On pourra émettre toutes les théories en grandes pompes sur l’opportunité ou non d’ériger la ville d’Akanda en chef lieu de la province de l’Estuaire sur fond de « vide juridique » de la loi de 96.
Mais sans être adeptes de la théorie du complot on peut facilement comprendre que les actions prioritaires de l’Etat depuis 2016 obéissent à une « to do list » hantée par les échéances électorales afin de maintenir un système politique. Et pour cela, les pions sont placés petits à petits et insidieusement afin d’élaborer un cadre parfait (voire légal et légitime) favorable à la réélection perpétuelle du PDG à tous les niveaux.
Pour cause, dans le cas d’espèce, dispensez-vous du débat léger Libreville vs Akanda. Ça n’aura pas de sens si on occulte le fait supérieur que les limites intra et interurbaines sont faites, défaites et parfois remises en cause selon les circonstances et les intérêts électoraux, politiques et socio-économiques.
Aussi, l’histoire de la création de la Commune d’Owendo et les intérêts politico-economiques derrières s’inscrivent dans processus d’institutionnalisation politique un peu particulier.
En effet, le Gabon qui vient de renouer avec le multipartisme est dans une période de consultations électorales (élections locale et législative de 1996). Celles-ci sont capitales pour les partis politiques de l’époque (Parti Démocratique Gabonais (PDG), Rassemblement National des Bûcherons (RNB), Cercle des Libéraux Réformateurs (CLR), etc.), qui cherchent à avoir une plus grande représentativité à l’Assemblée Nationale et à administrer les plus importantes villes du pays en vue d’asseoir leur hégémonie sur l’échiquier politique national.
A Libreville, le RNB, alors Parti de l’opposition, et le PDG, les deux principaux partis du pays, se disputent la mairie de la capitale gabonaise. Selon les sondages (non officiels), le RNB est donné gagnant à l’élection locale. Autrement dit, une victoire de ce parti permettait à son leader de présider le conseil municipal de Libreville y compris Owendo.
Or, le patrimoine foncier et le domaine industrialo-portuaire du sud de Libreville sont sous la gestion directe de l’Office des Ports et Rades du Gabon, une société paraétatique basée à Owendo. Pour préserver ce patrimoine (taxes sur les navires, redevances d’occupation, foncier, etc.), la stratégie adoptée par les députés du PDG consistait à amputer Libreville de sa partie sud.
C’est ainsi qu’ils vont voter pour la division de Libreville en deux communes de plein exercice. Aussi, s’étaient-ils convenus que la future commune ne pourrait être dirigée que par les initiateurs du projet. Dans cette perspective, au cours d’une réunion de travail du bureau politique du PDG de la province de l’Estuaire, le Secrétaire National à l’Education et à la Formation dudit parti déclarait « il est hors de question que la mairie d’Owendo soit dirigée par l’opposition, car J. Nzaou (le premier maire de la commune) s’est battu corps et âme pour qu’Owendo soit érigée en commune de plein exercice. Il est donc hors de question que cet enfant qu’il a conçu soit élevé par une autre personne ». Et le Secrétaire Général dudit parti de renchérir : « Si nous avons créé Owendo, c’est pour que nous-mêmes gérions cette commune. Par conséquent, il ne sera pas question qu’un quelconque parti en dehors du nôtre s’accapare cette commune industrielle ». (Cf L’UNION n° 6220 de septembre 1996 page 2 et 3). C’est comme ça qu’en 1995, Owendo a été érigée en commune de plein exercice et devenait de fait le fief politique du PDG.
Un an plus tard, le leader du RNB est élu édile de la commune de Libreville. Le conseil municipal d’Owendo, quant à lui est confié à un militant du PDG.
La même détermination pour conserver la commune d’Owendo, s’est manifestée lors du deuxième mandat en 2003. Le PDG a obtenu 15 sièges sur 37, ce qui ne lui assurait pas la présidence du conseil municipal d’Owendo. Cette formation politique a engagé des tractations avec les candidats indépendants qui en avaient obtenu 15. Après moult tractations et suite à l’intervention « du bord de mer », tous ses conseillers ont élu un « pdgiste » à la tête du conseil municipal. Depuis lors, la commune d’Owendo est gérée, comme celle de Libreville, par une « coalition municipale » formée autour du Parti Démocratique Gabonais et comprenant des forces de la majorité présidentielle.
Vous aurez donc compris que le découpage de Libreville procède finalement d’une stratégie politico-administrative mise sur pied depuis les années 1980. C’est précisément en 1986, quatre ans avant la réintroduction du multipartisme au Gabon, que la localité d’Owendo, alors placée sous l’administration du département de Komo-Mondah, a été incluse dans l’agglomération de Libreville par le conseil municipal.
La raison évoquée à l’époque était la distance (40 km) jugée trop grande qui sépare Owendo de Ntoum, la capitale du département du Komo-Mondah, par rapport à Libreville qui se trouve à quelques encablures. Neuf ans plus tard, pour clarifier le statut de cette localité, les techniciens du Ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation ont élaboré un projet de texte visant à ériger Owendo en arrondissement. Mais, lors de l’examen du projet à l’Assemblée Nationale et sous la pression de députés du Parti Démocratique Gabonais (PDG), majoritaire à cette Assemblée (80 représentants sur 120), Owendo a plutôt été érigé en commune de plein exercice.
Et ne vous méprenez pas. L’histoire se répète avec la création de la Commune d’Akanda en 2013 qui pourtant ne regroupe que 4 quartiers et est logée dans le département du Komo-Mondah dans la province de l’Estuaire au nord de Libreville. Il faut savoir que le Komo-Mondah est un département de l’Estuaire et il a pour chef lieu la ville de Ntoum. Quand Libreville est la capitale du Gabon et le chef lieu de la province de l’Estuaire.
Alors pour quel vide juridique se mijote le projet de loi voulant faire de la commune d’Akanda le chef lieu de l’Estuaire en lieu et place de Libreville, quand la loi sur la Décentralisation comme plusieurs autres lois relatives à la gestion du sol au Gabon ont échoué?