« Ma lettre ouverte à la jeunesse gabonaise » dixit Serge Abslow .

Jeune gabonais, très cher compatriote,

Je me permets de t’adresser cette lettre, du haut de mes 52 ans, pour te mettre devant quelques réalités qui semblent encore échapper à ta conscience. À mon âge, le temps qu’il me reste à vivre est infiniment plus petit que celui que j’ai déjà vécu. Je n’ai donc presque plus rien à perdre, à part ma liberté et peut-être ma vie, puisque de toute évidence, certains peuvent en décider.

Je t’adresse cette lettre ce matin, avec l’espoir qu’elle finira par te parvenir, aujourd’hui, demain ou après-demain. Je ne puis me résoudre à croire que tu vivras encore les mêmes tristes réalités que j’ai vécues dans ce pays durant plus d’un demi-siècle, la dernière decennie étant la pire de ce demi-siècle. Si ma génération est définitivement passée à côté de son destin dans un pays riche de toutes sortes de richesses, c’est parce qu’elle a été trop attentiste et surtout trop couarde.

Alors, je viens te dire ce matin de ne pas laisser ton avenir te filer entre les doigts. Il est plus que jamais entre tes mains. Il ne dépend donc que de toi-même et de ta capacité à exiger le meilleur à tes gouvernants. Comme ceux de ma génération, ne laisse plus jamais les autres décider pour toi. Ne permets plus qu’on te trompe et te roule dans la farine comme nous nous sommes laissés berner.

Car regarde ce qu’ils ont fait de ton pays malgré toutes leurs promesses. A chaque élection, tu leur as fait confiance. A chacune d’elles, ils t’ont promis de bonnes écoles qui n’existent nulle part; ils t’ont promis des universités qui n’existent nulle part; Et non contents de celà, ils ont coupé ta bourse d’études pour que tu sorte du système scolaire et universitaire; Et quand tu as pu obtenir un diplôme au forceps, même l’emploi qu’ils t’ont promis est introuvable.

Comme toi, des dizaines de milliers de jeunes gabonais dans les 9 provinces, sont assis à la maison avec leurs diplômes dans la valise, incapables de trouver le moindre emploi et même le moindre bricole. Vous êtes aujourd’hui près de 30% de notre jeunesse à chercher un emploi. Et même ceux qui travaillent peinent à joindre les 2 bouts. Parce que les salaires sont insignifiants devant un coût de la vie de plus en plus prohibitif.

Tu ne peux loger correctement ta famille car même les logements sociaux qui t’étaient destinés sont accaparés par les-mêmes bonimenteurs; tu ne peux scolariser tes enfants correctement car la scolarité dans les meilleurs établissements est trop onéreuse; tu ne peux soigner convenablement tes enfants car les meilleurs soins de santé te sont inaccessibles ; Quand tu arrives à assurer ces trois choses, il ne te reste plus rien pour nourrir correctement ta famille.

Le plus triste dans tout çà, c’est qu’aucun de tes voisins ne peut te venir en aide, car, comme toi, eux aussi ont leur lot de problèmes et tirent aussi le diable par la queue. Ces sampiternels problèmes d’intendance domestique qui empêchent la majorité des gabonais de dormir paisiblement, tant les lendemains sont toujours incertains. Et vous vivotez ainsi dans votre pays sans réelle perspective d’avenir.

Mais en face, quand tu regarde ces politiciens bonimenteurs, eux mènent grand train. Ils roulent dans les belles voitures; ils vivent dans les belles maisons; ils mangent dans les beaux restaurants; ils ont de belles femmes et aussi de belles maîtresses qu’ils entretiennent avec l’argent qu’ils te prennent; Parfois, ils te prennent même ta femme; Et pour continuer à avoir ces privilèges indus, ils massacrent aussi tes enfants dans des rites sacrificiels.

Et pourtant, ils font tout celà avec ton argent. Oui, ton argent! L’argent du pays que tu as en partage avec eux, mais dont ils sont les seuls à profiter des immenses richesses. Sais-tu pourquoi ils ont ce privilège? Parce que toi-même tu le leur as permis. Tu leur as fait confiance aveuglément, et tu as été naïf de croire qu’ils t’aimeraient plus que eux-mêmes. Pour cette naïveté, te voilà réduit à la condition de mendiant dans ton propre pays.

Quelle ironie d’être contraint de mendier ce qui t’appartient! Oui, tu as été naïf toutes ces années. Et comment et pourquoi as-tu été naïf? Simplement parce que tu n’as pas su défendre tes droits, en croyant que quelqu’un d’autre le ferait pour toi. Qui d’autre que toi-même peut penser à toi? Voilà, ceux à qui tu as confié ton destin et aussi celui de tes enfants, se sont moqués de toi parce que pour eux, tu n’es qu’un idiot, un naïf, un sot et maintenant ils te voient comme un esclave.

Et pourtant, ces gens à qui tu as sous-traité ton bonheur ne sont ni plus intelligents, ni plus malins, et par consequent pas plus méritants que toi. Ils ont seulement été plus roublards et plus vigilents que toi des enjeux de ton pays, hier, aujourd’hui et peut-être demain. Ils ont compris que pour avoir une part de gâteau au repas des noces, il faut être parmi les convives. Ils faut être assis sur la table des invités.

Mais toi, plutôt que d’aller à la table des noces à laquelle Dieu lui-même t’a prédestiné, tu as concédé ce droit naturel à ces politiciens menteurs et bonimenteurs. N’est-ce pas normal qu’ils mangent ta part du festin? N’est-ce pas légitime qu’ils s’accaparent ce que tu as refusé de t’approprier? Au nom de quoi te plains-tu si tu as toi-même renoncé aux mannes que la providence a accordées à ton pays?

Jusques à quand continueras-tu d’être le spectateur d’un film dans lequel tu devrais être l’acteur? Jusques a quand continueras-tu de couvrir, d’applaudir, de nourrir les mensonges de ces gens qui prolongent pourtant ta souffrance? Jusques à quand continueras-tu de pardonner et d’aimer tes bourreaux? N’est-il pas tant de prendre enfin en mains ton destin pour changer ton avenir desormais incertain?

2023 c’est déjà demain, mon fils! Feras-tu encore la même erreur? Les mêmes choix? Resteras-tu toujours cet éternel naïf? Redeviendras-tu cet idiot utile à leur cause? Et te complairas-tu dans cette posture d’esclave dans laquelle on t’a confiné dans ton propre pays? Ou choisiras-tu enfin d’être libre? Souviens-toi qu’André Mba Obame paraphrasait William Shakespeare en ces termes « quand un esclave décide d’être libre, ses chaînes tombent ».

Je t’invite à méditer cette phrase et d’en comprendre le sens, pour que ton choix soit demain le choix de ta libération et de ton émancipation. Je t’invite à une introspection profonde afin que tu sorte de ta torpeur et que tu n’appartienne jamais demain, comme nous, à une autre génération de quinquagénaires frustrés, désabusés, brisés et infiniment malheureux. Triomphes, jeune gabonais, de ta couardise et vas à la conquête de ta dignité.

Le Gabon, ta patrie égarée, galvaudée, bradée, malmenée, saccagée… a plus que jamais besoin de toi. De simple compatriote, deviens ce patriote acharné qui ne laisse pas choir sa patrie à la merci des flibustiers et aventuriers de la politique. Jeunesse gabonaise, lèves-toi et reprends possession de ton pays. Puisse cette sagesse chinoise t’inspirer plus de courage que la génération de tes pères à laquelle j’appartiens : « si l’on ne peut appeler patrie un pays où l’on ne possède rien, comment nommerait-on celui où l’on est esclave? ».

Serge Abslow

Paul Essonne

Journaliste

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