Dans sa note diplomatique à des destinataires in fine, le Centre d’Analyse, de Prévision et de Stratégie (CAPS) NDI-2020-0161812 (Cercle Ouvert) du ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères de la France, annonce que la crise du Covid-19 peut être le révélateur des limites de capacité des Etats, incapables de protéger leur population.
En Afrique notamment, l’onde de choc du Covid-19 pourrait être le coup de trop porté aux appareils d’Etat. Le taux de médicalisation y est quasi-nul et les systèmes de santé nationaux peuvent être considérés comme saturés d’office. L’Etat va faire massivement la preuve de son incapacité à protéger ses populations. Cette crise pourrait être le dernier étage du procès populaire contre l’Etat, qui n’avait déjà pas su répondre aux crises économiques, politiques et sécuritaires.
Les déclencheurs de la crise politique pourraient prendre plusieurs formes : un nombre trop élevé de décès ; l’effet de comparaison défavorables à certains Etats notamment francophones, fragiles ou dont les politiques publiques sont défaillantes (Sahel, Afrique centrale) au miroir d’autres Etats africains aux institutions plus solides qui incarnent l’autorité (à l’image du Rwanda ou du Sénégal) ; ou encore le « mort politique zéro » c’est-à-dire la personnalité dont la mort cristalliserait la contestation, qu’il appartienne au système en place ou à l’opposition.
De manière plus structurelle, le Covid-19 a deux dimensions économiques spécifiques sur le continent. En Afrique de l’Ouest, les mesures de confinement saperont l’équilibre fragile de l’informel, économie de survie quotidienne essentielle au maintien du contrat social. En Afrique centrale, le choc pourrait précipiter la crise finale de la rente pétrolière au Cameroun, au Gabon et au Congo-Brazzaville (effondrement d’un prix du baril déjà en crise avec la demandé, aggravé par un ralentissement de la production, et risque d’accélération de la réflexion d’opérateurs pétroliers, Total au premier chef, de quitter ces pays), là aussi au cœur des équilibres sociaux. Dans les deux cas, cela pourrait constituer le facteur économique déclencheur des processus de transition politique.
Aussi, les villes sont les potentiels épicentres de crises. Au bout de quelques semaines, la question du ravitaillement des quartiers va se poser sous trois formes : l’eau, la nourriture et l’électricité. Des phénomènes de panique urbaine pourraient apparaître : elles sont le terreau sur lequel se construisent les manipulations des émotions populaires. Cette recette fait le lit d’entreprises politiques populistes.
La question de la sélection ne portera pas sur les personnes à sauver médicalement (faute de capacités d’accueil), mais sur les besoins de premières nécessités : Quel quartier ravitailler ? Quelles autorités locales crédibles peuvent être les relais d’organisation de la distribution ? Quels produits de première nécessité fournir dans une phase attendue de pénurie ? Dans ce contexte, des hausses de la délinquance sont attendues, mettant d’autant plus à l’épreuve l’autorité de l’Etat.
Le discrédit qui frappe les paroles institutionnelles va en outre s’amplifier. L’information se recompose déjà par le bas, en marge des informations publiques via les réseaux sociaux. Le poids des réseaux sociaux va considérablement peser, a fortiori avec le confinement qui va couper littéralement les sociétés des institutions publiques. Faute de parole publique crédible, les thèses complotistes commencent déjà à fleurir et s’ajoutent aux simples fausses informations pour participer d’une perte de contrôle des opinions publiques. A cela s’ajoutent les dynamiques de rumeurs populaires, lesquelles sont tout autant susceptibles d’être instrumentalisées pour orienter des violences collectives.
Le répertoire de la morale publique va être mobilisé face à la faillite des gouvernants. A ce stade, quatre catégories d’acteurs ont la capacité de mobiliser des foules, qui doivent donc d’ores et déjà constituer des interlocuteurs pour nos efforts de gestion de la crise en Afrique. Les premiers sont les autorités religieuses ; les deuxièmes sont les diasporas ; les troisièmes sont les artistes populaires ; les quatrièmes sont les entrepreneurs économiques et les businessmen néo-libéraux.