Le ministre des Transports et de la Logistique, Ulrich Manfoumbi Manfoumbi, entend redynamiser le secteur du transport routier au Gabon. Une initiative salutaire et attendue, tant ce secteur pilier de la mobilité des populations et de l’activité économique nationale a souffert de décennies de négligence, de corruption systémique et de mauvaise gouvernance.
Toutefois, redynamiser le transport routier ne saurait se limiter à l’achat de nouveaux bus ou à l’inauguration de quelques gares routières. Car si ces actions sont menées sans mécanismes rigoureux de suivi, dans l’opacité, ou livrées à la prédation des fonds publics, elles ne feront que reproduire les échecs du passé.
Le véritable problème du transport routier au Gabon est d’abord moral et structurel. Il s’agit d’un secteur rongé par la gabegie, l’absence de reddition des comptes, des infrastructures dégradées, des recettes encaissées sans traçabilité, et une chaîne de responsabilités éclatée.
Il est illusoire de parler de performance publique lorsque les chauffeurs encaissent en espèces, sans système de billetterie numérique, sans contrôle des flux, ni vision d’ensemble des trajets effectués. Il est incompréhensible qu’une route de 10 km nécessite cinq ans de travaux, alors que les budgets sont disponibles.
Face à cette situation, une réforme systémique, cohérente et multidimensionnelle s’impose. Elle doit s’articuler autour de six axes majeurs :
1.𝐀𝐬𝐬𝐚𝐢𝐧𝐢𝐬𝐬𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭 𝐝𝐮 𝐜𝐥𝐢𝐦𝐚𝐭 𝐦𝐨𝐫𝐚𝐥 𝐞𝐭 𝐢𝐧𝐬𝐭𝐢𝐭𝐮𝐭𝐢𝐨𝐧𝐧𝐞𝐥.
Sans intégrité, aucun financement, aussi important soit-il, ne produira d’impact durable.
-Un audit indépendant du secteur doit être mené pour cartographier les zones de corruption, les flux financiers et les pratiques opaques.
-Une cellule spéciale de lutte contre la corruption dans les transports, rattachée à un organe indépendant, doit être instituée.
-L’éthique professionnelle doit être restaurée par une charte de déontologie obligatoire et des formations continues en gouvernance publique.
2. 𝐍𝐮𝐦𝐞́𝐫𝐢𝐬𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐝𝐮 𝐜𝐨𝐧𝐭𝐫𝐨̂𝐥𝐞 𝐝𝐞𝐬 𝐟𝐥𝐮𝐱 𝐞𝐭 𝐝𝐞𝐬 𝐫𝐞𝐜𝐞𝐭𝐭𝐞𝐬.
L’ère du cash non traçable doit prendre fin.
-Instaurer la billetterie électronique obligatoire dans les véhicules publics (tickets QR code, paiements mobiles, cartes prépayées).
-Équiper tous les bus d’un GPS connecté à une base de données centralisée, pour assurer un suivi en temps réel des trajets, arrêts, recettes et pannes.
-Mettre en place une plateforme de supervision numérique supervisée par l’État.
3. 𝐂𝐫𝐞́𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐝’𝐮𝐧𝐞 𝐀𝐮𝐭𝐨𝐫𝐢𝐭𝐞́ 𝐍𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧𝐚𝐥𝐞 𝐝𝐞 𝐑𝐞́𝐠𝐮𝐥𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐝𝐮 𝐓𝐫𝐚𝐧𝐬𝐩𝐨𝐫𝐭 (𝐀𝐍𝐑𝐓).
Pour assurer la régulation indépendante, continue et transparente du secteur.
-Composée d’acteurs issus de la société civile, du secteur privé et d’experts techniques.
-Chargée de l’évaluation des projets, du suivi des concessions, de la régulation tarifaire et de la publication d’un rapport annuel de performance publique.
4. 𝐌𝐨𝐛𝐢𝐥𝐢𝐬𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐝𝐞 𝐟𝐢𝐧𝐚𝐧𝐜𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭𝐬 𝐞𝐭 𝐝𝐞 𝐩𝐚𝐫𝐭𝐞𝐧𝐚𝐢𝐫𝐞𝐬 𝐭𝐞𝐜𝐡𝐧𝐢𝐪𝐮𝐞𝐬 𝐜𝐫𝐞́𝐝𝐢𝐛𝐥𝐞𝐬.
L’État seul ne peut relever ce défi.
-Mettre en œuvre des partenariats public-privé (PPP) transparents pour la modernisation des infrastructures, le renouvellement du parc roulant, et la création de plateformes logistiques.
-Cibler les institutions financières et entreprises reconnues : BAD, Banque Mondiale, fonds souverains transparents, groupes de transport comme Keolis, RATP ou Transdev.
5. 𝐈𝐧𝐭𝐞𝐫𝐜𝐨𝐧𝐧𝐞𝐱𝐢𝐨𝐧 𝐝𝐞𝐬 𝐩𝐫𝐨𝐯𝐢𝐧𝐜𝐞𝐬 𝐩𝐚𝐫 𝐮𝐧 𝐫𝐞́𝐬𝐞𝐚𝐮 𝐫𝐨𝐮𝐭𝐢𝐞𝐫 𝐟𝐢𝐚𝐛𝐥𝐞.
Un pays fragmenté ne peut se développer harmonieusement.
-Lancer un programme prioritaire “Routes des Neuf Provinces”, pour connecter durablement le territoire.
-Mettre en place des appels d’offres ouverts avec pénalités de retard, accompagnés d’un suivi citoyen des chantiers par des ONG spécialisées ou plateformes numériques.
6. 𝐂𝐡𝐚𝐧𝐠𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭 𝐝𝐞𝐬 𝐦𝐞𝐧𝐭𝐚𝐥𝐢𝐭𝐞́𝐬 𝐞𝐭 𝐭𝐫𝐚𝐧𝐬𝐩𝐚𝐫𝐞𝐧𝐜𝐞 𝐩𝐚𝐫𝐭𝐢𝐜𝐢𝐩𝐚𝐭𝐢𝐯𝐞.
La réforme ne réussira que si elle est portée par l’ensemble des acteurs.
-Lancer une campagne nationale “Le transport est un bien public”, à destination des usagers, des professionnels et des administrations.
-Créer une plateforme numérique de signalement citoyen pour dénoncer les abus ou dysfonctionnements.
-Associer les syndicats de chauffeurs et associations de transporteurs dans la co-construction des politiques publiques.
En d’autres termes, redynamiser le transport routier au Gabon n’est pas un simple projet d’infrastructures. C’est une entreprise de refondation morale, de modernisation technologique, d’efficience budgétaire et de gouvernance publique. La réussite de cette transformation dépendra d’une seule condition : la volonté politique réelle et assumée d’en finir avec les pratiques du passé.
Sans cela, les bus rouleront peut-être… mais c’est l’espoir des Gabonais qui continuera à stagner.
Gaston Bekale. Citoyen engagé.

