Le CTRI et la Restauration des Institutions au Gabon.

Pour ce premier dossier de la plateforme LES AMIS DE LA RÉPUBLIQUE GABONAISE,  nous nous proposons de vous partager quelques extraits du discours d’ouverture du Président du Conseil national de la démocratie CND* ** lors des assises de sa deuxième session ordinaire 2023. Contenus qui cadrent avec notre vision analytique.

Toutefois, les propos ici retenus ayant été prononcés dans un contexte de session ordinaire du CND, il est notoire de rappeler, avant toute chose, ce qu’est le CND.

« Le CND selon les textes qui régissent cette haute institution, a une mission de régulation et de promotion de la démocratie au Gabon.  C’est un  espace d’échanges, de réflexion, d’arbitrages des conflits politiques, de médiation, de concertation et de propositions concrètes. C’est l’édifice commun dont la mission est, en substance, la consolidation de la démocratie par le dialogue et la concertation et qui émet, certes des avis qui sont soumis aux autorités compétentes, mais demeure l’AGORA, le MBANDJA, le sanctuaire commun des Partis politiques reconnus par l’État gabonais.

Ainsi, le CND est défini comme un « organe d’appui à la gouvernance politique et à l’expression démocratique ». Il dispose d’importantes missions, entre autres, celle de proposer aux Pouvoirs publics et à la classe politique, toute action visant à favoriser justement cette promotion de la bonne gouvernance et de la démocratie. Même si bien malheureusement, les recommandations motivées émises périodiquement par le CND ne sont pas suivies d’effet par les Pouvoirs publics et que l’enveloppe budgétaire annuelle réduite, qui lui est allouée, ne permet pas à cet organe un fonctionnement optimal.
Il n’en demeure pas moins vrai, du moins à nos yeux, que cette Institution demeure le seul espace qui peut réunir toute la classe politique et qui peut prévenir les tensions et les graves crises postélectorales, si bien entendu, ses avis sont suivis et ses décisions appliquées par les décideurs.

LES RÉFORMES ENVISAGÉES LORS DES PROCHAINES ASSISES NATIONALES

– D’ABORD LA CONSTITUTION

La Constitution est encore appelée la Charte ou la Loi fondamentale, la Première Loi, ou encore la Loi suprême.

Une Constitution, qu’elle soit rigide ou souple, comme chacun le sait, n’est qu’un ensemble de règles qui déterminent la forme de l’Etat, la dévolution et l’exercice du pouvoir, précédé de principes et de droits fondamentaux préambulaires.

La Constitution est, tout uniment, un document relatif aux institutions. Mais, un document constitué par des écrits, en principes contraignants, pour les gouvernants et les citoyens.

Malheureusement, il arrive que dans nos contrées, des gouvernants refusent de se soumettre aux règles qu’ils ont eux-mêmes élaborées. Ils les bafouent, les violent, les changent au gré des intérêts partisans. Elles deviennent, passez-moi le mot, des chemises changeables.

Bien des dirigeants font et défont, tricotent et détricotent le fil des règles constitutionnelles qu’ils ont adoptées. Des responsables, traités de véreux, trouvent toujours un biais pour contourner les textes en vigueur, s’ils ne répondent plus à leurs ambitions personnelles.

J’en viens donc à ce constat que je ne suis sûrement pas le seul à relever, sans être un illustre politologue, en me référant tout simplement à l’histoire et même à l’actualité.

L’adoption d’une Constitution, si parfaite soit-elle, d’une Loi fondamentale si consensuelle soit-elle, quel que soit l’approfondissement de sa révision, ne peuvent, en elle seule, ni garantir, ni induire la démocratie, encore moins la stabilité politique.

La Constitution n’est qu’une loi, la première certes, mais ne constitue que des écrits, qui ne sont pas gravés dans le marbre des consciences politiques.

Nombre de dérives démocratiques constatées assez souvent sont là pour le prouver.

Je n’invente rien, ça s’est vu et ça se voit.

C’est dire que sur le papier, une Constitution peut être exemplaire, apparemment démocratique, pour autant elle ne peut, à elle seule, charrier la démocratie.

En définitive, ce n’est ni la Constitution, ni les lois qui en découlent, qui créent la démocratie ou la bonne gouvernance, loin s’en faut. Pour illustrer mon propos, je dirai qu’il existe des pays qui disposent d’excellentes Constitutions, mais qui ne cessent de les violer, au point de devenir des dictatures.

Par contre, il y a dans le monde, nombre de grandes nations qui ne disposent pas de Constitution codifiée, c’est-à-dire, qui n’ont jamais adopté de charte fondamentale, mais qui sont pourtant des démocraties exemplaires. Il y a aussi des pays qui n’ont jamais changé de Constitution, qui n’en sont pas moins démocratiques. C’est dire que l’adoption d’une Constitution par un pays n’en fait pas d’office une démocratie.

– ENSUITE SUR LA LOI ELECTORALE

S’agissant de la loi qui régit les compétitions politiques, je ferai la même observation.

Quel que soit le mode de scrutin adopté, quelle que soit la nature du découpage électoral retenu et le type d’organisation décrétée, cette loi électorale ne peut pour autant, automatiquement déboucher sur une élection loyale, libre, équitable, transparente et crédible. Loin s’en faut.

Des pratiques répréhensibles, à divers niveaux de la chaîne électorale, peuvent conduire et conduisent souvent à de graves violations du Code électoral. Il arrive aussi que même la juridiction gardienne juridique de la Constitution, chargée de veiller à la conformité des textes inférieurs et au respect des droits fondamentaux, juge du contentieux électoral, adopte des résultats électoraux biaisés, au point de dénaturer sciemment le vote.

– ENFIN LES INSTITUTIONS

Toute la vie politique d’une nation est articulée autour du fonctionnement des institutions publiques et, des élections, notamment celle du Président de la république ; Président, que le rédacteur de la Constitution de la Ve république française, Michel DEBRE, qualifiait de « clé de voûte des institutions », en raison de l’étendue de ses pouvoirs.

Ces institutions publiques sont indéniablement déterminantes pour l’expression de la démocratie et la bonne gouvernance politique.

Je venais de rappeler les conseils avisés de l’ancien Président OBAMA, qui demandait aux dirigeants africains d’adopter des institutions fortes : « L’Afrique a besoin d’institutions fortes, pas d’hommes forts » disait-il.

Nos institutions qui existent depuis des décades ont conduit aujourd’hui à la désaffection des populations à l’égard du régime en place. Les errements, les nombreuses réformes institutionnelles et décisions inappropriées, les actes immoraux posés et les comportements déviants, ont entraîné, aujourd’hui, un désamour et un rejet du régime en place.

C’est, manifestement, cette situation désastreuse qui a entraîné, en août dernier, un vote sanction populaire à l’encontre des anciens dirigeants.

Il est à (louer) que les Forces de défense et de sécurité, accueillies par un hommage populaire vibrant, ont réussi, (par patriotisme), à préserver le pays des sanglantes « crises des urnes » que le Gabon déplore, à l’issue de chaque élection présidentielle, depuis la première de 1993.

Il est donc à souhaiter vivement que le pays mette en place des institutions fiables pour construire valablement notre démocratie et ainsi impulser la stabilité, la concorde et l’expansion globale du pays.

EN CONCLUSION

En conclusion, nous croyons que, ni la Constitution, ni les Lois qui en découlent, ni la noblesse des institutions ne peuvent, à elles seules, engendrer des valeurs démocratiques et républicaines. Parce que, toutes ces normes dépendent de leur loyale application, mais aussi et surtout, de la volonté viscérale de ceux qui les appliquent, c’est-à-dire, de la volonté politique qui induit, à notre avis, la détermination, la résolution, le devoir profond et sincère de bien faire, le patriotisme, et un regain de civisme.

Mais la démocratie est, dit-on, une longue et laborieuse conquête. Une ligne d’horizon, un idéal vers lequel tendent des méthodes de gouvernement, des systèmes de gouvernance.

L’histoire nous enseigne, que c’est par des petits pas d’efforts volontaires successifs, qu’on s’approche de cet idéal.

Sans doute, oui, ce qui permettra à notre pays d’avancer significativement vers l’idéal démocratique, c’est bien la volonté réelle d’y parvenir.

En effet, s’il n’y a pas d’expression et, ce que j’appellerai, une morale d’action, de volonté à tous les niveaux de l’échelle politique, nous pourrons changer autant de fois de Constitution, de lois organiques, de lois ordinaires, tous les textes qui régissent les institutions, nous n’avancerons pas vers l’idéal démocratique.  « Tout sera restauré, fors la volonté d’action », c’est-à-dire, exceptée celle-ci.

Encore une fois, si une volonté politique forte n’accompagne pas les institutions fortes, le peuple passera toujours de l’euphorie à l’acrimonie forte, en peu de temps. Parce que, dit-on, la politique est à l’image de la vie, parfois passionnante, euphorique, parfois cruelle.

La démocratie demeurera ainsi pour nous « UNE ARLESIENNE » de l’opéra de Bizet : on parlera de quelque chose qu’on ne verra jamais.

L’histoire institutionnelle du Gabon, depuis 1990, c’est-à-dire, le retour du multipartisme, reste, pour nous, une course saccadée vers la démocratie, ponctuée d’aller-retour, de progrès et de reculs.

Les multiples assises circonstanciellement organisées, depuis plus de trente ans et les décisions pourtant consensuelles prises mais non appliquées, n’ont pas encore ouvert définitivement les portes de la véritable démocratie et de la stabilité politique dans notre pays. Loin s’en faut. Tous les éléments clés qui caractérisent toute démocratie ne sont pas encore réunis chez nous, malgré les nombreux relais d’hommes et de femmes qui ont tenu les commandes des affaires de la cité depuis plus de cinquante ans.

En réalité, les mœurs démocratiques ne paraissent pas encore suffisamment ancrées dans l’esprit de la classe politique nationale. La véritable difficulté, selon nous, réside dans ce constat. La classe politique ne semble pas encore avoir acquis le réflexe démocratique dans son comportement, et surtout dans sa gestion des affaires publiques en général.

Ainsi, l’aspiration et l’exigence démocratique demeurent vivace surtout avec l’arrivée d’une nouvelle génération d’hommes et de femmes au fait des enjeux du monde multipolaire et fatalement plus exigeante, d’où l’irruption des phénomènes comme l’abstention, la dépolitisation, les critiques médiatiques acerbes, c’est-à-dire, les manifestations du rejet de la politique par nos compatriotes.

– CERTAINES PERSPECTIVES

Dans ces conditions, nous voyons bien qu’au-delà de toutes les réformes institutionnelles envisagées, il est forcément primordial de « restaurer » aussi les mentalités et les comportements reprochables. Il nous paraît dès lors impératif, que la restauration et le bannissement des comportements opprimants, soient aussi inscrits au menu des réformes institutionnelles projetées.

On sait bien que les déviances majeures de la gouvernance politique, sociale et économique, des années durant, nous ont conduit dans l’impasse socio-politico-économique que nous vivons si péniblement, c’est-à-dire, à un déficit global de développement, malgré l’existence de textes irréprochables et de l’immense richesse du sous-sol du Gabon.

Nous soutenons avec force que réhabiliter uniquement les règles d’organisation et de fonctionnement des institutions étatiques ne suffit pas pour en faire un pays stable et démocratique si les exigences éthiques et le changement de mentalité n’accompagnent pas la mise en œuvre de ces réformes.

,Et c’est la raison pour laquelle, l’irruption des forces de défense et de sécurité, dans la scène politique, a été acceuillie avec des témoignages populaires d’approbation, constituant désormais, l’espoir d’un changement réel et du bannissement de l’oppression et les abus en tout genre.

Faut-il ajouter qu’il est bien évident, que cette restauration des comportements implique une mutation du logiciel de la gouvernance politique des dirigeants, à tous les niveaux de la décision. Ce qui conduit naturellement à un choix minutieux des femmes et des hommes chargés de diriger en perspective ces institutions, puisque celles-ci ne valent que par le comportement de ceux qui les incarnent.

En effet, on sait bien que la fiabilité d’une institution, surtout en construction, dépend pour une part importante de la personnalité des hommes qui la font vivre. Si ces hommes sont par exemple trop partisans, les décisions le seront également. S’ils sont dépourvus d’éthique, les actes le seront également. C’est pourquoi, il nous paraît crucial, en l’état, d’inculquer des valeurs morales à ces dirigeants.

Pour le bon fonctionnement de nos institutions restaurées, il faudrait des hommes qui peuvent en effet adopter des mentalités nouvelles, si nous voulons changer.

Albert Einstein disait que : « la mesure de l’intelligence est la capacité de changer ».

Il conviendrait peut-être qu’ils souscrivent aussi un pacte d’éthique, pour ne pas retomber dans les mêmes travers décriés, qui ont entraîné l’imprécation populaire des anciens dirigeants.

C’est dans ce sens qu’il faudrait appuyer l’obligation des enquêtes morales annoncées par la Transition.

Il faut bien rappeler, en substance, que la qualité des réformes institutionnelles souhaitées, à mon entendement, ne se limite pas simplement à l’avènement d’un Etat de droit, car notre pays en est déjà un.

– ETAT DE DROIT ET ETAT DE DROIT DEMOCRATIQUE

Il est admis que tous les pays du monde qui appliquent et respectent les règles légales qu’ils se donnent et les lois qu’ils adoptent, sont formellement des Etats de droit, même s’ils disposent d’une législation critiquable et appliquent des normes amorales.

En bref, un Etat de droit, par définition, est un Etat qui applique ses propres textes normatifs.

Mais, comme on le sait, certaines lois, certains textes adoptés par certains pays peuvent être liberticides, et porter atteinte à la liberté, tout en étant légaux.

Ces Etats demeurent bien des Etats de droit, certes mais ne constituent pas des Etats de droit démocratiques. D’où la discordance qui existe entre un Etat de droit et un Etat de droit démocratique.

L’Etat de droit démocratique n’adopte et n’applique que des textes qui ne heurtent ni la morale, ni les principes et droits fondamentaux.

Un Etat de droit démocratique ne se place pas en marge des règles démocratiques de toute nature et ses dirigeants sont en principe des républicains intègres, au-dessus des graves soupçons qui heurtent l’éthique.

Au total, notre pays, le Gabon qui est un Etat de droit, est encore à la recherche du constitutionnalisme et de l’Etat de droit démocratique, pour accéder à l’univers démocratique.

Nous croyons qu’il serait superfétatoire de vous convaincre que la prospérité de cette Transition (populaire) en cours, mais surtout de son issue sont, pour une grande partie, (entre les mains expertes du Parlement).

En effet, les contours de la carte politique de la future République seront tracés par l’Exécutif et le Parlement avant le sacre référendaire. Nul doute que le rôle du Parlement sera prépondérant.

C’est une lourde responsabilité historique que les deux Chambres devront assumer durant cette phase préparatoire cruciale. »

* Conseil national de la démocratie;

**Maître Ndaot Rembogo Séraphin, Président du Conseil national de la démocratie.

Paul Essonne

Journaliste

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