Le débat de Missélé eba: Arrêtez le massacre

En octobre 2018, paniqué par l’accident vasculaire cérébral du président de la République à Ryad, Ike Ngouoni, jadis porte-parole de la présidence de la République, a ridiculisé la parole présidentielle avec les expressions « fatigue légère et fatigue sévère » qui lui ont été dictés. Par une volonté maladroite de dissimuler une vérité, c’est la République qui a été rabaissée. Personne ne devrait alors être surpris du désordre ambiant qui règne actuellement dans le pays. Nous disions « on ne récolte que ce qu’on sème ».

Or, avec une culture générale basique et un sang froid, indispensable à un certain niveau de pouvoir ou de responsabilités, il suffisait aux penseurs de cette imbécilité langagière de revisiter l’histoire du monde entier qui est pourtant riche d’exemples en matière de gestion des situations quasi similaires.

Le 02 septembre 2005, alors qu’il recevait les responsables de la principauté d’Andorre, Jacques Chirac est frappé par une forte migraine et des troubles de la vision. Il est immédiatement conduit et interné d’urgence à l’hôpital Val de Grâce à Paris. Sa situation sanitaire inquiétante et surprenante suscita de suite des remous dans la classe politique française comme cela fût le cas au Gabon après l’AVC d’Ali Bongo Ondimba.

À deux ans de la prochaine élection présidentielle en France, des ambitions et des appétits politiques s’aiguisèrent au grand mépris de l’état de santé fragilisé de ce géant de la politique française.

Aussitôt, lui le bébé Pompidou, médita les paroles de William Shakespeare dans Richard III, fortement revisitées par son parrain en politique avant sa mort en 1974: « vous allez usurper ma place, vous coiffer de la couronne arrachée au cadavre, vous installer sur le trône, au mépris et pour la ruine de ce palais. Pourquoi ne pas usurper aussi une juste part de mes douleurs ?

Mon sang brûle. Je n’ai d’autres plaisirs que de décrire ma maladie, ma propre difformité. Moi je vais vers la tombe mais aucun d’entre vous ne versera de larmes sur mon souvenir. Voici les clés, je vous remets mes fonctions. Serrez vous la main et jurez vous amitié. Ayez des poignards dans la voix mais jamais dans la main.

Mais le pire est encore à venir, vous vous ferez la guerre, frères contre frères, sang contre sang. C’est la rétribution contre l’infamie. N’oubliez rien de tout cela ».

Nourrie de l’expérience de la période sombre du président malade, Georges Pompidou, le conseiller en communication de Jacques Chirac, sa fille Claude, en tandem avec le premier ministre, Dominique de Villepin, décida de gommer le mot « cérébral » pour atténuer la gravité de la situation sanitaire inquiétante que le président de la République venait de vivre. Tous les communiqués de l’Élysée comme ceux de Matignon parlaient tout simplement de « petit accident vasculaire ».

C’est dire que si on n’avait pas soufflé à Ike Ngouoni ces expressions caricaturales sans sens qui pèsent encore sur la situation sanitaire d’Ali Bongo Ondimba, le pays tout entier ne serait pas aussi suspicieux en ce qui concerne son état de santé explicité par tous les livres et autres sites de santé. À cela s’ajoute les décisions les plus ridicules prises autour du président de la République qui, naturellement, font douter de ses capacités à gouverner le pays.

Qui encore à ce jour porte la parole présidentielle ? Du format vérifiable par tous, présenté lors des étapes de la tournée dite républicaine du chef de l’État, c’est désormais le premier ministre, chef du gouvernement qui semble jouer ce rôle. Précisons d’entrée de jeu que ce n’est pas le rôle ou la mission du gouvernement quand bien même on parle du pouvoir exécutif.

Si l’imposture de Jessy « Ella Ekogha » a été démasquée après avoir constaté son incompétence notoire, l’épouse du président de la République, dont il se targue d’être le protégé, gagnerait à s’éloigner de ce profil sulfureux qui déteint clairement sur les ambitions politiques d’Ali Bongo Ondimba.

En principe, dans une République normale, après les révélations gênantes faites par l’ancien directeur général de la Gabon Oil Company (GOC) au Tribunal de Libreville, sans qu’une plainte pour diffamation s’en suive, Jessy « Ella Ekogha » aurait dû être relevé de ses fonctions pour protéger celle du président de la République ou l’image de Sylvia Bongo Ondimba. Hélas que nenni. Que personne ne soit alors surpris par la dégradation du verbe et de la fonction présidentielle.

Le fait de l’assumer et de le garder en place, même s’il est de moins en moins visible, peut être interprété, à juste titre d’ailleurs, comme un bel aveu de culpabilité. Ce qui est très grave par les temps qui courent. Or, avec ce scandale révélé par Patrichi Tanasa, c’était une belle occasion de redonner de la force à la parole présidentielle. Jessy « Ella Ekogha » a trop multiplié les sorties maladroites qui ont bien démontré qu’il y avait un réel problème de communication à la présidence de la République.

En plus, au lieu de briller par une certaine humilité et une discrétion à la Orango Berre, c’est dans une arrogance suicidaire que cet infographe devenu accidentellement porte-parole du président de la République s’est autorisé une guerre contre la presse locale. Mal lui en a prit comme il en sera de même pour les autorités qui ont décidé de tuer les acquis de la presse obtenus lors des accords d’Agondjé.

A force de couvrir ce qui est mauvais d’un côté et d’exceller dans le mélange de genres de l’autre, on assiste à un véritable désastre de la République lorsqu’on met à disposition de l’opinion publique les différentes sorties du chef de l’État lors de sa tournée dite républicaine.

La Constitution de la République est claire. L’article 8 de la Loi fondamentale dispose que « Le président de la République est le chef de l’État ; il veille au respect de la Constitution ; il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, ainsi que la continuité de l’État ».

Par conséquent, quand dans toutes les vidéos du président de la République, on l’entend ou ses conseillers en communication le laissent se présenter comme le censeur ou le surveillant du gouvernement, cela renvoie à quoi à quelques semaines des élections générales ? Pour qui connaît Ali Bongo et le rôle d’un chef d’État, ces sorties posent un véritable problème ou suscitent de sérieuses interrogations. Cette constance dans les âneries, Ike Ngouoni n’étant plus de la partie, a bien les mêmes maîtres à penser à la manœuvre.

Les éléments de langage qui sont suggérés ou proposés au président de la République ne sont adaptés ni au présent contexte, ni à la fonction occupée. Le bilan qui sera apprécié par les populations est d’abord celui du président de la République. L’article 28 de la Constitution dispose que « le gouvernement conduit la politique de la Nation sous l’autorité du président de la République ; il dispose,  à cet effet, de l’administration et des forces de défense et de sécurité ».

Qu’on soit dans l’article 8 ou 28 de la Constitution, le premier ou le principal responsable des éventuelles anomalies de gestion du pouvoir demeure le Président de la République. Il convient donc de changer radicalement et rapidement cette communication bancale et ridicule.

Actuellement, il est venu le moment de vanter et de ventiler ce qui à été fait durant le septennat. On peut bien trouver des réalisations à citer, quitte à grossir le trait. Mais, on ne peut plus être dans un discours de surveillance ou de veille. Les communicants autour du chef de l’État, pour crédibiliser son état de santé et son ambition pour le Gabon doivent redéfinir les éléments de langage à présenter à l’opinion publique nationale et internationale. Il faut arrêter le massacre à ce niveau.

Les différents événements politiques dans le monde entier prouvent à chaque fois aux autorités gabonaises et aux tenants du pouvoir qu’il change. Et le refus de s’adapter ou l’incapacité à lire les signes du temps emporteront ceux qui auront voulu rester dans l’ancienne page de l’histoire.

Pourquoi l’Union européenne refuse t-elle cette fois-ci de suivre les élections au Gabon ? Ou que refuse t-elle d’assumer ?  Pourquoi la Cour Pénale internationale (CPI) refuse t-elle de clore le dossier Gabon introduit en 2016 ?  À qui s’adresse ce message ? Quel est le réel objectif ou la mission de certaines candidatures ?  Pour quels services roulent t-elles ?

Pourquoi Macky Sall est invité à renoncer à un troisième mandat quand au Gabon on laisse faire malgré l’état de santé fragile du président de la République ? L’objectif caché serait-il en réalité de balayer toute la Cour et de redessiner un nouveau visage au pouvoir gabonais ? Rien n’est moins sûr.

Malgré le dispositif institutionnel et constitutionnel acquis à sa cause, Laurent Gbagbo a été dégagé du pouvoir et envoyé à la CPI où il a passé dix années de sa vie. Le temps de déraciner ce qui constitue sa philosophie du pouvoir. Que la sagesse règne tant qu’il est encore temps.

Par Télesphore Obame Ngomo

Président de l’OPAM

Paul Essonne

Journaliste

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