Les communautés villageoises de la Ngounié et les opérateurs à couteaux tirés sur les exploitations forestières.

Dans le cadre de son projet de suivi et de développement des activités communautaires, l’ONG Conservation Justice et son partenaire local Muyissi Environnement réalisent deux à trois missions chaque mois dans les communautés, ceci afin de les informer de la législation en matière d’exploitation forestière. Elles seront ainsi plus à même de respecter et faire respecter leurs droits et devoirs, et de participer au combat contre l’exploitation forestière illégale.

Outre les difficultés récurrentes concernant le respect des Cahiers des Charges Contractuelles, force est de constater que le respect de la loi dans les Forêts Communautaires est loin d’être assuré. Ceci est le cas depuis leur mise en place il y a déjà plusieurs années. Et les efforts récents du Ministère des Eaux et Forêts pour lutter contre l’exploitation forestière illégale n’ont pas encore pu éradiquer certaines pratiques. C’est ce qui a pu être constaté lors d’une récente mission du 7 au 15 décembre 2020.

Dans la zone de Fougamou, plus précisément au village Kouagna, une situation fait grandir le mécontentement des villageois, à savoir le non-respect des valeurs mercuriales applicables dans les forêts communautaires par l’exploitant forestier de ce village. La décision n°000926/MFE/SG/DGF/DFCom fixant les valeurs mercuriales des bois en grumes applicables dans les forêts communautaires, dans son article 2, précise clairement les prix qui doivent être payés par les exploitants en fonction des essences. Or la Société des Bois de la Ngounie (SBN) ne respecterait pas les prix inscrits dans cet arrêté selon les communautés rencontrées. Le climat existant entre les villageois et l’exploitant est devenu délétère. La menace d’une rupture de contrat et de procédures juridiques plane entre les deux parties.

L’exploitation de la forêt communautaire du village Mamiengué, toujours dans les environs de Fougamou, ferait également l’objet du non-respect des valeurs mercuriales applicables dans sa gestion. La société Alpha Production y exploite depuis janvier 2020 et les communautés se plaignent d’une ardoise non payée qui serait d’un montant de 8.000.000 FCFA et qui met en mal la communauté qui ne peut plus exécuter ses projets, notamment la construction d’un économat. Suite à cette difficulté, les responsables de l’association Diambu Ga Mangu, chargés de la gestion de la forêt communautaire, ont aussi décidé de ne pas renouveler le contrat qui doit s’achever en janvier prochain pour exploiter en régie.

Alors que le village est préoccupé par la situation qui l’oppose à Alpha Production, le président de l’association s’est plaint d’avoir été interpellé le 09 décembre dernier par une lettre étonnante de mise en demeure avant poursuite judiciaire, envoyée par le conseil juridique de la société DJIBOIS WOOD GABON, ancien fermier de la forêt communautaire de Mamiengue. Il est demandé à la communauté un remboursement d’un montant de 4.400.000 FCFA pour certains travaux qui ont permis à l’association du village d’obtenir la convention provisoire de la Forêt Communautaire. Étant dans l’incompréhension, l’association du village avait déjà remboursé 2.500.000 FCFA sur un total de 7.250.000 FCFA, dette qu’elle n’aurait certainement pas dû commencer à rembourser ! L’article 159 du code forestier précise en effet : « Les travaux de délimitation, de classement et d’aménagement des forêts communautaires sont réalisés gratuitement par l’administration des Eaux et Forêts ». Comment se fait-il que les communautés subissent souvent de telles pressions pour payer ces travaux à des exploitants, alors qu’ils devraient être gratuits ? Et les contrats de fermage ne prévoient pas que les communautés devraient rembourser d’éventuels travaux réalisés. La vérité est que certains exploitants financent des cabinets privés qui assurent ces travaux. Les opérateurs s’adjugent ensuite l’exploitation dans la Forêt Communautaire, au détriment des communautés qui sont souvent bernées par ces manœuvres. Précisons aussi que le contrat avec DJIBOIS WOOD GABON avait été rompu pour un cas d’exploitation illégale selon les communautés de Mamiengue. L’arbitrage des Eaux et Forêts, voire des procédures en justice, paraissent nécessaires. Il existerait d’ailleurs un problème similaire en ce qui concerne le respect des Cahiers des Charges Contractuels pour la communauté de Mamiengue, l’exploitation forestière par Gabon Meuble Moderne (GMM) étant montrée du doigt par les communautés qui se plaignent de ne pas connaître les productions réelles.

Quoiqu’il en soit, on peut affirmer que l’exploitation illégale dans les Forêts Communautaires est la règle, avec quelques rares exceptions. En effet, l’exploitation est censée être réalisée progressivement et durablement durant 20 ans à travers un Plan de Gestion Simplifié. Mais une fois que des exploitants industriels commencent l’exploitation dans ces forêts, ils la développent de manière intensive, généralement en une à deux années au lieu des 20 années prévues légalement. Les Forêts Communautaires ont d’ailleurs des superficies généralement trop faibles pour permettre une exploitation industrielle sur plusieurs années. Au final, après quelques mois voire années d’exploitation, une Forêt Communautaire est généralement dévastée. Et de nombreuses tensions apparaissent en raison de difficultés diverses comme le choix et la mise en œuvre des projets de développement, les détournements fréquents, les trafics d’influence d’exploitants forestiers et des individus qui les appuient, etc.

Mais une question plus profonde vient à l’esprit : pourquoi l’exploitation dans ces forêts dites « communautaires » est-elle assurée par des entreprises industrielles, avec des bulldozers ? Le principe de base des Forêts Communautaires n’est-il pas qu’elles soient exploitées par et pour les communautés elles-mêmes, soit à travers le sciage artisanal ou des activités autres que l’exploitation forestière ? Cela éviterait en tout cas que des accords ou arrangements divers soient établis en dehors de la loi et que les communautés subissent diverses pressions des opérateurs et de leurs complices. Et cela éviterait les dégâts liés à l’exploitation forestière industrielle, particulièrement importants dans les Forêts Communautaires.

Paul Essonne

Journaliste

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