Il ne s’agit pas ici d’un récit ordinaire de favoritisme local ou d’un simple écart de gouvernance. Ce que révèle «l’affaire Koto », c’est l’ossature invisible d’un véritable système mafieux provincial, érigé sur près d’un demi-siècle et soigneusement maquillé sous les habits d’un pouvoir administratif. À l’instar d’autres mécanismes informels ayant gangrené l’État gabonais depuis les années 1970, cette structure repose sur des codes de silence, des règles non écrites, et une culture de la terreur sociale. Ce système n’est ni un hasard de l’Histoire, ni une dérive conjoncturelle : il est la conséquence d’un projet politique précis, lucide et organisé.
L’Ogooué-Lolo n’est pas seulement victime d’un retard de développement : elle a été sacrifiée sur l’autel d’un pacte clanique, qui a méthodiquement broyé toute voix dissonante, tout potentiel concurrentiel, toute vision alternative. Cette realpolitik locale, inspirée des méthodes de la Camorra plus que de l’État de droit, exige aujourd’hui une lecture sans fard, débarrassée des illusions réconciliatrices ou des appels abstraits à l’unité.
Face à un tel système, l’utopie naïve de réformes spontanées ou de transitions douces relève du mirage. Ce texte ne propose pas de rêver un monde meilleur : il impose d’abord de comprendre comment le pire s’est imposé comme norme, pour ensuite envisager, sans naïveté, les conditions d’une rupture. Rupture stratégique, parfois pacifique, parfois frontale, mais toujours lucide.
En 1974, dans un contexte postcolonial de réorganisation politique nationale, une architecture informelle du pouvoir se constitue autour du ministre Jean Martin Boungouere, originaire de l’Ogooué-Lolo. Fort de son assise gouvernementale et de son entregent au sein du parti-Etat, il organise la captation des positions stratégiques locales par cooptation clanique. C’est dans ce sillage que émerge la figure de Koto Ndzembi, nommé sénateur-maire de Koulamoutou en 1975.
Dès lors, une logique de filtration des talents se met en place : les critères de mérite et de compétence sont évacués au profit de la loyauté lignagère et du silence complice. L’accès à la fonction publique, aux bourses d’études, aux autorisations de projets, dépend de l’onction du « réseau ».
Entre 1980 et 1990, le réseau se consolide et prend forme d’une véritable « loi sociale« . Koto Ndzembi, promu conseiller politique départemental, centralise les nominations dans l’administration locale. En 1982, le terme « réseau des fils sûrs » est employé pour la première fois dans une note interne de la préfecture de Koula-Moutou, attestant de la codification de cette logique d’exclusion.
L’affaire Patrick Ikobou (1985) marque le premier scandale d’élimination politique publique : ce jeune enseignant et syndicaliste, connu pour ses critiques de la gestion locale, est muté à Makokou puis radié en 1987. L’article paru dans L’Union du 12 août 1987 consigne le caractère arbitraire de cette mesure. Cette année-là, d’autres figures sont discrètement écartées : Ernest Boumba, agent municipal, et Huguette Ndoutoume, infirmière-chef, tous accusés de « non-conformité au projet communautaire« .
Par cette double stratégie de terreur douce et d’ostracisation ciblée, la « loi Koto » s’impose comme une réalité sociopolitique mécanisée, dans une province où toute alternative est déjà perçue comme une trahison.
Jean Kevin Ngadi