Le Gabon vit dans une tension sociale palpable. Pendant combien de temps encore le pouvoir d’Ali Bongo Ondimba pourra contenir la grogne des Gabonais. Temps difficile donc pour le Gabon et l’on s’interroge sur les turpitudes du gouvernement Julien Nkoghe Bekale qui, durant la période des vaches grasses, où un baril de pétrole était vendu à plus de 150 dollars, n’a su anticiper une chute des cours de l’or noir. Et voici venue la période des vaches maigres pour le Gabon et l’on se demande où sont passées les réserves de fonds qui devraient être constituées pour les générations futures.
Ainsi va l’Afrique des pouvoirs sclérosés. A force de perdurer aux affaires. Ils ne manquent pas seulement d’initiatives novatrices ; ils manquent jusqu’au bon sens qu’enseigne l’adage : « gouverner, c’est prévoir ».
Mais quoi qu’il en soit, les démons de la rébellion ont décidément la peau dure au Gabon. Car, visiblement, le calumet de la paix est sur le point de se briser.
Le Gabon d’hier, avec son maillage inextricable de corporatismes désuets, ne veut pas du changement solidaire. Pour l’empêcher, elle fait chanter l’exécutif. Chez le Président de la République Ali Bongo Ondimba qui, en d’autres occasions, avait prêché le dialogue social à tout prix, le ton a changé. Cette rupture-là, pas question de la manquer. Les modalités seront négociables mais la réforme se fera. Aucun recul n’est possible. Le président rappelle que les électeurs l’ont choisi pour faire des choses difficiles. Afin d’y parvenir, il s’appuie sur une conviction: les Gabonais ont changé. Leurs yeux se sont dessillés.
Le gouvernement Julien Nkoghe Bekale est d’autant moins décidé à céder que 56 % des Gabonais approuvent sa politique générale. Il préfère assumer une cassure avec une partie de son camp. Cette affaire apporte un autre enseignement. C’est l’affirmation d’une nouvelle tendance, essentiellement pragmatique, capable d’ouverture au niveau des personnes et des symboles mais moins des idées, car elle y voit un signe de faiblesse. C’est une nouvelle génération tout à fait décomplexée qui n’accepte pas les leçons de morale, d’où qu’elles viennent. Les populations attendent des résultats concrets et ne veut pas perdre de temps dans des débats éthiques. Parce qu’elles savent qu’en politique il faut agir vite.
Autrement dit, les Gabonais passeront coûte que coûte, en force s’il le faut. Toutes les générations ont entendu ce genre de discours, ces déclarations de matamore avec lesquelles le pouvoir entend toujours faire plier la moindre revendication qui s’oppose à leurs projets. L’élection présidentielle de 2016 est certes passée par là, mais les semaines écoulées montrent que nous ne sommes pas dans l’impunité politique et médiatique. Les dégâts idéologiques et politiques sont là, mais la brutale réalité de sa politique aussi et elle préoccupe déjà des secteurs croissants de la société. Pourtant, ce bras de fer annoncé ne ressemble pas à ceux que le Gabon a connus dans le passé.
Pour Ali Bongo Ondimba, le danger n’est pas là. Il est plus diffus que cette première banderille sociale. Il est dans les premiers signes d’usure que traduisent les enquêtes d’opinion. Pas de danger immédiat, mais des clignotants orange qui s’allument. L’accumulation des réformes annoncées fait naître des doutes quant à leur faisabilité et des inquiétudes quant au climat social. Au-delà de la démonstration de force, fermeté gouvernementale d’un côté, mobilisation syndicale de l’autre, le défi majeur reste la croissance. Si, comme le craignent la quasi-totalité des experts, elle reste poussive, les réformes sociales auront du mal à passer. C’est pourquoi le forum social constituera un enseignement important, non pas pour l’immédiat, mais pour le moyen terme.
Fini de rêver, retour à la réalité. Et le réveil est brutal, car elle est plutôt morose, la réalité de 2020. Ça grogne un peu partout.
Même si les régimes spéciaux sont ressentis depuis longtemps comme un privilège par une majorité de Gabonais, les mêmes sont de moins en moins convaincus de la manière dont est menée la politique économique et sociale du gouvernement.
Sachant que l’opinion, même si elle est divisée sur les mouvements sociaux, est sensible à la notion de privilège sur les régimes spéciaux, il affirme qu’il ne reculera pas à l’occasion de cette première épreuve de force sociale.
Pour l’heure, chacun mesure ses forces et affûte ses armes. Dans l’attente des parties suivantes.