L’État gabonais entre liberté de religion et ordre public. Le pragmatisme oui, le laxisme non.

La décision de l’église catholique du Gabon de reprendre la célébration de la messe sur toute l’étendue du territoire national à compter du 25 octobre prochain a jeté un gros pavé dans la mare de la gestion de la crise de Covid-19 que le gouvernement n’a eu de cesse de rendre trouble et opaque en persistant dans des mesures dont les populations contestent le bien-fondé et la justesse et décrient l’application à géométrie variable chaque jour plus bruyamment.

Perçue par une bonne partie de l’opinion comme un pied de nez aux pouvoirs publics, précisément parce que ceux-ci venaient de reconduire de 45 jours le confinement partiel, y compris la fermeture des lieux de culte, cette décision unilatérale est, on s’en doute, pain bénit pour les détracteurs du gouvernement, les opposants au régime et les chefs religieux en particulier les pasteurs des innombrables églises du réveil qui ne savaient plus à quel saint se vouer, ayant été trop longtemps coupés des brebis à garder sur le droit chemin (et à tondre dans le même mouvement) par la faute du gouvernement, lequel était resté superbement sourd à leurs cris d’orfraie motivés autant par le «devoir» de sauver les âmes que par la nécessité de se sauver de la disette.

Il faut dire que l’évêque d’Oyem avait annoncé la couleur de façon tonitruante au travers de son homélie de clôture de la dernière session extraordinaire de la conférence épiscopale du Gabon le 4 octobre dans lequel il a appelé ses «confrères» de l’épiscopat à rompre «le silence complice», à vaincre la peur et à ne pas se laisser corrompre, car, a-t-il averti, «il vaut mieux mourir martyr que de laisser Dieu se faire insulter».

Si Mgr Jean-Vincent Ondo Eyene a omis d’indiquer clairement qui insulte Dieu et cherche à corrompre et à terroriser les évêques il a invité ces derniers au devoir de ne pas «se laisser berner par le pouvoir», précisant qu’ils savent en qui ils ont placé leur confiance (et, peut-on supposer, en qui ils ne l’ont pas placée).

Ces propos, que l’on croirait extraits d’une diatribe de Mgr Romero le prélat salvadorien martyr des droits de l’homme dans son pays et symbole du courant de pensée théologique chrétienne venu d’Amérique latine connu sous le nom de théologie de la libération qui a inspiré des mouvements socio-politiques dans cette région et ailleurs ont de quoi surprendre par leur caractère inhabituellement libertaire, pour ne pas dire séditieux.

C’est peu de dire qu’ils tranchent avec le discours mâtiné de langue de bois et de complaisance auquel les dignitaires ecclésiastiques du Gabon, en tout cas sous le magistère de Mgr Basile Mvé avaient habitué l’opinion, d’ailleurs au grand dam de la communauté chrétienne nationale.

Il n’en fallait pas plus pour faire bondir, comme par miracle, la cote d’estime de l’église catholique au baromètre du politiquement et du spirituellement correct, elle vers qui avaient jusque-là convergé les assauts de tout ce que le Gabon compte de non croyants, de croyants non-chrétiens, de chrétiens non-catholiques, et d’adeptes de divers ordres et rites mystico-philosophiques indigènes ou importés.

Dans l’intervalle d’une petite semaine, l’église catholique apostolique et romaine est passée du banc des accusés pour complicité dans les atrocités de la colonisation française, instigation de l’aliénation ou de la perdition culturelle et spirituelle des peuples africains et connivence avec les dirigeants gabonais, au statut de protecteur des humbles, de défenseur des croyants et incroyants et de symbole de la résistance contre la tyrannie.

Bien que les voies des hiérarques catholiques du Gabon soient a priori moins insondables que celles du seigneur (dont ils ne sont, après tout, que les porte-paroles), l’avenir seul nous dira si leur bravade est un moyen, bien que peu conventionnel, de contraindre l’État gabonais au strict respect de l’accord-cadre bilatéral qui le lie au Saint-Siège, lequel stipule l’identité respective des deux entités (État et Église), ou si elle participe d’une nouvelle orientation théologique de l’église du Gabon.

Quoiqu’il en soit, le Gabon reste une république laïque. Par voie de conséquence, il n’est pas dans l’ordre des choses que l’État se fasse dicter sa conduite par quelque confession religieuse si puissante soit-elle.

Seul garant de toutes les libertés notamment la liberté de culte, de l’ordre public et de l’harmonie sociale, c’est à l’État qu’incombent le devoir et la responsabilité de protéger les personnes, les croyants aussi bien que les non-croyants, y compris contre elles-mêmes.

Un comportement qui tendrait à mettre en danger la vie d’autrui ou sa propre vie n’est donc pas à encourager. Ainsi, un «ministre de Dieu» qui ventilerait l’idée selon laquelle ses ouailles sont immunisées contre un virus déclaré mortel et contagieux par les autorités sanitaires nationales et mondiales, ou que la maladie est une punition divine et que ce serait défier Dieu que de chercher à s’en prémunir ou à en guérir autrement que par la prière, doit être rappelé à l’ordre.

Seulement, la loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse.

Si des centaines de militaires peuvent se masser en une foule compacte pour faire un triomphe à leur commandant, et plusieurs dizaines de personnes se rassembler dans un même lieu pour accueillir un ministre ou pour pleurer un défunt en violation de mesures de protection individuelle et collective censées s’imposer à tous sans exclusive pourquoi des fidèles disciplinés ne pourraient-ils pas se réunir dans leur lieu de culte habituel surtout si des dispositions en matière d’hygiène et de distanciation ont été prises ?

Tout le problème de la gestion de la crise de la Covid-19 au Gabon réside, d’abord dans la faiblesse congénitale des assises de l’État qui rend celui-ci incapable de respecter lui-même les règles de droit qu’il édicte et de faire régner l’ordre public autrement que par la coercition; et ensuite dans les décisions du gouvernement par trop souvent en déficit de consistance et de cohérence.

Quel message le deux poids, deux mesures que l’on a jusqu’ici observé dans la mise en œuvre du plan de riposte contre la Covid-19 pourrait-il envoyer aux populations sinon que ce qui prévaut au Gabon c’est moins la primauté du droit que le règne de l’arbitraire auquel tout citoyen éclairé croit légitime de désobéir ?

L’annonce de la réouverture des lieux de culte par l’archevêque métropolitain de Libreville Mgr Iba-Iba à la suite de la conférence épiscopale révèle, à n’en point douter, que l’église dont il est le chef n’est plus disposée à donner le bon Dieu sans confession aux gestionnaires de la crise sanitaire.

Le clergé catholique s’estimant vraisemblablement fondé à passer outre les dernières décisions du gouvernement en application de l’état d’urgence sanitaire du fait que ce dernier fait dans la fuite en avant, alors qu’il eût fallu, notamment, mener à terme le processus d’évaluation des sites de célébration des offices religieux qu’il a initié il y a plus de trois mois dans l’optique d’une levée imminente de l’interdiction des rassemblements de plus de 10 personnes pour ceux d’entre eux qui rempliraient au moins 25 des 33 critères contenus dans le protocole en forme de questionnaire.

Or, la totalité des églises catholiques de la capitale (et du Gabon ?) auraient reçu une équipe d’évaluation, certaines à trois reprises. Une évaluation dont il ressortirait que les églises en question satisfont à l’essentiel des exigences fixées par le gouvernement et sont donc éligibles pour la réouverture.

Le statu quo actuel ne s’explique donc pas. En tout cas, il n’est pas justifié par la situation épidémiologique présente qui est de loin moins inquiétante que celle qui avait cours à la date desdites évaluations.

Sa justification est donc ailleurs.

Il est à parier qu’elle est, entre autres, dans la crainte du gouvernement de subir les foudres des milliers de fidèles des confessions autres que la catholique s’il était amené à décréter une réouverture partielle et différentiée des lieux de culte sur la base de son protocole auquel toutes ne se conforment assurément pas.

La logique des choses voudrait pourtant que la réouverture des lieux de culte se fasse au cas par cas, suivant le même principe qui a été appliqué au secteur de la restauration, à savoir que seuls les restaurants disposant d’une terrasse peuvent recevoir les clients.

Regrouper uniformément toutes les églises et mosquées sous le même vocable de «lieu de culte» est aussi incongru que mélanger les serviettes et les torchons.

Qui pourrait raisonnablement placer sur un même pied d’égalité et loger à la même enseigne la cathédrale Sainte-Marie, ou la mosquée Hassan II, et une maison d’habitation hors normes de sûreté, peu spacieuse et peu aérée dans un quartier sous-intégré et insalubre de Libreville faisant office d’église ou de mosquée ?

D’ailleurs, il serait temps que les pouvoirs publics soient un peu plus regardants sur tous les lieux de culte qui poussent comme des champignons vénéneux un peu partout dans le pays, sur le profil et le pédigrée des pasteurs (issus de la génération spontanée davantage qu’ils ne sont le produit d’une formation rigoureuse) dont le nombre ne cesse de croître – certainement en proportion de l’aggravation de la misère et de la détresse sociales – et sur les mosquées dont les fidèles envahissent hebdomadairement l’espace public entravant la liberté de circuler des autres citoyens.

La laïcité, certes, implique la neutralité de l’État dans le domaine de la foi et garantit aux croyants et aux non-croyants la libre expression de leurs croyances ou de leur incroyance, mais uniquement sous réserve de l’ordre public ainsi que du respect de la loi et des bonnes mœurs.

Sans être dans le secret des dieux je subodore que les dirigeants du Gabon, que l’annonce de la hiérarchie catholique a probablement mis dos au mur (sinon devant leurs turpitudes) sont partagés entre les tenants de la fermeté (et donc du maintien indifférencié de la fermeture des lieux de culte) et les partisans d’une posture de conciliation avec les Chrétiens et, par ricochet, avec les Musulmans aussi qui, eux, sont restés discrets sur la question.

La première posture est à proscrire, notamment parce qu’elle pourrait donner lieu à des actes de défiance plus graves, y compris la désobéissance civile et des mouvements autrement plus subversifs.

La deuxième est sage et pragmatique.

Elle le sera d’autant plus si l’ouverture des lieux de culte n’est pas décrétée tous azimuts, au risque de mettre à mal toute la stratégie d’endiguement de la pandémie de Covid qui vient de connaître un rebond en Occident.

À défaut d’être totale et générale, la réouverture peut être subordonnée à la satisfaction d’un cahier des charges minimal convenu d’accord parties entre l’État et les représentants des différents ordres religieux.

Le plus tôt serait le mieux.

Dr Romuald Assogho Obiang

Enseignant-Chercheur à l’UOB

Paul Essonne

Journaliste

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