Gabon/Justice : Justin Ndoundagoye et Jean Aimé Nziengui devant le Tribunal Spécialisé.

L’affaire Justin Ndoundangoye et Nziengui Jean Aimé contre l’Agent Judiciaire de l’Etat et le Ministère Public a été appelée à l’audience correctionnelle du Tribunal Spécialisé ce vendredi  26 novembre 2021. 

Les prévenus sont poursuivis pour: concussion, complicité de concussion, prise illégale d’intérêts. Des délits punis par les articles 48,127 et 130 du Code Pénal gabonais.

Pour rappel, Ndoundangoye est poursuivi pour avoir pris « les pots-de-vin » d’un contrat signé entre le ministère de Transports et la société de Nziengui Jean Aimé…

Dès l’ouverture de l’audience à 9h28, le Tribunal Spécialisé a d’abord commencé par examiner l’affaire d’une Directrice  Provinciale des eaux et forêts du Moyen Ogooué.

À 12h20 la première affaire examinée est finie, le Tribunal suspend alors l’audience pour deux minutes.

Pendant la suspension de l’audience, Justin Ndoundangoye se lève et en profite pour saluer à distance par un geste de la main quelques membres de sa famille présents dans la salle d’audience.

Aussitôt, un agent de la sécurité pénitentiaire va venir demander à Justin Ndoundangoye d’arrêter de saluer les gens et de s’asseoir. Mais Justin Ndoundangoye continue de les saluer et dit à l’agent qu’il s’agit de sa famille. Deux autres agents vont venir en renfort pour sermonner Ndoundangoye. Ce dernier hausse le ton et dit aux agents: « qu’est-ce que j’ai fait ? Ce sont mes parents, je ne peux plus saluer ma famille ? À la prison centrale je suis en isolement, ici au tribunal vous voulez encore m’étouffer ? »

La tension monte d’un cran entre Justin Ndoundangoye et les agents de la sécurité pénitentiaire. Quelques membres de la famille crient « Justin calme-toi ! » Mais ill a fallu l’intervention du surveillant général adjoint de la sécurité pénitentiaire et de l’un des avocats de Ndoundangoye pour ramener la sérénité.

À 12h31, Madame la Présidente du Tribunal et ses membres refont surface, Justin Ndoundangoye et Nziengui Jean Aimé sont appelés à la barre.

Après la lecture de l’arrêt de renvoi de la Chambre d’accusation, Madame la Présidente du Tribunal demande au Ministère Public si le liquidateur de l’OCTRA (Office du chemin de fer transgabonais) n’a pas été cité à comparaître.

Le Procureur répond en disant que le liquidateur a déjà été entendu, et que ses déclarations sont sur PV, donc son absence ne peut causer problème.

Mais les avocats de Justin Ndoundangoye disent alors au Tribunal que la présence du liquidateur est nécessaire: “Nous avons des questions à poser au liquidateur pour la manifestation de la vérité”.

La Présidente du Tribunal conclut en disant que l’affaire peut être examinée sans la présence du liquidateur.

L’audience se poursuit, la défense soulève déjà l’exception de nullité sur le fondement du  principe « NON BIS IN IDEM », qui signifie  que “nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement à raison des mêmes faits.” La défense allègue que les faits pour lesquels Justin Ndoundangoye et Nziengui Jean Aimé comparaissent devant le Tribunal Spécialisé ce jour sont également pendants dans une autre juridiction. Dès lors, on ne peut  poursuivre une personne devant deux juridictions différentes pour les mêmes faits avec les mêmes parties.

Ils demandent donc à la Présidente du Tribunal de déclarer ladite procédure nulle.

Les avocats de l’état et le Ministère Public vont balayer d’un revers de la main l’exception de nullité de la défense. Car selon eux, la défense n’a nullement démontré le préjudice subi par leur client. Ils ajoutent qu’il n’y a pas de nullité sans textes, et demandent au Tribunal de joindre l’exception au fond, conformément aux dispositions du Code de Procédure Pénale.

La présidente du Tribunal décide alors de joindre ladite exception au fond. C’est-à-dire qu’il va statuer par un seul et même jugement en se prononçant en premier lieu sur l’exception et ensuite sur le fond lors du délibéré.

L’examen de l’affaire au fond peut enfin commencer.

La parole est donnée à monsieur Nziengui Jean Aimé. C’est un ingénieur, consultant international en chemin de fer, enseignant à  l’Université de Ponts et chaussées de France.

C’est une véritable machine qui est à la barre !

Il relate qu’il a la majorité des parts d’une société à responsabilité limitée (SARL) au Gabon, et qu’il avait reçu un appel téléphonique du Ministre de Transport de l’époque pour prendre part à une réunion au Ministère le 23 janvier 2019. Dans cette réunion, le Ministre de l’Economie serait également de la partie. Mais la réunion n’a plus eu lieu. Le 29 janvier 2019, pendant qu’il était en voyage en France, sa société a signé un contrat de prestataire pour le suivi du réseau ferroviaire gabonais à hauteur de 3 milliards 600 millions de FCFA.

Cette signature a eu lieu pendant qu’il était à l’étranger, par le gérant de la société.

Le Tribunal demande à Nziengui d’expliquer la gestion quotidienne de sa société, mais l’un des avocats de Nziengui dit au Tribunal que son client est un associé parmi tant d’autres et que c’est au gérant de la société d’expliquer la gestion quotidienne de la société.

Le Tribunal pose la question à Justin Ndoundangoye: « Comment avez-vous connu la société de Nziengui ?”

Justin Ndoundangoye prend la parole pour la première fois depuis le début de l’audience.  L’homme se met à expliquer qu’au cours d’un Conseil Interministériel, il avait été instruit de trouver une solution aux déraillements sans cesse des trains, que c’était une situation urgente, car au Gabon c’est par le train que le manganèse et d’autres minerais sont acheminés. “Il me fallait donc trouver une solution rapide…” Le Tribunal va interrompre Justin Ndoundangoye et lui demande de répondre à la question posée.

Puis la parole est redonnée à Nziengui: « Vous avez remis la somme de 145 millions de FCFA à Justin  Ndoundangoye pour d’achat d’un terrain appartenant à l’Octra, pouvez-nous en dire plus ?  » lance le Tribunal.

“Justin Ndoundangoye m’avait vendu un terrain à Avorbam à 100 millions, et quelque temps après, il m’avait appelé pour me dire qu’il a besoin d’un prêt de 50 millions. Mais je n’avais pas 50 millions je lui ai remis 45 millions à la station qui est en face de saint Georges.

Justin m’avait montré un autre terrain à Owendo qui était anciennement à l’Octra, et m’a assuré qu’il allait me rembourser mes 45 millions. “

“Avez-vous signé un document qui prouve que Justin Ndoundangoye allait vous rembourser ?” ajoute le Tribunal.

Nziengui dit qu’ils n’ont signé aucun document, le prêt a été fait sur la base de la confiance mutuelle et réciproque. La salle se met à murmurer suite à la réponse de Nziengui…

“Ah tu as vu non l’autre a fait un prêt de 45 millions à son « ami  » sans faire un document. Toi 10.000 FCFA de prêt tu dis déjà viens signer la reconnaissance de dette !”

Le Président du Tribunal va faire lecture de quelques PV d’enquête préliminaire et du magistrat instructeur. Dans ces PV, il ressort que Nziengui a dit que lors de la signature du contrat, “Justin m’avait dit que je devais lui donner 150 millions de rétro-commission; le versement de 3 milliards 600 millions devait se faire en 3 tranches et à chaque versement je devais donner 50 millions à chaque versement.”

Mais après la lecture des PV, Sieur Sieur Nziengui ne reconnait pas avoir tenu de tels propos ni en enquête préliminaire ni devant le juge d’instruction. La salle d’audience est médusée, tout le monde s’étonne.

L’un des avocats de l’Etat va faire observer que depuis l’enquête préliminaire jusqu’à l’instruction, Nziengui n’a jamais fait mention du prêt de 45 millions, pourquoi c’est seulement aujourd’hui qu’il en parle? Nziengui répond en disant au Tribunal que lors de sa garde à vue au B2, on lui a remis des documents et qu’il devait seulement dire ce qui est à l’intérieur desdits documents.

Il est déjà 14h30, Justin Ndoundangoye s’explique à nouveau, avec une voix qui porte. Le parlementaire Ndoundangoye reconnaît avoir reçu 50  millions le 15 mars 2019, 50 millions  le 15 juin 2019 de la part de Monsieur Nziengui, mais cet argent était pour l’achat d’un terrain à Avorbam (100 millions). En ma qualité  d’ancien Ministre de Transport et responsable de l’ARTF (Autorité de Régulation des Transports Ferroviaires) j’avais reçu une promesse de vente d’un terrain de la liquidation d’Octra, j’ai donc proposé à Monsieur Nziengui ce terrain et qu’on allait substituer à la place du terrain d’Agondje. Nous sommes allés visiter ce terrain en présence d’un responsable de l’ ARTF. Ce terrain avait été estimé à 200 millions.

Ndoundangoye brandit les documents du terrain que le liquidateur d’OCTRA lui a remis. Mais le Tribunal remet en cause l’authenticité de ce document, car il n’y a pas de signature du liquidateur. Justin Ndoundangoye répond au tribunal: « Comme je ne suis plus ministre, tous les documents que je produis sont considérés comme faux ?  »

“J’étais parti faire un retrait d’argent à BGFI du feu rouge de Batterie 4 mais là-bas, je vais apprendre que mon compte a été bloqué et que l’ordre est venu depuis le « haut. »  J’avais trop de charge en tant qu’ancien Ministre, j’ai donc appelé Monsieur Nziengui qui m’a prêté 45 millions le 11 novembre 2019 et une semaine après, j’ai été arrêté…”

Le Tribunal va faire la lecture des PV d’audition du liquidateur de l’OCTRA. Ce dernier dit qu’il n’a jamais fait une promesse de vente à Ndoundangoye d’un terrain de la liquidation de l’OCTRA.

Le débat sur l’absence du liquidateur d’OCTRA reprend alors, les avocats de la défense rappellent au Tribunal que dès l’ouverture du procès, ils ont demandé la présence physique du liquidateur de l’OCTRA, pour lui poser quelques questions pour la manifestation de la vérité.  Mais leur demande n’a pas prospéré.

À 15h22, la parole est donnée aux avocats de l’Etat gabonais pour les plaidoiries.

L’un des avocats refait la lecture des 3  PV d’interrogatoires de Sieur Nziengui. Dans ces PV, il est dit que les 145 millions remis à Ndoundangoye étaient au titre de rétro-commission. L’avocat dit au tribunal que les infractions sont constituées et de les condamner. Un autre avocat de l’Etat se constitue partie civile et demande 1 milliards aux deux prévenus, au titre de dommages et intérêts.

Quant au Procureur de la République, dans ses réquisitions, il demande au Tribunal de  « frapper fort » Justin Ndoundangoye et Nziengui Jean Aimé, et de ne point leur accorder de circonstance atténuante, même s’ils sont délinquants primaires. Il demande alors de les condamner au maximum de la peine prévue c’est à dire à 5 ans d’emprisonnement ferme et à 10 millions d’amende. Sur la prise illégale d’intérêts, le Procureur de la République a ajouté que Jean aimé Nziengui avait été nommé Directeur Technique de l’ ARTF , malgré cela  sa société a signé un contrat avec le ministère de transport  pour le suivi du chemin de fer, par conséquent le delit de prise illégale d’intérêts est donc constitué…

Place aux plaidoiries de la défense. L’un des avocats de Nziengui Jean Aimé commence par rappeler que son client, depuis 695 jours, est en isolement à la prison centrale de Libreville.

“Depuis 695 jours l’univers de mon client est composé de rats qui ont la taille des chats!”

Ensuite  il fait une présentation de Nziengui Jean Aimé, en disant que son client est un un cadre de haut vol et une crème parmi les crèmes. Son client enseigne à  l’école de Ponts  et Chaussées en France, et que ce n’est pas n’importe qui qui enseigne là-bas. Il ajoute que son client à prêté de l’argent à Justin Ndoundangoye sans faire un document, “parce que nous sommes dans une société de tradition orale, la parole donnée est sacrée, c’est une relation de confiance réciproque.”

Il demande au Tribunal de relaxer son client à titre principal, mais si par extraordinaire le Tribunal le condamne, de le condamner à une peine d’intérêt général. Son client est prêt à aller dispenser les cours à Port gentil où les élèves sont dans la rue par manque d’enseignant.

Les avocats de Ndoundangoye demandent au Tribunal de relaxer leur client. Selon eux, tout au long du procès, l’accusation n’a produit aucune preuve, et au regard des dispositions de l’article 127 sur la concussion, l’infraction reprochée à Ndoundangoye n’est pas constituée.

17h25: l’affaire a été mise en délibéré au 10 décembre prochain.

Sos Prisonniers Gabon,  pour l’indépendance de la Justice.

Paul Essonne

Journaliste

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