De l’apprentissage des langues locales gabonaises : A qui revient la responsabilité ?

L’enseignement des langues locales engage actuellement de nombreux enjeux sociétaux, y compris méthodologiques. Cela non seulement dans le cadre du plurilinguisme et de la multi-culturalité que l’on doit préserver et cultiver si l’on veut éviter la mondialisation uniformisante et aliénante qui menace, mais aussi à propos du statut des enseignants de langues.

En tout état de cause, en dépit des référentiels, des programmes et autres contraintes ou conditionnements auxquels les enseignants sont soumis, ils doivent être responsables des finalités qu’ils visent et des méthodes qu’ils emploient en classe, mais aussi des politiques linguistiques, éducatives, idéologiques, finalement, auxquelles ils apportent leur contribution dans leur enseignement. La performance et l’innovation que l’on réclame de manière de plus en plus pressante de la part des enseignants sont bien sûr des objectifs louables, pour autant qu’ils soient mis au service d’un projet humaniste à long terme.

Car, rien n’est jamais réglé dans l’enseignement, qu’il faut sans cesse remettre sur le métier les données et les approches, qui ne cessent de varier les unes et les autres, d’un endroit à l’autre, d’une époque à l’autre, serait-ce à quelques années d’intervalle, et surtout qu’il faut sans cesse revoir les conclusions et vérifier les débouchés que la société et ses décideurs leur réservent.

Les typologies et les terminologies, sur le terme à donner à certains phénomènes et sur le sens à donner à certains termes sont nécessaires : Langue maternelle, familiale, première, deuxième, seconde, vernaculaire, de référence, étrangère, de base, usuelle, d’apprentissage, véhiculaire, d’intégration, de survie. Il faut dire qu’en matière de classifications et de classements, les enseignants sont parfois poussés dans le dos par les responsables politiques et éducatifs qui souhaitent catégoriser, contrôler, évaluer, étiqueter, étanchéifier les situations diverses et variées, bien sûr pour décider comment intervenir à bon escient mais surtout avec économie.

Les questions sur l’apprentissage des langues locales sont aussi subtiles que complexes, comme les humains qu’elles concernent et comme la vie qu’ils mènent, et que les critères et les modèles auxquels les enseignants recourent, y compris sur base d’enquêtes, de statistiques, d’expériences, n’ont jamais pu, ne peuvent et ne pourront jamais donner entièrement satisfaction, qu’ils induiront toujours une représentation limitée, biaisée, figée. Et que se servir des travaux scientifiques, aussi documentés, rigoureux et scrupuleux soient-ils,  pour en dégager des normes, des règles, des instructions, des sélections, c’est toujours prendre le risque de réduire, de sous-évaluer, de décourager, de discriminer, de condamner.

Les langues s’apprennent naturellement, que chacun naît avec des capacités innées pour les comprendre et les parler pourvu qu’il y soit entraîné le plus tôt et le plus souvent possible, et que l’enseignement ne peut y faire grand-chose, que ce soit à l’égard de ceux qui apprennent spontanément et facilement les langues ou, à l’inverse, à l’égard de ceux qui ne sont pas intéressés ou doués. On connaît les limites de l’école et des contraintes qu’on y exerce.

La langue est un instrument complexe et subtil dont il faut bien connaître le système et les rouages pour savoir en bien maîtriser l’usage. Il faut le dire et redire : les langues ne sont pas des disciplines interchangeables et emboîtables comme les autres. Leur apprentissage engage des processus cognitifs d’acquisition et requiert des investissements socio-affectifs beaucoup plus longs, complexes, subtils, exigeants que les autres apprentissages, et leurs enjeux et implications sont plus déterminants pour la personnalité et l’avenir de l’apprenant. En tant qu’enseignant de langues et de cultures étrangères ou aux étrangers, je terminerai donc en plaidant ardemment en faveur des langues et des cultures maternelles que chaque enfant doit s’approprier et chaque adulte cultiver avant tout autre chose, sans se priver bien sûr de les critiquer, de les modifier, de les enrichir, mais que l’on ne doit en aucun cas sacrifier sur l’autel du plurilinguisme et de l’interculturalité au nom de la mondialisation, sous peine de devenir et de formater des êtres sans racines ni repères, de mener des vies hors-sol dans une humanité virtuelle.

Serge Kevin Biyoghe

Rédacteur en Chef, Journaliste-Ecrivain, Sociétaire de la SCAM (Société Civile des Auteurs Multimédias), membre de la SGDL (Société des Gens De Lettres), membre du SFCC (Syndicat Français de la Critique de Cinéma), membre de l'UDEG (Union Des Écrivains Gabonais).

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