Interview avec François Nzigou Nzigou, sur la finance verte et le développement des PME et des jeunes entrepreneurs innovants au Gabon.

L’économie verte est un concept qui est à la mode dans les pays occidentaux et moins au Gabon, alors qu’il fait face aux nombreux défis environnementaux (l’exploitation illégale de bois, conflit Hommes – Faune, le changement climatique, surexploitation des ressources marines etc.), est un secteur qui peut créer de l’emploi et le Gabon en a cruellement besoin en ce temps de crise multidimensionnelle.

Y a t-il une identification claire de ceux qui peuvent financer la croissance verte au Gabon ?

La croissance verte au Gabon peut être financée à la fois par le secteur privé et par le secteur public, à la fois par les Gabonais, mais aussi par les internationaux. La difficulté que nous avons dans dans la finance verte comme dans la finance classique, c’est comment acheminer cette liquidité vers  le bas de la pyramide, c’est-à-dire les petites entreprises qui vont aider à la transformation de l’économie gabonaise pourvu que le capital et les crédits puissent descendre à leur niveau.

Si cela reste rien que pour les grandes entreprises ou pour les multinationales  qui signent les contrats de partenariat avec l’Etat, il sera très difficile d’achever la transformation de la transition écologique dans notre pays.

C’est vrai que depuis un moment, le débat sur l’économie verte revient régulièrement dans les médias, quels sont les progrès concrets dans ce domaine ?

Je crois que les progrès ont été faits dans le sens ou beaucoup des pays, beaucoup plus de sociétés identifient aujourd’hui l’économie verte comme une grande opportunité. Avant quand on parlait de l’économie verte, on pensait que c’était une chose spécifique aux pays développés, mais je crois qu’en Afrique en général et particulièrement au Gabon, il y a une conscience de l’énormité en terme économique et de business qui représente l’économie verte.

Mais là ou on est pas encore arrivé, c’est de connecter la finance et les entreprises.il y a plein d’entreprises qui ont des plans d’action sur le recyclage, sur les énergies renouvelables, sur la valorisation des déchets solides et liquides, dans l’agriculture organique, dans l’économie circulaire . J’avais d’ailleurs rencontré plusieurs entreprises qui travaillent dans lesdits secteurs au Gabon lorsque je préparais mes travaux empiriques de ma thèse sur les questions de la finance verte. Mais les toutes parlaient du manque d’assistance de l’Etat en termes de subventions, dons etc. Il suffit alors de connecter les business plans de ses entreprises innovantes qui sont assez sérieux avec cette finance verte qui est source de croissance inclusive et de développement durable, mais aussi et surtout d’emplois décents pour accroitre l’espérance de vie des populations.

Quels sont les obstacles à un financement optimal, par exemple comment les femmes et les jeunes gabonais peuvent ils être inclus dans le financement vert ?

Les femmes et les jeunes ont des difficultés particulières pour accéder au financement vert.la raison est très simple, ils sont vu comme plus risqués. Mais parfois c’est une question de perception. Quand je regarde les chiffres des institutions internationales, et que je vois les prêts des femmes entrepreneures en microfinance, je constate qu’elles ne sont pas plus risquées que les hommes. Les taux de remboursement en microfinance des femmes est supérieurs à ceux des hommes.il y a donc une question de perception qu’il faut casser et pour la casser, il faut travailler sur des systèmes d’évaluation de risques qui soit plus adapté à la PME, aux jeunes entrepreneurs qui commencent, qui combinent à la fois les prêts avec les dons. Quand on est un entrepreneur qui est entrain de commencer son activité, il doit y avoir aussi la possibilité parfois des dons dans une mesure initiale pour permettre à ce jeune entrepreneur d’augmenter le volume de son business et en plus de passer à un crédit.

Dans le domaine de l’économie verte, quels types de projets ont plus besoin d’investissements au Gabon ?

Je crois qu’au Gabon, il faut d’abord travailler avec les entreprises pour qu’elles présentent des business plans bien sérieux, bien réfléchis, c’est la raison pour laquelle on vient de mettre en place  Nzi Green Finance Consulting and Development pour accompagner, analyser et évaluer les projets innovants des Etats, des PME et des jeunes entrepreneurs afin de lever des fonds auprès des partenaires techniques et financiers . Il est important de rappeler que la grande difficulté des pays africains en général et du Gabon en particulier est le montage de projets de développement.

C’est pour cette raison qu’on constate que les pays qui ont plus besoin de financements verts n’en bénéficient pas comme il le faut. Il existe une panoplie d’instruments financiers notamment le fonds vert qui est un outil au service du financement Nord-Sud.

Ce fonds vert pèse aujourd’hui, 10 milliards de dollars théoriquement, c’est-à-dire 5 milliards de dollars sont dans les caisses du fonds vert et les 5 autres milliards sont des promesses du secteur public et privé. Le chiffre de 100 milliards de dollars correspond à ce que les pays du monde se sont engagés à mobiliser chaque année à partir de 2020. Ce fonds a accrédité certaines Banques nationales, bilatérales et multilatérales (AFD, BAD etc.)  dans plusieurs pays africains.

Il suffit que l’Etat gabonais par exemple soit capable de faire des très bons montages de projets et les regrouper en grappes dans différents secteurs et programmes puis, les soumettre aux banques accréditées par le fonds vert. Mais en amont, il faut que les projets soient innovants et évalués scientifiquement comme le recommande la communauté internationale.

Pensez vous que les politique mises en place par l’Etat dans le domaine de l’économie verte peuvent attirer les financements verts ?

Le Gabon n’a pas de politiques spécifiques à l’économie verte. Toutefois, on peut identifier quelques activités opérationnelles mises en œuvre dans ce sens, à travers les orientations de la politique globale de développement du pays. Le document de stratégie de croissance et de réduction de la pauvreté (DSCRP) élaboré en 2005  constitue la base de planification générale du développement du Gabon. Il s’appesantit sur les différentes possibilités structurelles de création de la richesse en vue de lutter contre la pauvreté.

Cependant, il ne met pas l’accent sur la prise en compte de la dimension environnementale dans le développement, étant donné que les écosystèmes sont des milieux qui génèrent la biocapacité permettant de produire des biens et services marchands et non marchands. D’ou la contestation du PIB aujourd’hui par les économistes. Ce schéma de développement est revu quatre ans plus tard, en 2009, avec l’introduction d’un nouveau paradigme de développement défini dans le plan stratégique Gabon émergent (PSGE), lequel prône la valorisation des biens et services environnementaux, compte tenu du potentiel énergétique et de biodiversité dont regorgent les écosystèmes du territoire national. Ainsi, l’économie verte s’articule au Gabon, de manière non exhaustive, autour de cinq activités opérationnelles:

La gestion durable de la forêt, La valorisation du potentiel agricole, La valorisation durable des ressources halieutiques, La valorisation du potentiel énergétique et La promotion d’un tourisme durable. Force est de constater que parmi ces cinq activités, seules deux sont véritablement opérationnelles (la gestion durable de la forêt et la valorisation du potentiel agricole).

Le Gabon a un potentiel énorme dans l’implication de l’économie verte à travers ses ressources renouvelables et non renouvelables. Il faut que ce potentiel s’accompagne  d’un capital humain qualifié dans ce domaine qui est aussi rentable et qui prendra le relais de l’économie du pétrole et des minerais. Le bon fonctionnement d’une institution quelque soit le domaine émane des capacités intellectuelles du leader qui pilote ladite institution.

Le Gabon a une multitude de fonds, malheureusement qui ne jouent pas véritablement leur rôle. Il faut qu’on crée un seul instrument financier fort qui soit capable de financer les activités de l’économie verte, mais également qui soit financé par les produits appropriés. C’est donc tout un montage qui doit se faire au tour de cet outil financier. Mais pour cela, il faut qu’on mette une fiscalité verte au Gabon. Nous avons plusieurs produits qui peuvent alimenter un vrai fonds national vert (FNV).

En ce qui concerne les outils juridiques, réglementaires et économiques, nous avons déjà un minimum même si on doit les renforcer pour qu’ils soient plus ouverts et captifs aux bailleurs de fonds nationaux et internationaux.

Que pensez-vous du nouveau code des hydrocarbures notamment sur le développement des biocarburants au Gabon ?

Je crois qu’il est important pour notre pays de se doter d’une législation en matière de production de biocarburant. Il est important de rappeler que la loi encadrant le secteur des hydrocarbures jusqu’aujourd’hui ne contenait aucune disposition en la matière. Il était alors nécessaire d’insérer un cadre juridique  relatif  à la promotion et au développement de cette activité.

Mais la vraie question est celle de savoir si le Gabon a déjà formé les gabonais et gabonaises dans ce domaine, ou c’est une entreprise étrangère ou une multinationale qui viendra avec tout son personnel qualifié dans les biocarburants? Il ne faut pas que les emplois locaux se résument juste à une main d’œuvre manutentionnaire ou permanente. Quand vous ouvrez un marché rentable et qu’il vous manque des cadres dans ce domaine, en réalité, le pays perd non seulement son capital naturel qui est l’espace terrestre  qui subira des changements via l’utilisation des produits polluants, mais aussi une perte des recettes fiscales à long terme comme on le voit avec les groupes installés dans la zone économique spéciale de nkok, ou les entreprises bénéficient de 10 ans d’exonération des taxes. 10 ans c’est énorme pour un contrat de partenariat public- privé. C’est pour cette raison qu’on doit impérativement former les compatriotes dans les domaines de l’économie verte pour rentabiliser l’impact socioéconomique.

Force est de constater que l’impact socioéconomique des groupes installés dans notre pays n’est pas significatif au regard des recettes fiscales pour l’Etat, des conditions de vie des salariés (salaires, santé, carrière) c’est-à-dire que la rentabilité économique et sociale est négative et l’épuisement des ressources naturelles qui représente le capital de l’activité. En résumé, il faut d’abord  former les gabonais et les gabonaises dans les activités de l’économie verte qui sont aussi vastes que les gens ne le pensent (valorisation des déchets, recyclage, bioénergie, biomasse, énergies renouvelables, agriculture biologique, efficacité énergétique, écotourismes, biocarburants, valorisation des produits forestiers non ligneux et ligneux etc…).

Avez-vous déjà travaillé avec certains experts dans le domaine de l’économie verte en Afrique ?

J’ai eu la chance de faire beaucoup de recherches sur les auteurs africains qui parlaient de cette question. En 2016, lors de mes travaux de terrain au Gabon, j’ai eu la chance de rencontrer le docteur TABUNA Honoré, expert en valorisation de la biodiversité en Afrique Centrale, fonctionnaire internationale et coordinateur à la CEEAC.C’est quelqu’un de très simple et qui a une connaissance élargie sur l’économie des savoirs-faires traditionnelles en Afrique Centrale. Il travaille dessus depuis plus de 20 ans.

C’est d’ailleurs, lui qui m’a beaucoup guidé sur plusieurs pistes à prendre, mais ce qui m’a le plus touché, c’était de voir sa gaité lorsqu’il a su que je préparais un doctorat sur les politiques de financement de l’économie verte des pays de la CEEAC en général et du Gabon en particulier.

Nous avons travaillé pendant plusieurs mois ensemble sur les nouvelles orientations du secrétariat général de la CEEAC concernant par exemple les décisions des chefs d’Etats portant création du Fonds vert en Afrique Centrale (FEVAC), sur le Système de l’Economie Verte en Afrique Centrale (SEVAC), sur  l’Economie du savoir-faire traditionnel etc.

Il m’a remis toute la documentation qu’il fallait sur les questions économiques, sociales, environnementales, les politiques réussies dans le domaine, mais également les raisons de plusieurs échecs de certaines politiques mises en place depuis la déclaration de Yaoundé jusqu’aujourd’hui. C’est une bibliothèque vivante dans la sous-région.

Avec monsieur Nicaise MOULOUMBI, Directeur de l’ONG croissance saine et Environnement, président du Réseau des Organisations de la Société Civile pour l’Economie Verte en Afrique Centrale (ROSCEVAC) et actuellement, deuxième vice président du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE). C’est un grand acteur de la société civile très actif sur la question environnementale dans notre pays, mais aussi reconnu sur la scène sous-régionale, régionale et internationale.

Et je loue son courage pour ce qu’il fait. D’ailleurs, il a été parmi les premiers à remettre en cause les pratiques malsaines des multinationales installées au Gabon (le cas Veolia) et le temps lui a donné raison.

Avec le président du réseau des Entreprises pour l’Economie Verte en Afrique Centrale et le coordinateur du pool énergétique en Afrique Centrale.

J’en ai également travaillé avec des conseillers de l’administration (ANPN, BCPSGE, Ministère des finances etc.) et avec les responsables des Banques multilatérales de développement (Banque Africaine de Développement, avec monsieur DIRABOU YAPI Eric, Chargé des Investissements du Secteur Privé   et monsieur J.L. MOUBAMBA, Agroéconomiste), du Bureau de la Banque Mondiale etc. Mais beaucoup pensent que l’économie verte se limite à l’environnement, non ! L’économie verte est beaucoup plus large que l’on pense.

Analyste Financier et Economiste à l’Institut des Risques Industriels Assurantiels  Financiers et du Laboratoire de l’Economie et de Management de Lille- France.

Thierry Mebale Ekouaghe

Directeur de publication, membre de l'UPF (Union de la Presse Francophone) section Gabon, Consultant en Stratégie de Communication, Analyste de la vie politique et sociale, Facilitateur des crises.

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