Lettre du prisonnier politique gabonais Bertrand Zibi à l’église catholique.

De la prison où il séjourne depuis 2016, Bertrand Zibi Abéghé fait parvenir une lettre ouverte à Mgr Iba-Ba. Une correspondance dans laquelle l’ancien député de Bollosoville (Minvoul) décrit  les conditions inhumaines de sa détention, les raisons de son arrestation, les irrégularités de son procès.

Bien-aimé en Christ !                                                                      

Monseigneur l’Archevêque de Libreville, c’est avec une joie immense et l’espérance en notre Seigneur Jésus-Christ, mort pour nous sur la croix, que je vous écris cette correspondance.

Permettez-moi, à l’entame de celle-ci, de vous adresser mes plus vives félicitations, pour votre brillante nomination, le 12 mars 2020, à la tête de l’Eglise catholique du Gabon. Que notre Seigneur Jésus-Christ veille sur vous et vous accompagne dans cette lourde et exaltante mission. Par la même occasion, je vous adresse mes vœux les meilleurs pour cette nouvelle année 2021, à vous, ainsi qu’à votre famille.

En effet, Monseigneur, voilà bientôt cinq (05) ans déjà que je croupis dans les geôles de la Prison centrale de Libreville aux conditions effroyables, épouvantables et inhumaines. Arrêté le 1er septembre 2016 au quartier général (QG) du Président élu, Jean PING.

Après une nuit d’intenses bombardements de son QG, qui avait occasionné plusieurs morts, quelque temps plus tard, le commando me prit immédiatement. Après mon arrestation, mon calvaire a commencé. J’ai été sauvagement torturé pendant plusieurs jours par la DGR du camp Roux, en face de la présidence de la République à Libreville.

Ensuite, j’ai été déféré à la Prison centrale de Libreville, où les supplices se sont multipliés, en subissant les pires atrocités qu’un être humain puisse subir, souvent jusqu’à perdre connaissance. J’ai été jeté dans un quartier disciplinaire appelé C/B (un véritable mouroir). Dans ce quartier, il n’y avait pas de lumière, vous ne saviez pas quand il faisait jour ou nuit, juste quelques trous d’aération. Le seul habit, qui pouvait être porté, était un slip, tellement la chaleur était intense. Là-bas, vous transpirez comme si on vous a versé un seau d’eau sur le corps.

Pendant mon séjour, qui a duré près de quatre (04) ans, j’ai failli perdre ma vue (d’ailleurs, je ne peux plus lire sans lunettes). Durant mon passage dans ce quartier insalubre, j’ai perdu sept (07) co-détenus en moins de quatre (04) mois. On ne dira jamais assez que la Prison centrale de Libreville est un vrai mouroir.

Plus tard, j’ai été transféré dans un autre quartier disciplinaire : le C/A. Dans ce milieu, on trouve les pires assassins de notre pays (tous les tueurs dont vous entendez parler dans notre pays le Gabon y sont en nombre suffisant). Le plus terrible est le fait que c’est dans cet endroit où sont incarcérés tous les malades mentaux de Gros-Bouquet.

Eh oui, Monseigneur l’Archevêque, la maison d’arrêt de Libreville regorge en son sein, plusieurs malades mentaux, plus explicitement, des fous, comme ceux que vous apercevez déambuler dans les rues de Libreville. Selon les statistiques actuelles, l’on peut dénombrer près de 25 % des prisonniers de la Prison centrale de Libreville au quartier C/A. Conséquence, ce quartier de la prison devient, de facto, un asile psychiatrique. Aucun des malades ne reçoit de soins psychiatriques. Le plus ancien parmi eux, feu BENDJI Henry Paul, est décédé après plus de vingt-trois (23) ans de détention préventive, c’est-à-dire, sans être jugé. Que la terre lui soit légère ! Mieux vaut vous épargner des détails d’une vie dans un tel endroit (un seul WC archaïque, une douche qui ressemble à une morgue, la violence quotidienne des fous, des blessures graves tous les jours…). Le tout sous une grille métallique comme plafond et des mûrs en cailloux, haut de plus de six (06) mètres. Ce lieu-dit C/A est appelé par d’autres prisonniers : « le couloir de la mort ». C’est seulement depuis quelques mois que la nouvelle équipe dirigeante de la prison m’a changé de quartier.

Monseigneur l’Archevêque, j’ai pu survivre à mon supplice uniquement grâce à mes prières et supplications adressées à notre Seigneur Jésus-Christ. Même si, plusieurs fois, j’ai vu la mort.

Monseigneur l’Archevêque, comme vous le savez certainement, je n’ai rien fait, pour mériter un tel sort. Mon calvaire a comencé après ma démission du poste de député à Bolossoville en présence du Président de la République. Mon seul tort, avoir, publiquement, désavoué sa politique sans insulter, ni me battre contre quelqu’un. Simplement une démission. Après cette démission, mon domicile familial a failli être réduit en cendres. C’est grâce à l’aide des voisins, que l’incendie avait pu être circonscrit. A la suite de cela, un voyou notoirement connu dans le milieu du grand banditisme a été instrumentalisé par le pouvoir en place, pour m’accuser d’une histoire totalement fallacieuse. Une histoire sortie d’un véritable polar. Malgré tous les témoignages, qui me disculpent, j’ai quand même été condamné. Ce même pouvoir a, également, envoyé des agents de la DGR (Gendarmerie nationale), clairement identifiés aujourd’hui, cacher et découvrir une arme dans mon chantier. Seigneur, venez-nous, vite, en aide, votre pays, le Gabon, sombre.

Au tribunal de Libreville, les scellés de la fameuse arme ont disparu (plus de balles, plus de chargeur, mais surtout, ce n’est plus la même arme qui est présentée lors du procès) simplement parce que les autorités américaines, ma deuxième patrie, et mon avocat Français au Barreau de Paris, demandent l’expertise des scellés. Ceci pourrait se faire en trente (30) minutes par le FBI et surtout gratuitement pour le tribunal de Libreville, qui, contre toute attente, refuse cette aide, pourquoi ?

Monseigneur l’Archevêque, tous mes droits sont violés. Le nouveau Code de procédure pénale, en son article 300, stipule : « Lorsque vous faites appel d’un jugement, si vous n’êtes pas jugé dans les deux mois qui suivent, la condamnation est réversible pour une mise en liberté provisoire ».

Dans mon cas, cela fait bientôt deux (02) ans que mon dossier est bloqué à la Cour d’appel de Libreville en violation de toutes les règles de droit en République gabonaise. Pour couronner le tout, la Cour d’appel s’est déclarée incompétente, en statuant sur mon cas… une première dans les annales de la justice du Gabon et sur la terre. Simplement pour vous dire Monseigneur l’Archevêque, que devant Dieu et les Hommes, je ne me reproche rien. Par ailleurs, j’ai décidé de me battre pour la justice, le droit, la vérité, la lumière et non pour les ténèbres ; le bien-être de tous les Gabonais et non celui d’une petite poignée d’individus. Nous sommes un pays béni de Dieu, immensément riche, mais dont la population est l’une des plus pauvres d’Afrique et du monde. J’ai pu le voir, dans l’ensemble du pays, durant mon mandat de député à l’Assemblée nationale.

Monseigneur l’Archevêque, pour la petite histoire, lors de mon entretien avec le défunt Président Sud-Africain, Nelson MANDELA, que j’ai eu la chance et surtout l’immense honneur de rencontrer, il m’avait dit mon fils : « La chose au monde la plus difficile à défendre est la justice ». A cet instant, je ne comprenais pas, maintenant, je comprends mieux sa pensée. Paix à son âme.

Fort de ce qui précède, Monseigneur l’Archevêque, j’ai accepté entièrement Jésus-Christ de Nazareth du fond de ma cellule. Je lui ai entièrement fait confiance. Je sais qu’il a un grand plan pour notre pays le Gabon.

A la Prison centrale de Libreville, j’ai pris mes sacrements (baptême, communion, confirmation). Aujourd’hui, je suis un fervent catholique entièrement engagé à l’Evangile de notre Seigneur Jésus-Christ. Evangile de la vérité. Depuis bientôt cinq (05) ans, j’ai été coupé des miens, de mes enfants, de ma vie et de tous ceux qui me sont chers. Je reste résolument debout, pour défendre la vérité et la justice, tout en acceptant, avec courage et humilité, mon triste sort, car l’avenir du Gabon demeure dans la justice avec en toile de fond, l’Etat de droit, et surtout, le respect de l’être humain créé par Dieu à sa ressemblance. Pour ma part, nonobstant mon triste sort, je ne suis ni rancunier, ni amer, ni aigri, ni revanchard, ni haineux. Mon cœur est plutôt rempli d’amour, de compassion, d’espoir et surtout du meilleur avenir pour mon cher pays le Gabon. Maintenant, je prie même pour mes ennemis, comme nous le recommande les Saintes Ecritures. Je pardonne à tous mes persécuteurs, mais je n’oublie pas les tortures, qui restent à jamais gravées dans ma mémoire.

Pour cette nouvelle année 2021, je vous exhorte à demeurer dans votre cœur, la paix, le courage, la vérité et de soutenir toujours les plus faibles, ainsi que les opprimés.

Monseigneur l’Archevêque, priez pour les prisonniers, car on ne sait pas ce que nous réserve l’avenir. Nous ne savons pas si nous sortirons d’ici vivants, mais j’ai la foi et la confiance en un nouveau Gabon :

un Gabon où, pour être Député, Sénateur, DG, Ministre, Premier ministre ou Président de la République, on n’aura plus besoin de commettre de crimes rituels ;un Gabon où les richesses, que Dieu nous a données, seront équitablement partagées entre tous les fils de notre pays ;un Gabon où le juge pourra dire la vérité, rien que la vérité ;un Gabon où ne régnera plus la loi du plus fort, mais le respect et l’amour entre nous ;un Gabon où un simple mortel ne prendra plus la place de Dieu, le créateur, pour ôter la vie à autrui ;un Gabon où la femme gabonaise, notre mère, notre sœur, notre fille n’aura plus à se prostituer, pour un kilogramme de poulet où un habit à moutouki ;un Gabon où la jeunesse n’aura plus à consommer des cobolos, pour oublier la misère et la précarité ;un Gabon où nos cabanes ne s’inonderont plus à la moindre pluie ;un Gabon débarrassé de tous ces faux pasteurs ou hommes de Dieu qui exploitent la misère de notre peuple ;un Gabon refoulé de tous ces marabouts venus d’ailleurs, pour nous envoûter ;un Gabon où les jeunes, nos enfants, pourront trouver des emplois après leurs études ;un Gabon où nos retraités pourront toucher leurs pensions sans être molestés par les Forces de l’ordre et de sécurité ;un Gabon où l’armée sera au service du peuple et non à celui d’un individu, d’un clan, d’une province ;un Gabon où nos pistes d’éléphants pourront enfin être des routes praticables en toutes saisons ;un Gabon appartenant aux Gabonais ;un Gabon où sa diaspora à travers le monde pourra revenir au pays, sans s’inquiéter, afin d’apporter son expertise et développer notre pays ;un Gabon où nos enfants pourront enfin avoir de véritables écoles et non des salles de classe de cent (100) élèves ;un Gabon où nos Universités et Grandes écoles supérieures formeront des élites du pays et non un parterre de chômeurs buvant le malamba et le moussoungou, sans une possibilité d’emploi dans un pays d’à peine deux (02) millions d’habitants et pourvu d’une immense richesse ;un Gabon où le Gabonais pourra produire ce qu’il mange ;un Gabon où l’eau et l’électricité ne seront plus un luxe réservé à la petite élite qui gère le pays ;un Gabon où l’on n’entendra plus ce largage d’influence : « Tu sais à qui tu as affaire » ;un Gabon où nos artistes (musiciens, footballeurs, Hommes de cultures, etc.) pourront vivre de leur art ;un Gabon où les journalistes n’auront plus besoin de chanter à longueur de journée des éloges d’hommes politiques, pour avoir un gombo, mais pourront vivre décemment de leur noble métier.

Monseigneur l’Archevêque, voilà en quelques mots, le GABON dont je rêve du fond de ma cellule à la Prison centrale de Libreville. Une fois de plus, bonne et heureuse année 2021.

Dans l’espoir que ma requête retiendra votre attention toute particulière, je vous prie de bien vouloir agréer, Monseigneur l’Archevêque, l’expression de ma profonde déférence.

Bertrand ZIBI ABEGHE MONE ESSABDZANG YA BOUTH ENGASSE MONE NGONE ESSABOAK YA MOM affectueusement appelé LE GNAMORO, L’IVOUNDA, LE NDJIM, LE NDOMBABA, L’OKOULOU, LE DJADJI, LE NDOSS, LE NKOUNKOUMA, LE RÉPÉ, DIBAL, L’AS DES AS, ZAMBE

Que Dieu, miséricordieux, veille éternellement sur notre pays le GABON.

Vous avez des questions? Appelez-nous au(+241) 66755160;(+241) 77 09 00 90;(+241) 66 43 11 79.

Paul Essonne

Journaliste

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