Le débat de Missélé eba’a : L’équation fang de 2023

De façon générale, pour gagner une élection, surtout la présidentielle, lorsque le scrutin est à un tour, le jeu des alliances diverses, au préalable, est fondamental. C’est pourquoi, avec Omar Bongo Ondimba comme président, détenteur du secret de la longévité au pouvoir en République, il s’assurait, en tenant compte des enjeux du moment, de la fiabilité des dosages ethniques et politiques des forces en présence.

De la composition de ses différents gouvernements, à la création de l’ossature de la haute administration, en passant par la déclinaison des responsabilités dans les forces de sécurité et de défense, tout était mis d’équerre pour préserver les bases du régime en place.

Aussi, les équilibres trouvées, Omar Bongo Ondimba veillait à ce qu’on retrouve certaines caractéristiques spécifiques dans le choix des personnalités sélectionnées, l’histoire, l’expérience, la loyauté et la fidélité. Ces éléments renforçaient le caractère légitimiste du pouvoir qu’il gérait, en plus de limiter les frustrations, gage de l’émergence de toute forme de conspiration, vecteur par excellence de la division et de la soustraction.

Or, pour gagner une élection présidentielle ou maintenir un pouvoir en place, il faut séduire et convaincre. Ce qui renvoie à l’addition voire la multiplication des hommes.

C’est  ainsi qu’en offrant la primature et la doublure d’un grand nombre de directions générales de l’administration publique aux fang, le Parti Démocratique Gabonais (PDG) et le Trésor public aux Dzebis, l’administration de la présidence de la République et le Sénat aux myènè, la vice-présidence et l’Enseignement supérieur aux Punu, les finances publiques et les forces de sécurité et de défense aux cadres du Haut-Ogooué, Omar Bongo Ondimba savait que chaque grand groupe du pays trouverait son compte, sa part et sa place dans le pouvoir.

Malheureusement, avec le dispositif humain actuel, chapeauté par la maisonnée du président de la République, bien malin qui oserait dire à quoi correspondent les choix ethniques et politiques qui sont faits dans notre pays.

Au niveau de la présidence de la République, on est loin de l’époque des hommes de poigne comme Radembino-Coniquet, Mamadou Diop, et autres Orango Berre si on veut faire référence à la place des myènè au Palais présidentiel. La maisonnée du Chef de l’État nous sert une overdose d’individus sans charisme et sans légitimité, associés à des étrangers incompétents et arrogants. Comment avec cet attelage on peut prétendre conserver le pouvoir hérité par Omar Bongo Ondimba ?

Bien évidemment, rien ne peut fonctionner, puisque cela ne correspond à rien dans l’esprit du pouvoir en place. Vouloir changer les codes de gestion et de stabilisation du pouvoir est ambitieux mais cela nécessite une réflexion de fond, une sincérité dans la démarche engagée et du courage pour la mise en œuvre. On ne peut vouloir trier, à géométrie variable, des éléments du dispositif du grand maître en l’associant à des non sens merdiques et espérer que ça marche.

À ce niveau, les Saintes Écritures sont formelles. « On ne met pas du vin nouveau dans de vieilles outres ; sinon, les outres éclatent, le vin se répand et les outres sont perdues. On met au contraire le vin nouveau dans des outres neuves, et l’un et l’autre se conservent ». Nous y sommes avec le cas du pouvoir au Gabon.

Un disciple d’Omar Bongo Ondimba peut-il prétendre apporter le changement « radical » souvent clamé dans les discours et autres promesses de campagne ?  Selon le contexte, on peut dire non. Il y aura trop d’incohérences et de contradictions qui exploseront celui qui aura pris le risque d’être un « vieux » tissu associé à un tissu « neuf ». Tel est le cœur du problème du pouvoir d’Ali Bongo Ondimba.

Au gouvernement, c’est un assemblage de gens qui n’ont jamais rien prouvé par le passé, ni sur le plan professionnel encore moins sur le plan politique qu’on retrouve. Antonella Ndembet, Nestor Ekomie et Max Samuel Oboumadjogo, pour ne citer que ceux là, peuvent-ils nous conter leurs faits d’arme dans l’administration ou dans le PDG ?

À ce groupe sans épaisseur politique, on ajoute celui des hommes sans conviction. Voici tous ces gens qui ont violemment combattu Ali Bongo Ondimba en 2016, vendant le changement et chantant l’alternance, et se retrouvent au gouvernement. Quid de toutes leurs remarques et autres critiques ayant justifiées leur sortie du PDG, toujours d’actualité et avec plus d’acuité ?

Cela prouve bien qu’on est face à des opportunistes sans la moindre dignité et des manipulateurs dangereux qui seront vomis par tous. Ali Bongo Ondimba et sa maisonnée devraient s’en méfier s’ils espèrent encore se maintenir au sommet de l’État.

Enfin, il y a dans ce gouvernement des individus qui continuent de flotter malgré le poids de leur place dans le dispositif. Ils peinent à se créer un ancrage politique rassurant : les cas Vincent Massassa et Lee White sont plus qu’éloquents. La question de fond est alors de savoir, à l’heure du combat sur le terrain politique, que peuvent apporter ces gens peu crédibles et inconnus du peuple à un Ali Bongo Ondimba, fragilisé par la maladie et détenteur d’un bilan peu vendeur ?

Car, à ce niveau, il n’y a pas de place pour l’imposture ou pour l’amateurisme. En d’autres mots, nul ne peut gagner une guerre en apprenant à tirer sur le champ de bataille. Voici des éléments objectifs qui démobilisent le PDG. Comment et pourquoi, ceux qui ont combattu Ali Bongo Ondimba, voulant sa chute, se retrouvent au gouvernement quand ceux qui l’ont défendu comptent leurs heures de chômage et leurs centimes à la maison ? Cette injustice et cette ingratitude, malgré le retour vers quelques fondamentaux, se paieront cash en 2023.

En nommant un fang, Alain-Claude BILIE-BY-NZE, comme premier ministre, chef du gouvernement, Ali Bongo Ondimba a peut-être voulu renouer avec les fondamentaux laissés par le grand maître. N’est-ce pas trop tard malgré le dynamisme, la détermination et le courage du profil choisi ?  La question mérite d’être posée.

Au regard de la profondeur des problèmes accumulés, de l’éminence des élections générales dans notre pays, le temps semble faire défaut à ce représentant d’une communauté, selon l’esprit du pouvoir d’Omar Bongo Ondimba, quand en plus on constate que la guérilla qu’il subit sur les réseaux sociaux et autres médias est orchestrée par des inconscients du camp présidentiel. Il est clair qu’à cette allure, ce n’est pas ainsi que l’électorat fang s’associera aux ambitions d’Ali Bongo Ondimba même si c’est Alain-Claude BILIE-BI-NZE qui est devant.

D’ailleurs, c’est le seul moment où le Chef de l’État aurait dû rendre un de ses collaborateurs aussi fort que Brice Laccruche Alihanga s’il compte rester au pouvoir en toute quiétude. Les moyens financiers et humains auraient été ses vraies armes dans une situation où les collégiens du bord de mer ont foutu le bordel partout.

Comme dans cette situation particulière du Secrétaire général du PDG. Cet individu est une imposture en plus d’être un acteur transparent. Avec un Ali Bongo Ondimba fragilisé par la maladie, une fille de l’Ogooué-Lolo, héritière politique d’Omar Bongo Ondimba et potentielle candidate à l’élection présidentielle, comment peut-on avoir à la tête de son armée politique, le PDG, un inconnu, un amateur en politique et un fils d’un groupe ethnique minoritaire ?

Que pèse l’électorat du groupe ethnique de cet individu, sans racine politique, quand on sait que dans le jeu des alliances politiques, Omar Bongo Ondimba, appartenant au groupe Téké, une minorité, s’appuyait sur les Dzebis pour contrebalancer la force en nombre et en détermination des fang qui remplissaient les rangs de l’opposition traditionnelle ?

Et voici que les choses se présentent désormais différemment. Sur le tableau politique, il faudra compter avec Paulette Missambo et ses atouts multiples : enseignante de formation, leader politique formée par Omar Bongo Ondimba, ministre de la République, francophile, femme mâture et respectée, femme pondérée issue du deuxième groupe ethnique de notre pays, les Dzebis, épouse de Casimir Oyé Mba donc des fang, reconnue et acceptée comme tel, présidente de l’Union Nationale, parti politique de l’opposition attaché à la mémoire d’André Mba Obame.

C’est dire qu’à elle toute seule, elle concentre trop d’atouts qui pourraient convenir non seulement à l’opposition mais aussi à la majorité déçue par l’ingratitude, l’égoïsme et l’imposture des tenants du palais présidentiel. Pour beaucoup, elle ferait une présidente de la République normale. Un tel profil sous Omar Bongo Ondimba n’aurait jamais pu émerger en dehors de son périmètre. Car, en visionnaire, il y aurait vu un danger évident pour la stabilité de son pouvoir et pour sa succession.

Par conséquent, l’actualité suscitée par Jonathan Ignoumba et son projet de réconciliation entre Ali Bongo Ondimba et Guy Nzouba Ndama ne peuvent nullement menacer ou diluer la pertinence du profil précité, clairement en situation. Cette démarche d’un radical comme Jonathan Ignoumba ne peut que relever d’un calcul plutôt vicieux qui trouverait ses fondements dans la situation sanitaire imprévisible d’Ali Bongo Ondimba. En d’autres mots, que dit le bilan de santé du chef de l’État qui ramène à lui tous les charognards de la politique nationale ? Ces retours tout azimut au PDG devraient faire peur à Noureddine Bongo Valentin et à ses ambitions. Les chevaux de Troie en politique sont une réalité. Bref…

L’Ogooué-Lolo dont est originaire l’ancien président de l’Assemblée nationale, ne gâchera jamais l’éventualité de voir un de ses fils briguer la présidence de la République après avoir subi, sans avoir pourtant trahi, les humiliations du pouvoir actuel.

En plus, les faiseurs de roi dans le présent échiquier politique ne sont pas les cadres de cette province mais bien les fang. Autrement dit, les Dzebis ne donneront pas le parapluie à quiconque au moment où leur fille est sous la pluie.

Dans le même état d’esprit, Alexandre Barro Chambrier  qui en plus d’avoir du sang Essissis, un clan fang, a compris toute la nécessité de s’approprier la stratégie des alliances ethniques du grand maître, Omar Bongo Ondimba. Parmi les fidèles de sa démarche politique, on compte le député du canton Ellelem, Edgard Owono Ndong, qui jouit d’un respect honorable dans sa communauté.

Le fils d’Eloi Rahandi Chambrier a bien compris que la dynamique réalisée par sa communauté depuis 2016 étant encore vivace, associée à la force en nombre du peuple fang, il a toutes ses chances pour conquérir le fauteuil présidentiel si toutefois le jeu électoral se fait à la régulière.

À force d’exploser les codes de conservation du pouvoir laissés par Omar Bongo Ondimba, les tenants du palais présidentiel se retrouvent aujourd’hui fortement accablés par une réalité nouvelle, inconnue du narratif habituel qui voulait que l’ennemi politique tout désigné des autres ethnies, l’adversaire à combattre voire à abattre, soit l’homme fang. Hélas il a une nouvelle place dans l’équation de conservation du pouvoir. Que dire et quoi faire pour les gardiens du temple lorsque désormais l’adversaire politique est myènè ou Dzebi ? Mieux un collector d’étrangers incompétents ?

Des solutions pour reconstituer le mot perdu existent. Cependant, elles sont trop risquées pour Ali Bongo Ondimba et les siens par les temps qui courent. La jurisprudence Ségolène Royal de 2007 continue de faire école dans les écuries politiques.

Si les fang ne disposent pas de tous les atouts pour retrouver la place de Léon Mba, selon le présent contexte, ils peuvent au moins choisir qui sera le nouvel héritier du fauteuil présidentiel. N’est-ce pas la meilleure place ou un retour progressif et intelligent aux origines du pouvoir ? Jean Marc Ekoh Nguema peut être fier de sa réflexion sur la place des fang sur l’Échiquier politique national.

Par Télesphore Obame Ngomo

Président de l’OPAM

Paul Essonne

Journaliste

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