Dans la mosaïque des peuples qui constituent le Gabon (une cinquantaine d’ethnies et donc notre identité culturelle est plurielle), l’ethnie Ngwemyènè dont je suis issu (sous-ensemble NKOMI) se situe de Libreville au Nord à la Pointe Ste Catherine au Sud sur 300 Km le long de l’Océan Atlantique, et sur 200 Km de Port-Gentil à l’Ouest, à Lambaréné à l’Est, tout le long du Bas – Ogooué.
Je suis né dans une petite ile dénommée Aouta au Sud – Ouest du Gabon en Pays NKOMI. Dès lors, il me parait opportun de préciser ma personnalité de base source première de mon inspiration ; car l’être humain est soumis à une double exigence : conserver son identité et donc se perpétuer d’une part, se complexifier et donc évoluer d’autre part.
Dans mon île, la valeur fondamentale c’est NGULU ou énergie qui circule dans la nature à la manière d’un courant électrique qui meut et pénètre tout l’Univers : être humain, matière, génie, société, technique et fait ainsi des uns les parents des autres. Ce NGULU a été appelé « force vitale » par le Révérend Père TEMPLES.
Le Cosmos est donc dans son entièreté une entité unique constitué cependant de cinq sous-ensembles :
– NTCHE : la terre avec deux étendues l’Ouest et l’Est dans nos contes et mythes ;
– AWANAGA : les humains avec deux sous-ensembles, les normaux (PENDO) et ceux qui possèdent le vampire (ANYEMBA NYEMBA), polype logé dans les viscères dit-on ;
– AYAMA : les bêtes avec là aussi des sous-ensembles (bêtes, oiseaux, poissons, reptiles…) ;
– ELONGA : le séjour des morts avec deux sous-ensembles ; ceux qui étaient normaux de leur vivant (IKINDA), et ceux qui avaient le vampire (INYAMBE) ;
AWIRONDJOGO, le séjour des génies avec là aussi deux sous – ensembles les bons et les méchants. Tous ont le don d’OKOWE (voyance) et le don d’ubiquité.
On voit poindre ici l’essence de la philosophie africaine qui est constituée d’une dualité existentielle.
Il est ainsi à noter que la terre est un être vivant et sacré : la terre africaine d’où la chanson « AFRICA OBOTA », AFRICA notre Mère d’une part, et que de tous les êtres de l’Univers, les oiseaux sont les plus proches parents des êtres humains : ANYAMBE KERA (les humains descendant de KERA) et AYONI KERA (les oiseaux descendant de KERA) d’autre part.
De cette conception du monde, l’Afrique me donne un cadre d’inspiration constitué de quatre formes de musique :
– La musique profane qui est exaltation de la vie; on y dénombre : la musique de travail, la musique d’appel, la musique de réjouissances;
– La musique rituelle funèbre qui est expression du chagrin devant la mort;
– La musique d’initiation sous ses deux formes : initiation des classes d’âge et initiation aux choses sacrées;
– La musique de transe, la transe de possession par exemple : un esprit est sensé posséder une personne; musique frénétique incitant à la danse.
Qu’est-ce que je chante?
La musique en Afrique est expression de la vie. Tout peut être prétexte à chanson, excepté la haine qui divise et fait proliférer les solitudes. En particulier l’Afrique est ma Chanson; elle repose sur trois concepts clefs:
– Le service de la vérité, le refus du mensonge ;
– La quête de la liberté, lutte contre l’oppression sous toutes ses formes ;
– L’idéal de l’unité.
“Ma chanson est la voix des sans voix”
L’artiste travaille avec l’histoire de son pays ; il n’est pas au service de ceux qui font l’histoire, mais au service de ceux qui la subissent.
Elle traduit les rapport forts – faibles – dominants au Nord, dominés au Sud : esclavage, colonialisme, néocolonialisme, impérialisme et leur corolaire : guerres de libération avec les Nègres Marrons, Toussaint LOUVERTURE, NGUYEN VAN Troyes, TCHE GUEVARA, ABDER KADER, GHANDI, LUMUMBA, KIMBANGU, KWAME KHRUMA, JOSEPH RENDJAMBE, WONGO, EMANE NTOLE, OSSENDE AFFANA, UMNYOBE, BEHANZIN, MALCOM X, Martin LUTHER KING, Steeve BICO…
L’artiste doit prendre sa part de responsabilité par rapport au corps social. L’art ne doit pas n’être qu’un divertissement;
L’artiste amuseur n’est préoccupé que par les turpitudes de ses amours maudites.
Ainsi, pendant que les coalisés larguaient leurs armes de « destruction massive » sur la Côte d’Ivoire, la Lybie, l’Irak, l’Afghanistan ou bien encore, quand l’Apartheid de la minorité blanche sévissait sur la majorité noire en Afrique du Sud, une grande partie du Continent africain n’était considérée que comme un grand dancing et la spécialité de l’artiste musicien africain était de faire danser.
La démission des élites a favorisé la minorité dominante sur la plus grande majorité qui vit la pauvreté et même en dessous du seuil de pauvreté avec moins d’un dollar par jour pour vivre; d’où le paradoxe Pays riches / Peuple et Population pauvres.
Les pauvres n’ont pas la satisfaction des besoins fondamentaux : se loger, se nourrir, se vêtir, se soigner, s’éduquer, éduquer…
Les bourreaux se prennent alors pour des héros. Ici règnent l’art propagande et la paix des cimetières.
La prise de responsabilité de l’artiste par rapport au corps social participe à la conscientisation des masses et des jeunes générations ainsi que de l’opinion nationale et internationale.
C’est pourquoi l’artiste ne doit pas parler pour ne rien dire, l’artiste est la voix des sans-voix.
– Problème de mauvaise gouvernance:
Trop souvent çà et là, à travers l’Afrique, la minorité dominante dit « j’ai le pouvoir et donc la richesse qui va avec ». L’appétit du pouvoir force de tout manger même sans appétit oubliant que le ventre est le premier ennemi de l’homme. Les trop-riches fabriquent les pauvres. Ici règne l’art du divertissement.
La mauvaise gouvernance se traduit par la corruption, le pillage des richesses, la gabegie, le déficit de démocratie, la dictature, la misère par ci, la misère par là ; d’où les guerres fratricides avec des armes que l’Afrique ne fabrique pas. Les armes sont fabriquées par les grandes puissances et pendant que les Africains se battent, elles pillent nos richesses.
Luttes sans merci entre les Tenants de l’Alternance au Pouvoir (TAP), les Tenants de Partager le Pouvoir (TPP), les Tenants de Non Partager le Pouvoir (TNPP) et avec ceux-ci les mercenaires en cagoules.
Guerres fratricides: avec enrôlement d’enfants soldats, avec les femmes comme butins de guerre, viol de nos femmes, viol de nos mères, viol de nos sœurs, viol de nos frères.
Guerres fratricides: l’Africain considère alors son frère comme son ennemi et sa propre survie dépend dans ces conditions de la disparition de son frère.
Trop c’est trop!!! Plus jamais ça !!!
L’artiste est aussi ferment de contestation sans laquelle la société risque de se scléroser.
L’artiste engagé doit alors prendre la parole, il ne doit pas se taire.
L’artiste engagé doit s’indigner.
Sur un plan plus général l’art a pour mission d’éclairer les consciences, d’apaiser les cœurs. Pour l’artiste, l’alternative au statut quo s’obtient par la négociation, le dialogue et non pas par les armes.
La négociation, le dialogue, c’est un état d’esprit qui œuvre pour la préservation de la paix sociale par la promotion de la culture de la tolérance et le respect des différences : inutilité de la vengeance qui est un plaisir éphémère voire nuisible.
Car au demeurant, il y a cet immense besoin de l’être humain d’aller vers l’autre avec sa différence, de s’ouvrir à l’autre dans sa différence, de s’enrichir de cette différence-là.
En définitive, la mission de l’Art est d’observer et d’écouter le mouvement de la vie dans la société; cette observation débouche hélas trop souvent sur des atrocités.
Le projet de l’artiste c’est de proposer la réhabilitation du rêve dans la politique, un rêve de beauté, un rêve d’égalité et de fraternité, un rêve de liberté et de dignité, un rêve de justice avec l’espoir que ce rêve pourrait être traduit dans les actes et les comportements.
Frères et sœurs, canalisons toutes nos énergies en faveur de ce qui nous rassemble et combattons avec la dernière énergie tout ce qui nous divise.
L’Art, bien culturel, est un lien primordial entre tous les êtres humains; il importe dans l’intérêt de tous de redynamiser l’Art en revitalisant les talents, en enrayant les dangers.
Le but? Une société humaine unie, solidaire, prospère, et pour cela une condition:
La Paix.”
Pierre Claver AKENDENGUE “L’Afrique est ma chanson”