Protéger le patrimoine : qui serait contre ? Il y a de nombreux monuments en souffrance, il y a même péril en la demeure avec le cas de l’Ecole Nationale des Arts et Manufactures (ENAM). Créée en 1982 par le président Omar Bongo Ondimba, dans le but de mettre un accent particulier sur l’art et la culture, cette école de formation à de multiples sections notamment les arts plastiques, les arts dramatiques, les sculptures, les poteries, les arts graphiques.
L’ENAM, qui devait constituer de nos jours, le berceau de la formation en matière de l’esthétique nationale, en juger par les expressions artistiques plurielles développées par les artistes nationaux est aujourd’hui à l’abandon. Le temps presse, peut-être même est-il déjà trop tard. Ce discours n’est pas neuf ; il est même aussi ancien que la notion de patrimoine, entendu comme héritage collectif à conserver, à connaître et à transmettre.
Chaque dégradation, accidentelle ou intentionnelle, d’un monument tel que l’ENAM déclenche un concert de désolations d’autant plus désespérées qu’on est impuissant à empêcher le désastre. Protéger le patrimoine est devenu un impératif à ce point catégorique.
L’ENAM tire sa force mobilisatrice de ce qu’il est déclaré propriété commune. Manifestation tangible mais toujours menacée d’un passé envisagé comme la matrice de l’identité du Gabon, sa conservation est d’utilité publique et relève donc d’une responsabilité collective. Si le ministre de la Culture et des Arts Michel Menga M’Essone est soucieux d’incarner l’éthos national, il en va de son devoir de montrer que ces questions lui tiennent à cœur. Car constituer un héritage commun ne va pas sans réveiller les différentes conflictualités plus ou moins larvées au creux de chaque société.
Sauver l’ENAM, ce serait renouer avec une convivialité, une identité perdues. La promotion d’une identité nationale ou locale authentique s’impose d’autant plus facilement qu’elle apparaît comme l’instrument privilégié de la lutte contre l’uniformisation culturelle dénoncée par les contempteurs de la mondialisation.
La valeur patrimoniale de l’ENAM ne s’impose pas d’emblée, elle demande une acculturation du regard. Il est nécessaire d’adosser les vestiges du passé à une présentation narrative. Pour être efficace, la patrimonialisation doit opérer une simplification des connaissances issues des travaux historiques, en en éliminant les scories susceptibles de gêner une compréhension rapide et consensuelle du site valorisé.
Dans un faux paradoxe, les menaces qui pèsent sur l’ENAM n’ont jamais semblé aussi prégnantes que depuis que la nécessité de sa préservation a cessé de faire débat. Même l’individu le plus ignorant des questions d’art ou d’histoire reconnaîtra sans peine l’importance de la sauvegarde de ce patrimoine.