Le chef du village Moukandi dans le département de l’Ogoulou dont Mimongo est le chef de département est mort. Il n’a pas survécu à une hernie étranglée qui a été amplifiée par les conditions de son évacuation par Koulamoutou. Je veux bien croire que son décès était déjà acté par Dieu, puisqu’il est déjà admis que les malheurs de ce pays sont le fait de Dieu. Et qu’il ne sert à rien de s’en lamenter outre mesure.
Le vieux Moukandi alias « Zizi » est mort sitôt arrivé au centre hospitalier regional Amissa Bongo de Franceville, après que l’hôpital de Koulamoutou se soit révélé incapable de traiter une hernie de cette nature pour faute de logistique et certainement de médicaments. Il a donc fallu rejoindre la province sœur, par un autre moyen de transport que je n’ose pas imaginer, pour que sa prise en charge soit à peu près normale.
Mais elle n’aura hélas pas suffi à le maintenir en vie puisqu’il succombera a son mal dans la foulée. Ce drame comme de nombreux autres avant lui, aurait pu être évité de mille manières possibles. Il est le lot commun à des dizaines de milliers de gabonais à travers le territoire national. Ils meurent par abandon, par négligence, par indigence, par incompétence et surtout par non assistance des pouvoirs publics, à quelque niveau que ce soit.
Ils meurent par milliers sur la route, ils meurent dans la mer, ils meurent en ville, ils meurent dans les villages, ils meurent à l’étranger, ils meurent dans les maisons, dans les bureaux, dans les églises et dans les mbandjas… Ils meurent de maladie, ils meurent de faim, ils meurent d’accidents, ils meurent d’assassinats… Ils meurent partout ainsi de fatalisme car ils ne trouvent point de solutions viables à leurs problèmes existentiels.
La mort du vieux Moukandi est l’illustration parfaite de l’abandon du peuple gabonais à son triste sort par les pouvoirs publics. J’ai encore en mémoire les sanglots de son collègue, chef du canton Haut Dikobi, essayant dans une adresse improvisée, d’attirer encore l’attention des autorités. Quelle triste et pénible scène! Comme un mendiant de la dignité humaine, il m’a brisé le cœur par sa propre indignité mise à nue par cette scène pathétique.
Et depuis que cette pénible scène s’est déroulée avec son épilogue tragique, je n’ai point entendu la moindre prise de parole, ni des autorités locales, ni des autorités régionales et encore moins des autorités centrales. Elles ont choisi de garder le silence devant cet indicible moment de honte qui a mis à nu la triste réalité gabonaise d’aujourd’hui. Ils revendiquent s’il en faut, leur mépris pour le petit peuple.
Il n’y a point de vérité que le temps ne révèle. Et chaque gabonais où qu’il se trouve dans ce pays et même à l’étranger sait désormais que l’abandon, la négligence, l’indigence, l’incompétence et la non assistance de l’état et de ceux qui l’incarnent localement, régionalement et au plan national, sont autant d’épées de Damoclès suspendues sur sa tête. Malade ou accidenté, il n’y survivra que par la seule providence.
Et pendant que les gabonais meurent ainsi comme des mouches, fâchés par la violence de l’existence et de leur environnement non maîtrisé malgré une emergence revendiquée, ses gouvernants se pavanent avec indécence dans le même arrière-pays avec des véhicules tout terrain de luxe, des avions, des hélicoptères, achetés par leurs impôts, pour passer un message dont la teneur est à contre-courant de leurs réalités quotidiennes.
Ils nous parlent comme à des aveugles qui ne voient pas s’étaler sous leurs yeux l’incommensurable misère qui s’est installée comme une malédiction. Et pourtant nous voyons et nous subissons cette grande misère qui est inversement proportionnelle aux richesses de notre pays. Mais ces richesses sont devenues la propriété de ces gouvernants corrompus qui ne nous en laissent que les miettes qui ne soulageront jamais notre vie miséreuse.
À eux donc les VX, les avions, les hélicoptères, les ambulances, les évacuations sanitaires, les cliniques et les meilleurs soins possibles ici et ailleurs. À nous les routes, les trains, les bateaux mortifères et les hôpitaux mouroirs, sans médecins, sans médicaments et sans équipements. Le retour du Tipoye, moyen de transport utilisé au temps colonial, dans le système d’assistance médicale d’urgence moderne du Gabon émergent, est le symbole d’un incroyable recul qui affirme notre déclin.
Serge Abslow