Lettre ouverte de Philippe César Boutimba à Alain Claude Bilie By Nze, Premier ministre, sur le mutisme instinctif des pouvoirs publics après chaque assassinat de concitoyen à l’étranger.

Monsieur le Premier Ministre,

Je viens ici vous exprimer ma grande frustration et ma totale incompréhension devant la tranquilité politique de votre gouvernement et la sérénité de votre hiérarchie, après le lâche homicide de Mademoiselle Jeannah Danys Dinabongho Ibouanga, une gabonaise âgée de 18 ans dont la dépouille a été repêchée samedi 25 mars 2023 dans la ville universitaire de Karabuk en Turquie. Les premiers éléments ébruités par les journaux gabonais et africains font état de viol et d’assassinat, manifestement sous les sceaux de la xénophobie et de la haine anti-nègre.

Ici au pays comme partout à l’étranger, notre société civile, nos activistes politiques, nos acteurs culturels et nos concitoyens lambda sont « vent debout » contre cette ignominie, ils sont massivement renforcés par des panafricanistes de toutes nationalités et par les diasporas subsahariennes de Turquie. Pendant ce temps au Gabon, la plupart des 101 partis politiques sont dans une surdi-mutité frisant l’indifférence et l’arrogance. Eux qui viennent pourtant de croûter une allocation financière ponctionnée sur les impôts des familles de la disparue. À leur identique, Monsieur le Premier Ministre, votre propre institution, votre majorité parlementaire et même le cabinet de votre patron n’ont toujours pas daigné publier des protestations contre ce quantième meurtre crapuleux. Des silences politiques qui ne sont pas nouveaux dans ce pays, mais qui coïncident avec un comportement dénoncé par nos sociétés anciennes. Vos concitoyens nzebi appellent ça « yiku », c’est-à-dire une infirmité morale, un manquement grave et un détestable trait de caractère.

En effet, Monsieur le Premier Ministre, notre classe politique n’est pas à sa première faute en la matière. Le 12 décembre 2020, le jeune Ketch Stessi Oboro Anjilakuono, étudiant en dernière année de pharmacie à l’Université de Piatigorsk en Russie, avait été retrouvé mort dans son pays d’accueil. Dans sa parution en ligne du 28 décembre 2020, le journal Gabon Media Time apprendra aux populations que le cadavre de Ketch était rentré au Gabon ligoté des mains et des pieds, tous ses vêtements avaient été trempés dans le sang, l’arrière de sa tête avait été complètement ouvert, au niveau de son cœur il y avait une longue déchirure qu’on avait tenté de recoudre, et son corps avait été renvoyé en Afrique non pas dans un cercueil mais dans une caisse de zinc. Face à toutes ces insultes contre la dignité d’un nègre et contre le respect dû à un enfant de la République Gabonaise, les opinions publiques subsahariennes s’étaient révoltées contre ce crime et contre ces humiliations racistes, mais les gouvernants gabonais n’avaient jamais été à la hauteur, parmi eux un ministre des affaires étrangères que vous connaissez mieux que quiconque, Monsieur le Premier Ministre. D’abord notre mission diplomatique établie en Russie avait manifestement regardé ailleurs pendant que les cosaques insultaient la dépouille de notre enfant. Le ministre d’État n’avait convoqué ni l’ambassadeur gabonais en Russie, ni l’ambassadeur russe au Gabon. Ensuite notre parlement n’avait pas interpelé le chef de la diplomatie sur cette question. Enfin le conseil des ministres n’avait rien dit sur l’affaire. Donc aucune condamnation, aucune protestation et aucune demande d’explication.

Sur les colonnes du journal Gabon Media Time, Monsieur Basile Oboro, père de Ketch, avait souligné ses « multiples échanges avec l’Ambassade de Russie » établie au Gabon, mais aussi et surtout le « silence méprisant » de notre ministère des Affaires étrangères face aux multiples sollicitations de la famille. Basile Oboro terminera ainsi son propos: « Je demande le soutien du président, qu’il prenne les dispositions pour que la Russie rende des comptes ». Quinze mois plus tard, le parquet de la République n’a toujours pas renseigné les populations sur une éventuelle instruction judiciaire, et le cabinet du Chef de l’État est demeuré discret sur cette affaire macabre. Pendant ce temps,  Monsieur le Premier Ministre, vous faites voter le Gabon à l’ONU pour le bien de la Russie. En échange de quoi, Monsieur le Premier Ministre?

Quatre ans et demi avant Ketch, précisément le 8 mars 2015, le jeune Yonnel Janvier Imbimbi Sika avait été retrouvé abandonné sur un parquet de basket de la ville de Guangzhou en Chine, où l’étudiant gabonais de 27 ans était inscrit en licence. Malgré les sollicitations de la famille, de la diplomatie gabonaise et de l’ambassade de Chine au Gabon, le gouvernement de l’empire du milieu refusera de pratiquer une autopsie sur le corps de la victime. Lorsque Yonnel fut rapatrié le 25 mars 2015, le Parquet de Libreville aurait dû logiquement commettre la fameuse nécropsie refusée sur le sol chinois, pour confirmer ou infirmer les rumeurs persistantes d’agression à caractère raciste. Il paraît qu’en Chine, le seul péché de Yonnel Sika aurait été d’être à la fois « noir et talentueux ». Yonnel est malheureusement entré dans sa dernière demeure sans que le pouvoir judiciaire de son pays démontre l’utilité de la mention JUSTICE sur la devise du Gabon. Des concitoyens proches du dossier évoquaient dans les réseaux sociaux des pressions chinoises épouvantables sur la famille éplorée, pour que celle-ci laisse tomber l’affaire. Là encore le gouvernement n’avait rien fait pour aider les faibles à obtenir la vérité de la Loi, peut-être pour se conformer à la doctrine politique du Grand Camarade qui disait autrefois préférer « l’injustice au désordre ».

Monsieur le Premier Ministre,

Le temps nous manquerait pour mentionner de nombreux autres cas d’injustice que vous connaissez mieux que moi, dans lesquels nos pouvoirs publics ont montré leur totale impuissance devant des cultures xénophobes, hautaines, arrogantes, méprisantes et suffisantes; des cultures millénaires qui répugnent notre couleur de peau et vraisemblablement notre drapeau, des régimes politiques auxquels votre cinquantenaire hégémonique s’obstine à abandonner l’exploitation de nos précieuses ressources naturelles, le pillage méthodique de nos réserves halieutiques et la construction de nos infrastructures routières, de nos fleurons institutionnels et de nos temples sportifs, au détriment du portefeuille et de la sécurité des travailleurs et de la comptabilité publique. N’y a-t-il donc aucune fortune endogène capable de bénéficier de ces largesses politiques? Jusqu’à quand vos concitoyens devraient-ils continuer à subir ces récidives politiques, diplomatiques, économiques et judiciaires? Monsieur le Premier Ministre, je suis venu avec le désir d’interpeller votre Nationalisme. Un illustre français dont les idées politiques ont gagné toute la classe politique hexagonale avait dit ceci: « Si le Patriotisme est l’amour de la Patrie, le Nationalisme est l’amour de la Nation ». Monsieur le Premier Ministre, nos juges coutumiers d’autrefois disaient que le vieillard qui jette son bâton en présence d’un serpent doit se préparer à mourir.

Dans le vif espoir de votre souscription, je vous prie de croire, Monsieur le Premier Ministre, en l’expression de ma très profonde considération et de ma très grande affection.

Philippe César Boutimba Dietha

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