Il faut déjà regretter d’entrée que l’incident de la PAF avec l’ivoirienne Yann BAHOU, qui continue de diviser les gabonais en déchaînant les passions, n’aie pas à ce jour amené la DGDI ou sa hiérarchie, à réagir pour mieux fixer les esprits. On se demande si deux jours ne suffisent pas pour enquêter et faire la lumière sur des faits qui se sont déroulés dans un espace circonscrit à un moment bien précis et durant une heure d’astreinte. Nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes.
Rien que ce silence inexplicable des services concernés après un tel ramdam médiatique, paraît déjà curieux. Mais au delà, il me paraît nécessaire de bien clarifier toutes les supputations et toutes les arrières pensées qui fondent les opinions dans ce débat public devenu une affaire d’états. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt les réactions abondantes des uns et des autres sur les réseaux sociaux et de ces réactions, j’ai vu que deux camps s’opposent dans l’appréciation des faits querellés.
Le premier camp condamne sans ambages les faits tels que rapportés par la victime estimant que rien ne justifie un tel comportement de notre PAF. Le deuxième camp au contraire condamne la victime au motif que son récit serait incohérent et tendancieux. De ces deux positions irréconciliables découlent des amalgames qui méritent qu’on s’y attarde pour démêler le fil de l’écheveau et comprendre véritablement ce qui est en jeu dans ce débat.
Ce qui est en jeu, ce n’est pas comme veulent le faire croire certains, (1) la propension de certains gabonais anti patriotes à vilipender systématiquement leur pays, ou plutôt (2) celle d’autres gabonais à le défendre urbi orbi, au nom d’un patriotisme ou nationalisme débordants. Ce qui est en jeu, c’est véritablement l’incident diplomatique entre deux nations sœurs, qui peut naître de ce type de faits et qui peut produire pour leurs ressortissants respectifs, des dommages collatéraux incalculables.
Si l’on veut véritablement être juste dans cette affaire, il faut commencer à identifier où se situe l’erreur dans la trame de cette rocambolesque histoire dont on aurait pu se passer. Et la question préjudicielle à se poser est: doit-on traiter un voyageur qui arrive sur nos frontières aériennes avec un visa délivré par l’ambassade du Gabon avec une telle brutalité? De cette question préjudicielle découlent de nombreuses autres questions subsidiaires suivantes :
Primo, cette dame a-t-elle obtenu son visa à l’ambassade du Gabon? Si oui, l’ambassade du Gabon l’a-t-elle informée des dispositions à prendre pour se rendre au Gabon? Le bon sens nous commande de constater qu’une ambassade ne délivre pas un visa sans s’être assuré que le détenteur de ce visa a fourni tous les documents administratifs nécessaires. La PAF veut-elle nous dire que l’ambassade n’a pas joué son rôle et a manqué de vigilance? Si tel est cas, la faute incombe-t-elle à la victime?
Secundo, si donc notre ambassade lui a délivré un visa en bonne et due forme qui la classe dans la catégorie des voyages privés, pourquoi se serait-elle munie d’un ordre de mission qu’on lui a demandé à postériori? Dans la même logique, si l’autorisation spéciale que certains arguent pour justifier son rapatriement ne lui a pas été demandée à l’ambassade, comment en aurait-elle eu connaissance pour en détenir un une fois aux frontières gabonaises? La PAF a-t-elle des instructions différentes ou contraires à celles de l’ambassade?
Tertio, par delà ces aspects purement administratifs, quoiqu’on ait eu à lui reprocher à la PAF, n’était-il pas nécessaire, dans un souci de pédagogie et aussi de courtoisie, de lui dire clairement ce qui lui était reproché? Et en cette occurrence, le grief qui semble lui être fait est celui d’être soupçonnée d’être journaliste alors qu’elle-même se revendique d’être animatrice. N’y a-t-il pas une nette différence entre ces deux métiers?
Quarto, s’il est permis pour certains olibrius de confondre le métier de journaliste et celui d’animateur, peut-on nous dire depuis quand les journalistes étrangers sont-ils interdits de visite au Gabon? Quand bien même ce serait le cas, cet argument spécieux s’écroule dès lors que l’ambassade du Gabon lui a délivré un visa en bonne et due forme. Qu’elle ait été rapatriée manu militari, au mépris des documents légaux délivrés par notre ambassade, n’est rien de moins qu’une bévue qui s’est transformée en bavure par le traitement inhumain qui s’en est suivi?
Fort de ce qui précède, je crois qu’il faut avoir le courage de dénoncer les abus quand on les reconnaît. Ces faits sont dans la forme et dans le fond, inadmissibles et donnent une image rétrograde de notre pays. Ils sont par ailleurs irresponsables car ils exposent nos compatriotes qui voyagent à travers l’Afrique au principe de la réciprocité. Tenter de noyer son chat en déplaçant le sujet sur le plan politique et nationaliste, c’est faire preuve de mauvaise foi et c’est tenter d’esquiver la vérité. La seule vérité qui tienne c’est qu’il est plus que temps que la discipline, la compétence et l’humanité soient (ré) introduits à nos frontières aériennes pour que notre pays continue d’être digne d’envie.
Serge Abslow