« Afin que la sphère d’opportunités ne devienne pas une sphère d’agressivité » prévient Serge Abslow.

Le Gabon est devenu officiellement membre du COMMONWEALTH. Je dis bravo au Président pour cette initiative. C’est une bonne nouvelle car cette adhésion ouvre de nouvelles perspectives à notre pays, qui, grâce à ses potentialités naturelles, y captera nécessairement de belles opportunités.

Mais j’émets par la même occasion un doute légitime pour la jeunesse gabonaise. Elle vient d’être engagée dans un défi auquel elle n’est pas forcément préparée. Cette jeunesse qui n’a jamais véritablement trouvé sa place dans l’espace francophone réputé moins compétitif, risque de peiner à trouver un couloir existentiel dans ce Commonwealth ultra compétitif.

Pour cause, on n’a presque rien fait pour la préparer aux défis auxquels elle va être confrontée demain. Le premier défi est celui de la maîtrise de la langue anglaise dont chacun conviendra avec moi qu’elle continue d’être un accessoire dans le système éducatif gabonais.

Si l’anglais y est enseigné depuis la sixième, il n’a jamais été érigé au rang d’un savoir-faire véritablement utile à la vie active. Et pourtant, nous savons tous que cette langue est la première langue pratiquée dans le monde par le fait qu’elle est la plus exigible aux compétences les plus pointues, qu’elles soient techniques ou scientifiques.

Combien de gabonais, jeunes ou vieux, continuent d’être incapables en 2022 de lire et comprendre une simple notice d’appareil domestique ou de médicament en anglais?

Dans ma vie antérieure, dans divers séminaires et forums (foras) auxquels j’ai pris part à travers le continent, il m’a été donné de constater la dictature de la langue anglaise sur les autres idiomes.

En dépit de la contestation des héritiers des autres langues, l’anglais est constant et incontournable et son usage systématique dans les rencontres professionnelles internationales, oblige très souvent les francophones, les lusophones et les hispanophones à s’y convertir. À l’inverse, les anglophones sont réfractaires à ces langues.

Pour que la non maîtrise de l’anglais par les gabonais ne soit pas un handicap demain pour l’intégration de nos jeunes à cette nouvelle sphère de compétition qui s’ouvre à eux, il aurait fallu que l’adhésion au Commonwealth soit précédée par l’érection par l’Etat de la langue anglaise en deuxième langue officielle.

En effet, l’anglais ne doit plus être un artifice éducatif qui ne sert qu’à former les seuls professeurs et traducteurs de cette langue, d’une part, et qui ne représente dans l’imaginaire des jeunes gabonais, qu’un instrument de frime qui ne produit d’effet qu’au bar, d’autre part. L’anglais doit sortir des sentiers battus par une application concrète aux autres matières et à la vie quotidienne.

Cela n’est possible que par une réforme en profondeur des curiculas scolaires et universitaires. Sans cette mue qui appelle à une véritable révolution de notre système éducatif, cette adhésion brutale, non préparée et non planifiée au Commonwealth, est comme envoyer les gabonais aux casse-pipes.

Sinon, ce qui s’apparente à un espace d’opportunités, deviendra pour les jeunes gabonais, fragiles et fébriles face à l’adversité, un espace d’agressivité qui tuera les talents plutôt que de les révéler. C’est cette fébrilité qui s’est d’ailleurs manifestée dans le petit discours inaugural de notre adhésion dans cet espace, curieusement prononcé à Kigali par notre ministre des Affaires étrangères dans la langue de Molière plutôt que de Shakespear.

Paul Essonne

Journaliste

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