« La ministre de la transition énergétique aurait dû déclarer ses liens familiaux avec une compagnie pétrolière »

La directrice générale d’Anticor, Béatrice Guillemont, réagit aux révélations de Disclose et Investigate Europe sur Agnès Pannier-Runacher, qui a dissimulé aux autorités l’existence d’une société familiale en lien avec Perenco, le numéro 2 du pétrole en France. 7jours info vous livre l’entretien du site Disclose.

« Pour être crédibles, il faut montrer que nous-mêmes on applique ce qu’on raconte ». Ces mots sont ceux de la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, qui ouvrait, lundi 7 novembre, la COP27 à Charm-El-Cheikh, en Egypte. Une « crédibilité » remise en question à la suite des révélations de Disclose et Investigate Europe, sur les liens cachés de la ministre avec une société familiale proche de Perenco, le deuxième producteur français de pétrole.

D’après notre enquête, Agnès Pannier-Runacher a dissimulé à l’administration l’existence d’une société baptisée Arjunem, créée en 2016 par son père, un ancien haut dirigeant de Perenco. La finalité de cette entreprise ? Transmettre aux enfants de la ministre un patrimoine de plus d’1,2 million d’euros, alimenté en partie par des fonds spéculatifs cachés dans des paradis fiscaux. Quelques heures après la publication de notre article, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a indiqué qu’elle allait « ouvrir des investigations à la suite de ce signalement ».

Nous nous sommes entretenus avec Béatrice Guillemont, directrice générale de l’association Anticor et docteure en droit de la probité, pour éclairer les enjeux juridiques de cette affaire.

Disclose – Un père ex-dirigeant d’une grande firme pétrolière, ses propres enfants propriétaires d’une société alimentée par des fonds opaques… La ministre de la transition énergétique est-elle en situation de conflit d’intérêts ?

Béatrice Guillemont – Oui, cela ne fait aucun doute : la ministre est dans une situation de conflits d’intérêts au sens de l’article 2 de la loi du 11 octobre 2013. En raison de l’exigence de probité, elle aurait dû déclarer ses liens familiaux avec une compagnie pétrolière. Dès son entrée au gouvernement en 2018 [en tant que secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances, NDLR], elle aurait dû se déporter de tous les dossiers liés à Perenco.

Avec un père au cœur d’une grande compagnie pétrolière, le conflit d’intérêts est devenu plus évident encore lorsqu’elle est devenue ministre de l’industrie en 2020. Et aujourd’hui, la situation est encore plus problématique avec son nouveau poste dans le grand ministère de l’écologie.

Elle devait donc, selon vous, déclarer à l’administration l’existence de la société Arjunem?

Il faut ici distinguer le droit de la probité et l’éthique des responsables politiques. Les situations de conflits d’intérêts familiaux sont encore mal réglementées, et d’un point de vue strictement légal, la ministre n’est pas tenue de déclarer à la haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) les liens financiers de ses parents et de ses enfants. Pour autant, son éthique personnelle aurait pu la soumettre à déclarer ces liens, même si d’apparence indirects.

Mais, pour des raisons éthiques, elle avait le devoir de les signaler dans la rubrique « Observations » de sa déclaration d’intérêts. La loi relative à la transparence de la vie publique dispose que les membres du gouvernement doivent déclarer à la HATVP « lorsqu’ils estiment se trouver » dans une situation de conflit d’intérêts. Cela va dans le sens du droit de la probité : l’obligation pour tout agent public d’exercer ses fonctions avec intégrité, honnêteté et désintéressement et l’interdiction de poursuivre un intérêt personnel dans le cadre du service.

La HATVP a annoncé, mardi 8 novembre, qu’elle allait ouvrir une enquête sur le cas de la ministre. Que faut-il en attendre ?

La Haute autorité pourrait déclencher un signalement auprès du procureur, au titre de l’article 40 du Code de procédure pénale. À défaut de pouvoir de sanction pénale ou administrative, la HATVP a fréquemment recours à l’article 40. Par ailleurs, elle use aussi de son pouvoir de transparence, en rendant public ses avis, rapports ou décisions pour sanctionner les personnes soumises à son contrôle en cas de manquement. On parle alors de sanction réputationnelle. Or, dans le cas de la ministre Agnès Pannier-Runacher, l’autorité n’a pas eu connaissance de la société, elle n’a donc pas pu remplir correctement sa mission de contrôle.

Cette affaire questionne en fait le périmètre de la HATVP, qui devrait être étendu au domaine familial. D’ailleurs, dès 2011, la commission Sauvé préconisait que l’autorité de contrôle puisse « demander communication, dans les cas litigieux, de la situation patrimoniale du conjoint séparé de biens, du partenaire ou du concubin ainsi que des enfants mineurs ». Malheureusement, la loi de 2013 sur la transparence de la vie publique et celle de 2017 pour la confiance dans la vie politique n’a pas retenu cette recommandation.

La question éthique que vous soulevez se pose aussi pour le montage financier dans lequel sont impliqués le père et les enfants mineurs d’Agnès Pannier-Runacher…

Absolument, car Arjunem est une « société civile de portefeuille », un statut fréquemment employé pour l’optimisation fiscale légale des grandes fortunes. En cas de décès de Jean-Michel Runacher [associé et gérant d’Arjunem, NDLR], sa fille, Agnès Pannier-Runacher, et ses enfants sont des héritiers en ligne directe. Ils sont donc normalement soumis au droit des successions par l’Etat. Mais la société civile, elle, ne meurt jamais. La part du patrimoine familial détenue dans Arjunem ne sera donc pas imposée au même niveau par l’Etat.

Paul Essonne

Journaliste

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