Analyse d’un universitaire américain sur le coup d’Etat au Gabon

Ali Bongo a été renversé dans la nuit du 30 août 2023 comment analysez-vous ce coup d’État ?
■ C’est relativement simple, à mon avis. Ali Bongo ne s’est jamais remis de l’accident vasculaire cérébral de 2018 et de nombreux membres de l’ancien régime n’avaient pas confiance en lui, tant pour diriger le Gabon que pour protéger leurs intérêts financiers et politiques. Brice Oligui Nguema a vu une opportunité. Je pense qu’il était motivé par une combinaison d’intérêt personnel et de patriotisme : plutôt le premier, si je devais deviner, mais peut-être aussi le second. Les 56 années de règne des Bongo n’ont pas servi les intérêts du Gabon, c’est le moins que l’on puisse dire, et je suis tout à fait disposé à croire qu’Oligui Nguema  veut faire mieux.

Ce qui est frappant, rétrospectivement, c’est à quel point la loyauté envers le régime Bongo était transactionnelle. Oligui Nguema était un collaborateur de longue date, remplaçant de Frédéric Bongo, chef de la Garde républicaine, et (semble-t-il) un cousin éloigné. Des soldats de la Garde républicaine ont été filmés en train de chanter « Je m’en fous d’Ali Bongo » juste après le coup d’État. Le PDG a rapidement fait part de sa volonté de collaborer. Même certains membres de la famille Bongo ont félicité Oligui et les autres conspirateurs immédiatement après le coup d’État, alors que la localisation de Bongo, Sylvia et Noureddine restait incertaine. Il est remarquable de constater la rapidité avec laquelle le régime s’est effondré. La loyauté, une fois de plus, était transactionnelle. Le régime n’avait manifestement aucune légitimité réelle. Ce n’est pas surprenant, bien sûr. Tous ceux qui ont suivi la politique gabonaise savaient que c’était presque certainement le cas. Mais c’est tout de même frappant à voir.

J’ajouterai : Même Ali Bongo Bongo m’a semblé quelque peu soulagé. Il devrait l’être. Pour lui, c’est un bon résultat, du moins jusqu’à présent. Son état de santé limitait sa capacité à fonctionner, ce dont je suis sûr qu’il était conscient. Je soupçonne qu’il s’est senti obligé de rester parce qu’il ne savait pas quel serait le sort de sa famille s’il démissionnait. Seraient-ils poursuivis au Gabon ? Extradés vers la CPI ? Poursuivis en France dans le cadre de l’affaire des biens mal acquis ? Cela peut changer, bien sûr. Peut-être qu’un futur gouvernement – même Oligui Nguema  – jugera politiquement utile de les poursuivre ou de les extrader, et Noureddin Bongo Valentin  est clairement exposé. Noureddin Bongo Valentin peut très bien être poursuivi, condamné et gracié. Mais pour un dictateur déchu qui a volé une énorme quantité d’argent et ordonné une série de violations des droits de l’homme, le nouveau régime a été remarquablement gentil avec lui.

_*Ali Bongo a obtenu un soutien timide de la communauté internationale, qu’en pensez-vous ?*_
■ Oui, très timide. Cela ne m’étonne pas. Comme nous le savons tous, la famille Bongo a longtemps fourni du pétrole bon marché à la France en échange de richesses et de protection. Mais la production pétrolière du Gabon est en baisse, et donc sa valeur géopolitique aussi. Les gouvernements occidentaux sont beaucoup plus préoccupés par le Sahel : en particulier, la propagation de la violence extrémiste et l’influence russe, qui, selon les preuves disponibles, ont toutes deux eu des conséquences terribles pour les citoyens ordinaires. Malgré les efforts récents de M. Ali Bongo pour se faire des amis puissants à Washington – en partie pour compenser la baisse de sa valeur économique à Paris – personne n’est triste de le voir partir. Compte tenu de l’attention considérable portée au Sahel, je pense que Washington finira par coopérer avec M. Brice Oligui Nguema, même si c’est à contrecœur, tant qu’il sera perçu comme apportant une certaine stabilité.

_*Brice Oligui Nguema, le nouvel homme fort du Gabon n’a pas donné de durée pour la transition qu’en pensez-vous ?*_
■ C’est inquiétant, sans aucun doute. J’espère que Raymond Ndong Sima a raison : il s’agira d’un processus d’environ deux ans. Mais ce qui est encore plus préoccupant, c’est l’incertitude quant à l’éligibilité de M.Brice Oligui Nguema  à l’élection présidentielle et l’apparente réticence du nouveau gouvernement à clarifier cette question. Le nouveau régime semble également avoir pris le contrôle de l’appareil de propagande des Bongo, qui semble de plus en plus faire de la propagande pour Brice M. Brice Oligui Nguema. Je pense qu’il est probable qu’Oligui Nguema  se présentera aux élections – si c’est le cas, il gagnera – à moins qu’il n’y ait une pression généralisée pour qu’il ne se présente pas. Je suis inquiet et je pense que les citoyens gabonais devraient l’être aussi. M. Raymond Ndong Sima a récemment suggéré que M. Brice Oligui Nguema  ne devrait pas se présenter.

_*On voit plusieurs anciens cadres de l’ancien parti au Pouvoir se redéployer dans le nouveau régime quel commentaire en faites-vous ?*_
■ L’interprétation charitable est que M. Brice Oligui Nguema  et d’autres hauts fonctionnaires veulent inclure des personnes d’origines diverses dans le gouvernement et les institutions de transition. Il y a certainement des preuves de cette volonté : Laurence Ndong, Mays Mouissi et Marc Ona Essangui, entre autres. Mais les anciens collaborateurs de Bongo sont bien plus nombreux et le gouvernement a également libéré plusieurs anciens collaborateurs de Bongo qui purgeaient des peines pour des délits divers, souvent après avoir été épurés pour des raisons politiques. Le plus connu est bien sûr Brice Laccruche. L’absence de justification publique de sa libération est préoccupante.

À mon avis, il s’agit d’un signal implicite que le nouveau régime ne créera probablement pas de commission du type « Vérité et réconciliation » pour documenter la corruption massive des dernières décennies. C’est regrettable, mais ce n’est pas très surprenant. De nombreux membres éminents de la classe politique gabonaise ont collaboré d’une manière ou d’une autre avec le régime Bongo, et je soupçonne que nombre d’entre eux ont commis des actes répréhensibles qu’ils ne souhaitent pas voir révélés.

Pour être clair, je pense qu’une commission du type « Vérité et réconciliation » serait très utile pour aider les citoyens gabonais à faire le point sur le vol massif, qui a duré des décennies et qui a dilapidé leur richesse pétrolière. Je crains toutefois que cela soit de plus en plus improbable, à l’exception de quelques poursuites symboliques motivées par des considérations politiques. Mais j’espère me tromper.

_*Albert Ondo Ossa a-t-il encore un avenir politique au Gabon selon vous ?*_
■ Certainement, je pense. Il a été très perspicace. Ses « Osons croire » reflétaient l’humeur du moment, mais il s’est également montré critique à juste titre, notamment lorsqu’il a suggéré qu’il pourrait s’agir d’une « révolution de palais » plutôt que d’une « révolution populaire ». Il a également pris soin de ne pas critiquer le régime, probablement en raison de l’incertitude entourant sa volonté d’autoriser les critiques. Il se trouve dans une position difficile, mais je pense qu’il a été très intelligent et qu’il a fait preuve d’une prudence appropriée. Si cela se produit, je m’attends à ce qu’il soit candidat aux élections de 2025. Je n’exagérerais toutefois pas sa popularité. Sa part dans l’élection de 2023 reflétait un vote anti-Bongo, plutôt que, je pense, un vote pro-Ondo Ossa. Ainsi, même si je pense qu’il a un avenir politique, je ne l’exagérerais pas.

_*Quel est votre mot de la fin ?*_
■ Le mercredi 30 août au matin, j’espérais que ce serait le début d’une nouvelle ère, même si, ces dernières années, relativement peu de coups d’État militaires ont donné naissance à de nouveaux gouvernements démocratiquement élus. Deux semaines plus tard, je suis moins optimiste. Le gouvernement de transition a fait plusieurs choix fantastiques pour des postes ministériels, mais je me demande combien de temps il pourra rester de bonne foi.

Brett L. Carter, universitaire américain (université de Californie du sud, Université de Stanford), auteur et membre du Think thank Hoover institution, a confié à Mondafrique son analyse sur la situation au Gabon.
Paul Essonne

Journaliste

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