Le débat de Missélé eba’a : Les conditions du chaos réunies.

« Qui sème le vent récoltera la tempête » nous enseigne un proverbe populaire. Que les choses soient dites de manière précise, ici et maintenant, afin que nul ne vienne dire qu’il n’avait pas été informé, alerté ou conseillé. De la situation catastrophique qui s’annonce, il convient de pointer du doigt sur l’ensemble des décisions ou des choix faits par le pouvoir en place pour mesurer le degré de mouise dans lequel il pourrait se retrouver dans peu.

Autrement dit, qu’est-ce que le pouvoir en place a semé, durant tout le septennat, sur le plan politique, institutionnel, financier et humain qu’il soit maintenant en droit de récolter ?

Si on veut faire simple, sans regarder avec précision, les différents programmes de société présentés depuis 2009, on dira tout simplement, est ce que les gabonais ont désormais les routes praticables, les hôpitaux modernisés, les écoles compétitives, le système éducatif adapté au présent contexte, alliant tradition et modernité, une baisse significative du chômage, un taux de violence relativement bas, de meilleures conditions de vie pour la majorité, une dignité préservée, le respect du Gabon d’abord des pères fondateurs de notre Nation qu’ils méritent ou qui leur a été promis?

A ces questions posées, il revient à chacun d’y répondre objectivement, en son âme et conscience. Ce n’est qu’après avoir coché toutes les cases que la question du bail du locataire du palais de la rénovation pourrait être renouvelé. Il ne peut en 2023 en être autrement. Le monde entier évolue et apporte avec lui tout son lot de changements et d’exigences auxquels nos dirigeants devraient faire face ou s’y conformer.

Si certains, après avoir souhaité et signé l’acte de décès de la Françafrique, pensent qu’ils pourront encore tricher aux élections et tuer impunément des innocents, ils apprendront à leurs dépens la rigueur de la justice internationale. Laurent Gbagbo en a fait l’amère expérience. Loin des siens et vivant dans des conditions particulièrement pénibles pour un homme de pouvoir, il regrette de ne s’être pas soumis à la sagesse qui lui présentait pourtant tous les signes de la fin de son règne. Les sanctions des États-Unis contre le groupe Wagner devraient interpeller plus d’un.

Et dans le contexte de notre pays, toutes les conditions semblent désormais réunies pour sanctionner les dirigeants qui pensent qu’ils peuvent continuer à squatter abusivement les arcanes du pouvoir, sans aucune légitimité. Les fauteuils de la Cour pénale internationale (CPI) les attendent. Ce n’est d’ailleurs pas anodin si le dossier Gabon qui concerne les violences post-électorales d’août 2016 n’a finalement pas été classé. Le langage diplomatique a ses codes. Comprendra qui pourra.

Comment peut-on refuser de s’occuper du bien être de son peuple et penser qu’il va continuellement accepter d’être conduit vers des sentiers de plus en plus incertains sans que la révolte n’explose ? Qui, dans le pouvoir en place, a eu la folle idée de vouloir s’accrocher au pouvoir tout en se lançant dans une version électorale expérimentale aussi risquée, trois élections organisées en même temps ?

Les élections générales dans notre pays sont une nouveauté. Comment peut-on les imaginer sans heurt après sept années passées dans l’incertitude permanente et une culture systématique de la violence ?  Comment vont-elles se dérouler de façon pratique ? Comment va se passer le vote dans les différents bureaux ?  Combien de bulletins de vote prendra un seul électeur et comment fera t-il dans l’isoloir pour choisir le président de la République, le député et la liste des locales si on s’en tient au mode de scrutin défini dans le code électoral ? Rien ne semble clair pour le moment. Mais il faut savoir qu’on ne récolte que ce qu’on sème.

Si pour une seule élection déjà, certaines institutions de notre pays en charge de cette problématique, pourtant expérimentées, découvrent à chaque fois de nouvelles et différentes réalités, qu’en sera-t-il pour trois élections cumulées avec un président de la République sortant, fragilisé par la maladie, détenteur d’un bilan peu vendeur et des va t-en-guerre comme conseillers, en plus inexpérimentés ?

Que faut-il attendre d’un parti démocratique gabonais décomposé et divisé ? Jamais dans l’histoire de ce parti, l’illégitimité des acteurs qui l’animent ou l’incarnent n’a été aussi marquée et pesante. Le premier ministre, chef de la majorité, le président de l’Assemblée nationale, celui du Sénat ainsi que les différents présidents des groupes parlementaires desdites assemblées peuvent-ils nous dire s’ils ont été associés à la nouvelle configuration du PDG à la veille des élections générales ?

Des indiscrétions concordantes nous assurent que non. A cette réunion déterminante, il y avait le directeur de cabinet adjoint du président de la République, dont le militantisme serait embryonnaire voire imaginaire. Le directeur de cabinet du distingué camarade. Celui-ci concentre toutes les passions vengeresses de nombreux cadres du Haut-Ogooué, humiliés et marginalisés. Le Secrétaire général du parti qui est un véritable imposteur. Ce dernier ne comprend absolument rien au fonctionnement du PDG. Enfin, un certain Ian Ghislain Ngoulou, ressortissant du pays de Dénis Sassou Nguesso ayant acquis la nationalité britannique après avoir dissimulé ou déchiré son passeport gabonais, acquis dans des conditions douteuses, Jean Sylvain Mandza et les archives du CEDOC ne diront pas le contraire.

Connaissant le passé et le passif des acteurs précités, la suite peut aisément être imaginée. On ne récolte que ce qu’on sème.

Dans le même temps, on a une opposition recomposée et prête à tout pour enfin arriver au pouvoir. Si le cœur de nombreux cadres du PDG et de l’opposition modérée bat au même rythme que celui de Paulette Missambo, celui des opposants déterminés et des cadres du PDG déçus et frustrés suit le rythme cardiaque d’Alexandre Barro Chambrier qui n’affiche aucune complaisance à l’égard des dérives du pouvoir en place. Ces deux écuries politiques en compétition affutent leurs armes. Cependant, une petite prime revient au camp d’Alexandre Barro Chambrier qui semble mieux organisé.

De la détermination de la majorité du peuple, c’est justement cette élection à un tour qui boostera sa volonté de vivre dans de meilleures conditions. Aussi, on note une convergence d’amertume entre les militants des différents bords politiques. Ce qui est extrêmement dangereux pour le pouvoir en place. Et ce n’est pas avec un seul doigt, fut-il éloquent et intelligent, que la donne changera. L’intelligence et l’éloquence de Blé Goudé n’ont pas suffit à faire rester Laurent Gbagbo à la tête de la Côte d’Ivoire. Qu’en sera-t-il du génie du premier ministre combattu par ses propres amis de la majorité ? On ne récolte que ce qu’on sème.

En faisant le choix des élections générales dans notre pays, comment peut-on avoir un organe chargé desdites élections constitué de personnes peu expérimentées en la matière ? Une jurisprudence ivoirienne, celle qui a fait chuter Laurent Gbagbo tend vraiment à se dessiner. Rien qu’à la lecture du calendrier des élections, on a noté de nombreux balbutiements. Ce qui n’est pas très rassurant pour l’avenir où la pression et les attaques personnelles déstabilisantes et vérifiables seront à leur comble. On ne récolte que ce qu’on sème.

Au niveau sécuritaire, les différents chefs de corps, lors des vœux au chef de l’État, chef suprême des armées, n’ont cessé de déplorer le manque de moyens de leurs unités. Que se soit en matériel roulant, en effectif humain ou en moyens financiers, la carence est palpable. Comment vont-ils faire pour gérer les trois élections cumulées ? Qui a mesuré le moral ou l’état psychologique de nos forces de sécurité et de défense pour savoir si elles seront prêtes à offrir leur poitrine afin de défendre le régime en place, ingrat et égoïste?

Comment va-t-on mobiliser des soldats, se plaignant d’injustice dans les troupes et plongés dans une précarité indescriptible, elles qui ont les mêmes revendications profondes que celles des potentiels casseurs ? Les journées des forces de sécurité et de défense auraient été plus pertinentes si elles s’étaient penchées sur les problèmes qui tuent le patriotisme du soldat. On ne récolte que ce qu’on sème.

Sur le plan politique, comment les nouveaux dirigeants du PDG peuvent décider de rendre public, à quelques semaines des élections générales, le nouveau visage du parti où ne peuvent régner que des grincements de dents, des colères et des frustrations ? Ce choix du calendrier politique est tout simplement suicidaire. Il en est de même pour le calendrier électoral.

Le dernier délai de dépôt des candidatures expose et soumet le président de la République, désormais candidat, à la rude épreuve du combat politique, lui qui n’a plus été présenté devant les médias locaux ou ses adversaires depuis son retour de Rabat. Ce rideau va-t-il enfin être levé ou c’est une campagne électorale à la Bouteflika qui s’annonce en parfaite contradiction du discours vantant sa bonne forme. On ne récolte que ce qu’on sème.

Qui, pendant une élection, peut obliger un militant déçu de battre campagne pour un candidat en qui il ne croit pas ? N’est ce pas l’heure d’une conspiration assurée, donc d’un échec garanti ? Et ce type de situation foireuse est légion sur l’ensemble du territoire national. Quelle majorité peut-on espérer avoir dans ces conditions ? Quid des enrôlements des militants du PDG ? Quel budget a été dégagé pour les besoins de la cause ?

Quel ministre ou cadre du parti, candidat investi, fera la campagne du président de la République à Libreville alors qu’il a sa propre élection compliquée à gagner en province ? Attention à la jurisprudence Gilles de Robien, ministre de Nicolas Sarkozy et maire d’Amiens qui, malgré ses 19 ans à la tête de cette municipalité et le fait que sa ville ait été élue la mieux gérée de France dans sa catégorie, il fut battu par un novice de la politique, Gilles Demailly, à cause de son soutien au président de la République qui cumulait déjà trop de maladresses.

Est-ce à dire qu’enfin, les Jessy « Ella Ekogha », Mohamed Ali Saliou, Emmanuel Lerouel, Akim Daouda et leurs compères battront le bitume pour défendre leur bilan aux côtés d’Ali Bongo Ondimba ? Jouir des ors de la République a un prix. On ne récolte que ce qu’on sème.

Qui peut imposer à un militant ou à un parti allié déçu par les nouvelles orientations du parti de claquer la porte sans que cela n’ait la même résonnance que les départs qu’on a salué dans les autres formations politiques ? Le Haut-Ogooué, fief du PDG vient de sonner le tocsin. Sur le plan de la symbolique, c’est très révélateur du climat qui règne dans le parti d’Omar Bongo. On ne récolte que ce qu’on sème.

Quand on choisit de donner le sourire à Poutine et à la Chine en faisant méditer Joe Biden et l’Occident, ça se paie cash au moment de la reconnaissance de son élection à l’international. Lorsqu’on décide de quitter le giron français pour s’investir dans le Commonwealth, il faut au moins être conscient qu’on parle plus le français que l’anglais au Gabon. À chacun de se faire une idée de l’influence qu’a encore la France au Gabon. On ne récolte que ce qu’on sème.

En donnant à l’opposition l’opportunité de se coaliser sans trop se déchirer, chacun pouvant trouver sa place pour faire exister son parti ou son profil au moment de cette élection générale, le pouvoir a servi une aubaine inouïe à ses adversaires. Le jeu des alliances insoupçonnées entre certains de l’opposition et de la majorité est à prévoir. Paulette Missambo et Alexandre Barro Chambrier constitueront des points de chute certains, officiellement ou officieusement, pour ceux qui ne se reconnaîtront plus dans les lignes du parti de masses. On ne récolte que ce qu’on sème.

Et que dire des partis politiques de la majorité qui ne se reconnaissent nullement dans le management approximatif et ridicule de Steeve Nzegho Dieko piloté par les collégiens du bord de mer ? À quel moment la majorité au pouvoir s’assiéra avec ses partenaires pour décider de travailler ensemble pour les différentes élections à venir ? La sortie de la majorité présidentielle du Centre Libéraux Réformateurs (CLR) de Jean Boniface Assélé, oncle maternel du président de la République, est un symbole tout aussi fort que les premières démissions du PDG enregistrées dans le Haut-Ogooué.

Les nouveaux dirigeants du PDG doivent savoir que face à Paulette Missambo et à Alexandre Barro Chambrier, ils gagneraient à traiter différemment les cadres et sympathisants du parti. Ces derniers n’ont pas de problème entre eux. Ils auront désormais le même ennemi politique : la mauvaise gestion du parti et celle du pays. On ne récolte que ce qu’on sème.

Pour s’offrir un avenir politique, Jacques Chirac avait dû lâcher Valéry Giscard d’Estaing en soutenant discrètement François Mitterrand. Pour retrouver la normalité dans la fonction présidentielle, les cadres de l’UMP avaient préféré voter pour François Hollande au détriment de Nicolas Sarkozy. L’expérience des autres peut constituer des bons cas d’école. On récolte toujours ce qu’on aura semé. Toutes les conditions visant au chaos en cas de passage en force électoral sont réunies.

Par Télesphore Obame Ngomo

Président de l’OPAM

 

Paul Essonne

Journaliste

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