pour but de dire si BLA est coupable ou pas.
Il s’agit essentiellement d’aborder la question de l’incompétence du Tribunal Correctionnel. Autrement dit, les avocats de BLA doivent dire à la Cour pourquoi le Tribunal Correctionnel est incompétent à juger BLA sur le faux et usage de faux .
Me Jean Paul Moumbembé sera le premier avocat à plaider.
Il va soulever comme moyen l’incompétence du Tribunal sur le fondement des articles 445 et 446 du Code Civil gabonais.
Car les documents de BLA qualifiés de faux et usage des faux sont des jugements et certificats de nationalité délivrés par des magistrats assermentés.
Me Jean Paul Moumbembé va faire lecture de l’article 445 du Code Civil, qui dispose: » les tribunaux civils sont seuls compétents pour statuer sur les actions relatives à la filiation. » Il va enfoncer le clou avec l’article 446 “il ne peut être statué sur l’action pénale contre un délit qui porte atteinte à la filiation, qu’après un jugement définitif sur la question de la filiation. »
Selon l’avocat, puisque le certificat de nationalité porte sur la filiation, BLA ne peut être jugé par le Tribunal Correctionnel que si et seulement si les documents de BLA sont d’abord reconnus comme étant « faux » par le Tribunal Civil. Dès lors, l’avocat demande à la Cour de respecter la loi en déclarant le Tribunal Correctionnel incompétent.
La non-rétroactivité de la loi va être l’un des moyens soulevés par Me Anges. En effet, selon le jeune avocat, l’acte pour lequel son client est poursuivi date de 2004, alors que c’est en 2020 que le législateur a réprimé l’acte.
Me Anges va ajouter que le procès-verbal de l’enquête préliminaire des officiers de police judiciaire (OPJ), qu’il est clairement mentionné dans le rapport d’enquête préliminaire de la Direction Générale de la contre ingérences et de la sécurité militaire ( B2), en date du 10 février 2021, « l’absence de toutes infractions quant aux suspicions des préventions de faux et usage de faux qui planait sur Monsieur Brice Laccruche Alihanga. »
Comment le Procureur de la République peut-il poursuivre encore mon client alors que les OPJ qui ont mené l’enquête préliminaire disent qu’il n’y a pas d’infraction ?” S’interroge le jeune avocat.
Quant à Me Irénée Mezui Mba , il ne va pas aller du dos de la cuillère, il dira à la Cour que le fait que le Tribunal Correctionnel ait rejeté sa demande sur la comparution des Magistrats qui ont rendu les décisions des actes administratifs querellés constitue une violation flagrante des droits de la défense.
Me Mezui a réitéré sa demande de la comparution de Messieurs Raphaël Mvou Tistsamba, Ongama Fulgence, Alex Mombo et Kikson Kiki Patrice, tous Magistrats.
Silence du Parquet tout au long de l’audience. Pas de question ni d’observation. Cela suscite des suspicions dans la salle. “Le Ministère Public va-t-il suivre les plaidoiries des avocats de BLA ?” Murmure une bouche près de ma petite oreille.
Place aux réquisitions du Parquet Général.
Sur le premier moyen soulevé par Me Moumbembé, le Ministère Public va reconnaître qu’il s’agit bel et bien d’une question de filiation.
Sur le moyen soulevé par Me Anges, le Parquet Général va dire que le délit de faux et usage de faux est une infraction continue, que dès lors on ne peut parler de rétroactivité de la loi ni de prescription. Quant aux rapports d’enquêtes préliminaires des OPJ qui ont conclu qu’ il n’y a pas matière à poursuivre BLA, le Parquet Général va dire que le Ministère Public n’est pas tenu aux PV des OPJ et que c’est le Procureur qui qualifie ou requalifie les infractions.
S’agissant du moyen soulevé par Me Irénée Mezui Mba, l’avocat Général va noter que les Magistrats cités, dont Me Irénée sollicite la comparution; sont presque tous des « Parquetiers, » et en cette qualité, ils ne peuvent rendre des décisions, ils donnent seulement des avis, précise le Ministère Public.
Le Ministère Public va donc conclure ses réquisitions en demandant à la Cour de rejeter toutes les exceptions soulevées par les avocats de BLA.
BLA toujours debout à la barre, lève sa main – signe pour demander la parole. Mais cela ne semble pas être du goût de la Présidente de la Cour, qui rechigne à lui donner la parole.
C’est après l’ intervention de Me Moumbembé, que la Présidente va donner la parole à BLA. Ce dernier dira: « je n’ai jamais établi des documents, si j’ai des faux documents, ce sont les personnes citées qui ont établi ces documents, donc ils doivent venir nous dire pourquoi ils ont fait des faux documents. »
L’audience est suspendue, la Cour se retire. Les avocats sont stupéfaits d’apprendre que la décision va être rendue séance tenante.
Justice expéditive ? Une autre mauvaise langue murmure toujours prêt de mon oreille » Bientôt le Conseil Supérieur de la Magistrature, quel juge va oser déclarer le Tribunal Correctionnel incompétent ? »
La Cour réapparaît après 3h de temps d’attente. Elle va délibérer à 16h46:
« Déclare en la forme l’appel interjeté par les avocats recevable, renvoie la cause et les parties devant le premier juge »
En français facile, BLA va être jugé par le Tribunal Correctionnel de Première Instance pour l’obtention frauduleuse des documents administratifs.
Mais aussitôt Me Jean Paul Moumbembé demande à la greffière de noter au plumitif qu’il va se pourvoir en cassation.
La bataille judiciaire sur la compétence du Tribunal Correctionnel est donc loin d’être finie…