Lettre ouverte de Philippe César Boutimba Dietha « aux populations gabonaises et au gouvernement de la République sur notre dépendance à la farine de blé ».

Depuis plus de 20 ans, nos pouvoirs publics grattent la tête devant les fabricants de pain. À chaque fois il faut négocier le prix et le poids de la baguette. Pourquoi notre pays n’a-t-il pas sa propre boulangerie? Pourquoi ne produit-il pas ses propres céréales? Les nzèbi disent que la nourriture qu’on mendie ne rassasie jamais.

Au début des années 1980, le pain n’était pas notre aliment de base. Nos parents éduqués au village, n’étaient pas séduits par la consommation de la baguette de blé. Pendant toute mon enfance, je n’ai jamais vu un seul foyer librevillois stocker du pain au congélateur. Nos ascendants nous ont plutôt appris à savourer le manioc, la banane, l’igname, le taro, les feuilles de manioc, la boîte sardines à l’oseille, le poisson fumé au nièmbuè et bien d’autres aliments du terroir. Oui la baguette existait, mais elle pourrissait parfois chez le boutiquier, à tel point que chaque matin, le « malien » vendait d’abord les restes de la veille avant de donner la livraison du jour  Le pain durci était jeté à la poubelle, livré aux oiseaux ou distribué aux malades mentaux du quartier.

À cause de tout cela, le pain coûtait 45 FCFA, puis 60 FCFA en 1982. Toutes les « mamans gâteaux » du Gabon étaient obligées de s’adapter: deux « gâteaux bananes » coûtaient 5 FCFA, et un « gâteau farine » valait 10 FCFA.

Dans nos quartiers populaires, des mamans partaient cultiver des champs aux villages Bambouchine, Nkoltang, Nkok, Okolassi et Plaine Ayeme, Premier Campement, Malibé, Makouengue, Martel et Santa Clara. D’autres se ravitaillaient directement à Makouké, Four Place, Palm-Hévéa, Ekouk, Agricole, Ayeme Bokoué, Kougouleu, Ayeme Agoula et Ntoum. Les marchés de Libreville étaient bondés de denrées alimentaires bon marché. Dans les années 1980, un paquet de manioc coûtait 1000 FCFA. Le panier de la ménagère était généralement rempli.

Nos comportements alimentaires ont commencé à radicalement changer à partir des lycées et collèges de l’époque. Quand l’État supprima les internats, une nouvelle mode alimentaire apparut dans tout le pays: le pain au beurre, le pain au chocolat, le pain au pâté, le pain à la viande hachée. Les élèves du secondaire s’entassaient devant le comptoir des boutiquiers, comme des insectes attirés par la lumière. Subitement le prix de la baguette passa de 60 à 90 FCFA, puis de 90 FCFA à 100 FCFA, puis de 100 FCFA à 125 FCFA. Ce fut aussi l’époque de la fameuse « eau des cadavres » que les vendeurs de sandwiches achetaient à Gabosep et l’utilisaient dans les aliments pour séduire les élèves.

Un autre phénomène apparut au milieu des années 1990. Lorsque l’UNESCO et l’UNICEF encouragèrent nos pays à scolariser les enfants dès l’âge de 3 ans, les arguments étaient si pertinents que nos experts y adhérèrent les yeux fermés. Les quelques centres préscolaires du ministère des affaires sociales furent noyés par des milliers d’initiatives privées. Sauf qu’une nouvelle mode alimentaire apparut chez les petits enfants: le goûter, essentiellement fait à base de blé. En résumé, les populations gabonaises qui dépendent aujourd’hui du pain, sont les lycéens des années 1985-2022, et les maternelles de 1995 à aujourd’hui. Maintenant posons-nous quelques questions:

1) Qui s’est enrichi dans le monde entier à partir de notre dépendance au blé?
2) Pourquoi nos politiques d’autosuffisance alimentaire ont-elles du mal à aboutir depuis 30 ans? À qui profitent les échecs de Sogadel, Sodepal, AGRIPOG, IGAD, FIDA, FAGA, GRAINES et plusieurs autres?

Les nzèbi disent que celui qui marche dans la boue laisse toujours son empreinte.

Philippe César Boutimba Dietha

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