« La Harpe et l’esprit : Préface du récit « Abia » de David Akué Obiang, traduit par Ollomo Ella Nguéma Ebang » Par Grégoire Biyogo.

Les travaux de recherche sur le mvett au Gabon ont quelque peu stagné depuis la disparition des deux frères mvettologues, enfants terribles de la culture ékang, Assoumou Ndoutoume, remarquable historien du mvett, et Tsira Ndong Ndoutoume, le père du mvett graphique, virtuose du moment tragique du mvett. Tous deux et moi-même constituons les principaux théoriciens de l’école de mvettologie, dont le précurseur a été Zwé Nguema (Cf. Un Mvet de Zwé Nguéma, trad. Paul et Paule de Wolf, Collecte, initiative du projet, (Herbert Pepper), Paris, Armand Colin, 1972) qui, pour n’avoir pas théorisé sur la prépondérance du moment graphique du mvett, ne l’en n’a pas moins inauguré, en acceptant de faire transcrire et de faire traduire en français son œuvre majeure.1 Ainsi, l’école en a-t-elle pris un coup de cette double absence et s’en est difficilement relevée. C’est en cela que la parution d’une œuvre est un événement qui réjouit l’école de mvettologie et qui explique que j’aie accepté d’en signer la préface.

Prélude

David Akué Obiang a apporté une fraîcheur, un humour débordant et une grande intelligence politique au mvett, qui a particulièrement renouvelé et fait progresser nos connaissances sur ces topiques. C’est le grand maître du rire et du voyage, un peu notre Cervantes, comme Mvom Eko a été le Mozart du mvett, et Tsira Ndong notre Virgile, celui qui en a élaboré la consubstantialité au tragique, et reste surtout le père de la raison graphique du mvett.

Mais il y a plus, Akué, c’est l’hymnode harpiste qui, par sa voix cassée et hilare, a concentré le mvett vers la chose publique, engageant de redéfinir le mvett comme méditation politique. Il a regardé la Cité et son organisation, raillant les travers qui l’obstruaient, il a invité les Hommes à aller au-delà de ce «peu» consternant que nous offre le monde, pour forcer la porte de la liberté à travers l’invention de nouvelles institutions, par la persévérance, le mérite individuel, l’autodépassement et la re-description toujours plus différenciée et plus novatrice de notre histoire, sous le signe de la subversion de notre destin économique et politique, de notre transformation, et de l’invention permanente de notre statut de puissance. Le mvett enseigne à dominer les lois de la Nature et à se dominer soi-même, à dominer la force dont déborde la Nature et qui se propagerait sur nous sans l’opprimer, et plus encore à dominer l’état de nature, l’état de chaos naturel ou social, en créant un ordre dynamique, reposant sur la recherche et la mise en place d’un Etat fédéral organisé sur le mode de la transparence et de la puissance économique et militaire. Une puissance militaire qui cherche à réguler la paix, à canaliser les guerres, à maintenir des échanges fructueux entre les pays, à garantir les échanges entre les différents pôles du monde.

Au titre des inventions formelles, le mvett d’Akué Obiang n’en a pas moins contribué à des avancées. Il y a d’abord ceci de frappant qu’il a redonné à la tournure onomatopéique et idéo-phonique sa place réelle dans le récit, c’est-à-dire la première. Non pas que ce traité esthétique soit absent chez les autres diseurs se Mvett, mais il se constitue comme quelque chose d’inaugural chez Akué, lequel imite les menus bruits de la Nature, imite les contorsions de la faune comme le bruissement de la flore, probablement est-ce pour restituer et sonder en profondeur la condition sonore de l’existence elle-même. Il a imité les sons lointains qui flottent sous la pression de l’écho, allant des plus prosaïques aux plus secrets d’entre eux, jusqu’aux plus complexes. A la vérité, il a contribué à dégager une conception toute acoustique et musicale des choses et des êtres. Le monde serait porté par des sons subtils et par une douce musique qui habiteraient toute chose. Encore faut-il les entendre, les compénétrer, et se laisser transformer à leur contact, comme l’univers qui se laisse être lorsque surgissent les bruits initiaux, avec le Big Bang.. Le regard du diseur de mvett s’est dépris de toute lourdeur. Redevenu léger, il surpasse toute pesanteur, se rit de toute gravité, qui a revisité notre acception de la Démesure, l’hybris, le risible. Akué introduit ainsi quelque différence dans les intermèdes, redoublant de grâce et de burlesque tirés essentiellement de ses biographèmes, dont les constantes sont la permanence du voyage, le jeu de la traversée du monde par l’artiste et son art, la rémanence des amours fugaces, fulgurantes et jamais apaisées qui viennent renchérir le timbre tonique de son art, la vivacité de son regard critique retourné contre la société, autant de traits qui caractérisent et nourrissent son mvett, en étirant toujours et encore la connaissance de l’être humain et de l’organisation de la société.

La modernité de son art tient pour une large part du réalisme social de ses descriptions et de la grande simplicité de ses motifs, de ses thèmes et ses questions de prédilection, lesquels sont ponctués par sa voix cassée, et par la pincée syncopée de sa harpe si symptomatique de son humour décapant. Il est le premier à introduire dans le mvett des thèmes aussi étonnants que la partie conflictuelle de football, les dessous imprévisibles du jeu de cartes, et sa relecture structurelle – et non compassée ni sentimentale – de l’argent comme cela qui est au cœur du pouvoir suprême, et qui déclenche volonté de puissance et quête effrénée de la gloire. Ses lamentos sont toujours légers, et ses soliloques entremêlés de la lyre d’Eros.

Si Akué se rattache bel et bien au quatrième style de mvett, celui que les Maîtres Mvett nomment « Angoane Mane Ekome », il va cependant introduire en son sein une rupture. Tandis que chez la plupart des aèdes le récit part d’Okü (chez les Mortels) et se prolonge à Engong (chez les Immortels), pour éclore à partir d’un motif de guerre (casus belli), chez «Virvir», c’est tout à fait l’inverse qui prévaut. Le récit part souvent d’Engong pour refluer à Okü, où il surjoue son motif pour s’étendre progressivement vers la zone de tension, avant de s’embrancher à nouveau au cœur du territoire des Immortels. De la sorte, au schéma triangulaire classique : Affrontement des Mortels et des Immortels – avec un mouvement de déportation du conflit allant d’Oku à Engong (où se tient le procès final, pour l’évaluation logique, stratégique, judiciaire et politique du combat), Akué oppose un schéma autrement plus complexe : Affrontement biaisé et symbolique entre les Immortels eux-mêmes, qui va être déporté chez les Mortels, avant de refluer chez les Immortels où l’immortalité va être chaque fois éprouvée, mise en danger pendant la confrontation des deux mondes antagoniques, avant le jugement final.

L’un des problèmes axiaux de son mvett est soulevé au soir de sa vie, lorsque, parvenu au sommet de son art, il commettra le texte parabolique d’Abia, qui est le sujet de cette traduction que nous propose le jeune Ollomo, qui apparaît de ce fait comme transcripteur, traducteur, transcripteur et linguiste, si du moins l’on en juge par la difficulté d’un tel travail. Ce qu’Akué apporte au mvett, c’est l’ampleur de l’intrigue et la complexité idiomatique de la langue et du récit. C’est l’occasion pour moi de préciser que l’appareillage technique et théorique du phonologiste ou du linguiste ne suffit pas pour affronter un tel exercice, pas plus d’ailleurs que l’usage – même érudit – de la langue fang. C’est que la méditation politique, en tant qu’elle invite à ressaisir le mvett sous la déclinaison et la ponctuation de la chose publique, dont les Cités d’Engong constituent le modèle de l’organisation. S’il ne s’attarde pas toujours sur les descriptions des combats, comme c’est le cas chez Tare Zué Nguéma ou son fils spirituel, Tsira Ndong Ndoutoume qui en détient le secret et le génie, à travers ses tableaux pour le moins géométriques, la monumentalité des fresques et des combats, la sphéricité des anneaux, la science des figures… c’est qu’il investit davantage dans le récit comme jamais auparavant un tout autre souci, celui d’enseigner et d’instruire l’auditoire ou ici le lectorat sur l’intelligence géophysique et onomastique du mvett, avec sa redistribution inventive de la cartographie d’Oku et d’Engong, par quoi il s’est révélé être l’un des maîtres précieux, qui ait élucidé patiemment notre aperception des principales généalogies des Immortels. Ainsi de la géographie physique qu’il a rendue plus intelligible, de l’hydraulique qu’il manie avec une aisance déconcertante, du massif floral qu’il traverse sans cesse, de la faune à laquelle il recourt avec grand talent, des institutions politiques qu’il a contribué à clarifier, et à en renouveler la lecture, à réinvestir et à traduire…

Tout ce à quoi il a touché devait de la sorte subir une mutation interne, et quelque permutation sémantique. Citons pêle-mêle la numismatique, la sociologie, l’histoire et les origines des personnages et des lieux, des batailles, produisant par-dessus tout une étiologie des sons, une anthropologie des danses, qui justifient sa grande pédagogie et sa sociologie inaugurale des mœurs…). Peut-être un peu plus que ses prédécesseurs a-t-il refaçonné les intermèdes musicaux, en affinant l’autofiction et l’autodérision, toujours entremêlées des amours incertaines mais fortes. Mais plus encore a-t-il redéfini l’auditoire comme une véritable instance diégétique et sémiotique du récit, lui concédant de nouvelles possibilités, avec ses idiomes, ses langues, son langage codé, pour le moins irréproductible, quasiment intraduisible nommé l’ékang. C’est donc qu’il faut être mvettologue, mvettéen ou mvettophile pour s’y autoriser. On comprend dès lors que le traducteur de « Un Mvet de zwé Nguéma » n’ait pu gager cet exercice redoutable qu’avec le concours et la science de Tsira Ndong Ndoutoume, qui reçoit au demeurant des consignes strictes de son Maître au sujet de cette traduction, pour garder le côté secret et initiatique du mvett et ne jamais le révéler pendant la traduction. D’où la fameuse expression de Maître Zué Nguéma : « Avitsang», que l’on peut traduire comme ceci : « montre-leur un tout petit peu le sens de la chose mais veille à en préserver scrupuleusement le côté sacré». Il est question ici de la dimension prohibitive et sacrée du mvett, qui interdit toute traduction ultime et oraculaire dans le processus de la traduction de l’énonciation (et de la narrativité comme le montre le récit d’Abia).

A côté des grands maîtres comme Zué Nguéma, à qui nous devons le premier grand récit et la première décision de traduire son mvett en français, d’Edou Ada, le maître d’Akué, du mvett féminin d’Ella Mone Mbone, ou de celui tonique d’Eko Bikoro, et encore celui de son prodigieux fils Mvom Eko, qui a été le génie précoce du genre et l’arythmologie de sa légende, ou qu’il s’agisse de Tsira Ndong Ndoutoume, qui le plus a fait connaître le mvett et contribué à lui fournir des perspectives heuristiques, le nom d’Akué Obiang représente pour les mvettologues, les ékangologues, les plasticiens, historiens des arts, et autres auditeurs, lecteurs et mvettophiles, comme une exception, laquelle fait naître et épanouir l’âge de la maturité politique du mvett. Akué s’est ainsi autorisé des arbitrages subversifs qui allaient contribuer à la qualification des problèmes du genre. Il a introduit des innovations qui ont modifié ce que nous savions du mvett en révélant de nouveaux noms des personnages d’Engong, de nouveaux attributs des différents clans, de nouvelles institutions, de nouvelles fonctions comme par exemple le personnage du Pasteur Etouang Mba, tout en faisant état de ce que les différents «héros» sont devenus aujourd’hui même à Engong, précisant leur train de vie, leurs nouvelles ambitions ou leurs situations professionnelles. La plus grande audace de l’imagination akuéenne est d’avoir tiré Angoung Ndong d’Akoma Mba, le Chef suprême d’Engong, dans ce texte eschatologique d’Abia, en cela, il a montré qu’il y avait en chacun des Mortels un prodigieux Immortel, et en chacun des Immortels, la possibilité de la déchéance du statut d’immortel. Cette logique de la dégradation et de la dégradation lui a permis de repenser complètement le dénouement de l’affrontement canonique Mortels vs Immortels qui avait toujours vu la victoire des Immortels. En déportant Akoma à Okü, pour réorganiser et réorthographier le destin politique et donc militaire des Mortels, en élevant les Mortels au rang d’Immortels, il inverse le destin unilatéraliste, manichéen et inégal qui avait prévalu jusqu’ici au sujet de l’issue du combat traditionnel Engong vs Oku, et tient que l’immortalité est accessible aux Mortels, et qu’il convient en cela de s’organiser, de travailler, de penser, de calculer, de prioriser l’unité du clan et le mérite individuel.

C’est en cela que, traduire son mvett-ici en français – était devenu autant urgent que nécessaire, est un Acte qui corrige une longue négligence et une marginalisation indue qui a duré plusieurs décennies. Car ce qui se jouait ici était de faire connaître la teneur de son art et le caractère pénétrant de sa réflexion générale sur les mœurs et principalement sa méditation politique. Contrairement aux grands tragiques comme Tsira, inimitable dans la théorisation du mvett dans le temps même où il l’écrit, ou à Mvom Eko l’interprète osé de la déshérence et de l’éclipse des dieux – et qui ont produit d’immenses récits tragiques -, ou même Eyi Nkogo Moan Ndong – autre grand maître du rire et de l’invention des paradigmes – Akué apparaît comme un existentialiste, attaché à l’existence, à donner du contenu politique à un monde défiguré par le Néant, par le silence de Dieu, par les mésusages de l’argent et par la sottise humaine. La parution de ce livre par le Docteur-linguiste Ollomo qui traduit un de ses textes les plus importants et les plus prophétiques (Abia) constitue en ce sens un événement, au sens derridien de l’imprévisibilité du geste, du lieu et du moment de son émergence et de son contenu. En cela, il fonctionne comme la correction légitime d’une injustice : l’oubli indicible par les mvettologues de David Akué Obiang, dont l’œuvre immense se tenait pourtant-là, comme on le sait, devant nous…

Autour de la traduction. En cela aussi, le jeune linguiste Régis Ollomo Ella s’est essayé à un exercice périlleux, qui présumait une grande patience, une écoute minutieuse des sons, y compris des silences, des menus fonds de bruits, avec le réexamen prudent des expressions idiomatiques, souvent intraduisibles, il eût fallu beaucoup de courage pour parvenir à la double subversion du langage et du sens communs. C’est en cela que son travail, restera toujours – avec ses rêves ou ses imperfections – une véritable bravade, une contribution décisive pour le mvett, plus encore lorsque celui-ci appelle une grande écoute du sens des mots et des choses, et lorsqu’on traduit l’une des compositions ultimes aussi abouties qu’Abia, par un harpiste parvenu lui-même au sommet de son art, et qui de surcroît avait lui-même conçu l’existence sous l’angle acoustique, phonique, comme une combinaison de sons et une somme de bruits complexes. Cet acte hardi de traduction témoigne incontestablement d’une audace, d’une grande passion autant que d’une exigence de restitution du texte initial : enregistré en 5 cassettes audio. D’où la noblesse du projet : Traduire l’un des textes majeurs du mvett d’Akué Obiang , qu’il a lui-même conté, autour des années 1980, au sommet de sa gloire, comme par préfiguration du tournant politique qu’allaient connaître le Gabon et les pays africains, invités à abandonner l’atrophie qui tétanisait le monocentrisme des partis-Etats, au profit de l’ouverture démocratique, à la faveur entre autres du multipartisme, avec les Conférences nationales de 1990. L’artiste visionnaire offrait ce legs politique à la démocratie gabonaise alors naissante, qui était superbement sans contenu ni forme et ignorait tout de la Résistance qu’allaient lui opposer une certaine pesanteur née de l’essentialisme des habitus politiques dominants, de l’immobilisme et de l’immuabilité instaurés par ces Ubu, rêvant de totaliser le pouvoir, de sa parfaite confiscation, comme celle de l’alternance politique, autant de pratiques anti-démocratiques, tournant éperdument le dos à l’esprit de tolérance, à l’échange contradictoire, à la mutation profonde des institutions et des acteurs, au courage et au défi du changement – thème monumental de ce texte – et à la passion de l’alternance, une alternance qui va de soi à soi puis de soi aux autres, et qui régule le véritable axiome du changement.. Aspiration au changement qui a pourtant une postérité en Afrique, allant de la Nubie à l’Egypte antique, jusqu’aux Empires, où a été créé le premier texte démocratique de l’Histoire : La Charte Traité du Mandé de 1222 promulguée par le Fara Soundjata du Mali). Il faut dire que l’Afrique des partis uniques et des tyrans n’emprunte pas toujours son modèle aux cultures anciennes, particulièrement critiques à l’égard de la totalisation du pouvoir, ey au schéma monologique… mais semble prendre sa source dans le modèle ou plus exactement l’anti-modèle de l’Etat colonial, ponctué depuis par des pratiques stagnantes. Or, Akué semble nous dire deux choses nouvelles : Que la préparation est la condition nécessaire du changement, et que celui-ci gagne à être radical. Ce point frappant est commun au dernier Akué comme au dernier Tsira, celui de L’Homme, la mort et l’immortalité, où l’on assiste à une profonde métamorphose spirituelle du vhef Suprême des Immortels, Akoma. Le second Akoma de Tsira est déiste, et aspire au ciel. Celui d’Akué regarde à la terre, en l’occurrence à la chose publique, à la rigueur de son organisation, au courage de l’action méditée et concertée…

La structure du texte n’en dégage que trop la force de ses mutation. En effet, le texte d’Abia, tel que le redistribue Ollomo, s’articule autour de 5 parties, elles-mêmes précédées d’un Avant-propos et d’une brève Introduction, qui justifient la traduction adoptée, à l’appui de la phonétique internationale. Plusieurs « parlers » issus du fang ancien interfèrent dans l’exercice (ntumu, bulu, mekè, mvai…). Le programme général de l’exercice, comme dans Un Mvett de Zwé Nguéma, auquel il en emprunte indiscutablement, consiste à transcrire le texte dans sa langue originelle (nommée par les mvettologues et philologues eux-mêmes l’ékang (le genre s’appelle bien mvett ékang), pour le traduire par la suite seulement en français. Ce schéma transcription/traduction permet au spécialiste comme au lecteur d’apprécier le souci chez le jeune traducteur de coller rigoureusement à la lettre et à l’esprit du texte transcrit, et la complexité face à laquelle se trouve confrontée une telle tâche, que de fixer « ad vitam aeternam » les sonorités primitives du texte, exigence qui comporte cependant toujours le risque de sacrifier à la fluidité de la traduction française et hante de la sorte tout traducteur comme l’épée de Damoclès. On peut toutefois se réjouir que l’essentiel ait été sauvé, par une certaine patience de l’écoute du texte originaire. Il convient par ailleurs de souligner ici que l’ékang est une langue à part entière, exclusivement usitée du mvett. C’est la langue du mvett, la langue hiératique du peuple Ekang lorsque le fang est la langue démotique de ce peuple. Le mot fang est une désignation populaire du mot Ekang. Le mvett écrit l’ékang, les diseurs de mvett parlent ékang. A partir de l’usage qu’en font les diseurs de mvett, sans conteste, les mvettologues comme Ondo Ella Ebang ou le père de la mvettologie et du moment philologique du mvett, l’auteur de ces lignes lui-même, le mot Ekang peut renvoyer à cinq acceptions distinctes : Par étymologie, ékang signifie la « lettre », bikang au pluriel (les lettres). Du verbe akang : peindre calligraphier, écrire.

-Puis ékang renvoie à la zébrure, la rayure (ékang alen, celle de la noix de palme),

-Ensuite Ekang désigne formellement les guerriers Immortels, issus de la descendance d’Ekang Nna. Il s’agit aussi de tous les habitants d’Engong qu’on appelle ainsi, en tant qu’ils sont issus d’Ekang Nna : Mvok Ekang Nna.

-Puis le mot Ekang connote les Fang en nommant le pays «Fang» lui-même dans son étendue géographique et l’évocation de son passé historique et de son unité linguistique, sociologique, politique et théologique : Mvok Ekang.

-Enfin, Ekang désigne politiquement et territorialement les «Fang-Beti-Buku…» eux-mêmes dans la globalité des 7 branches primitives ayant essaimé depuis. Nos recherches en égyptologie et en philologie ont ainsi confirmé que le mot Ekang désignait à la fois les descendants d’Ekang Nna et le peuple historique qui est à l’origine du mvett. Et qui a été à Kémèt (Egypte) des gardiens des lettres (ékang), et a calligraphié et peint (scribes) et chanté la harpe (musiciens). L’analyse philologique a ainsi montré que l’appellation « Fang », au sujet de ce peuple, était pour le moins impropre. Puisque le nom Fang est celui qu’a porté l’un des 7 descendants d’Afiri Kara, et que, d’un point de vue logique stricto sensu, la partie (Fang) ne peut désigner le Tout (Ekang).C’est comme si Ntumu, le dernier fils de ce même Afiri Kara (celui qui gardait la canne du père vieillissant et devenu aveugle, et qui a eu le privilège de l’accompagner partout), devait désigner l’ensemble du groupe. Ni Fang, ni Ntumu, le nom par lequel ce peuple s’est désigné lui-même est celui d’Ekang. Une autre tradition veut qu’on désigne les Fang Anciens à partir du mot Nti, ce qui est au fondement, la fondation, le principe, la constitution ou le commencement au sens aristotélicien de premier moteur. Du verbe « ati », inventer, commencer, bâtir, Be-(N)ti, signifie les bâtisseurs, ceux qui sont à la source, à la fondation, les fondateurs. Ekang partage en effet l’idée qu’il a pris part à la fondation de l’univers, d’où sa cosmologie allant d’Eyo à l’engendrement des hommes… D’où aussi l’existence des personnages cosmologiques comme Angoung Bere Otse, qui parle essentiellement le niveau hiératique de la langue. Dans l’expression « mvett ou mver-Ekang», se signale tout à la fois l’idée que le mvett est écrit en ékanget qu’il procède des Ekang, c’est-à-dire qu’il est constitutif des lettres circulaires (ékang au singulier, bikang au pluriel) du mvett. Il faut aussi savoir que certains parlers sont utilisés par des personnages spécifiques, notamment chez Akoma Mba ou chez Angone Endong qui parlent le « Ngom » (langage porc-épic » usité lorsqu’ils rentrent en colère… Dès lors, seuls ceux qui font office de traducteurs de cette langue martiale du Chef suprême des Immortels permettent aux autres catégories d’Immortels d’accéder à sa pensée.

La structure du texte Abia. La structure du récit d’Akué est rigoureuse et épanouie, qui s’articule autour d’un mouvement heptatonique. La première partie, Les caprices d’Etwang Mba, met en scène l’actant tensionnel, parle quel surviendra la querelle. Un pasteur se plaît soudain à jouer aux cartes, par-delà les tâches classiques de son apostolat, et emprunte à cet effet 100 millions de F auprès de Medza M’Otoughou, le multimilliardaire d’Engong, qui lui signe un chèque dans une atmosphère cocasse.2. La seconde partie, Le tournoi de poker à Engong , noue l’intrigue, le pasteur se fait massacrer par Ntoutoume Mfoulou, guerrier spectral qui seconde Engwang Ondo et assure la garde diurne du pays se retrouve dans le clan des Mba Evine Ekang, et dont les textes eux-mêmes nous disent formellement qu’il aurait assisté à la formation de l’univers et à la naissance de la vie. On peut donc comprendre plus simplement le sens de Be-ti, comme renvoyant à l’idée des pionniers, des bâtisseurs par quoi on désignait – et se désignaient- les Anciens Egyptiens eux-mêmes. Il y a enfin le sens théologique du mot Nti: que l’on traduit par le Créateur, Dieu, le Démiurge. Les louanges et adorations ékang révèlent sans équivoque cette acception, lorsqu’elles traduisent :

« Nti é g na bélé m’éning O » (c’est le Créateur qui protège ma vie), Nti é gna bélé m’éning O O… (C’est lui qui tient ma vie), eh hié é Nti é gnà bele m’éning O (c’est lui seul qui la garde…) Zame é mien é gna baghle mà… (C’est Dieu lui-même qui me protège) é mién é gna bele mvebew’om O (c’est lui qui module ma respiration)…

Il rafle l’intégralité de la mise et se refuse à poursuivre le jeu.3. La troisième parte, La grande palabre, dépité le pasteur porte plainte contre Ntoutoume au motif de vol et d’escroquerie. L’accusé s’en offusque, restitue les faits, ridiculise le plaignant dont il établit que la version est grotesque, et le confine à la mendicité, qui tiendrait une bonne partie de sa quête et de sa dîme de ses cent épouses…Il le tourne en dérision, heurte tout le clan Mba dont fait partie Akoma Mba, lequel tranche arbitrairement le procès en sommant l’accusant de restituer « manu militari » la moitié de la somme à son propriétaire, et insinue donc que le plaignant a bien été l’objet d’une escroquerie, et consacre ainsi la pseudo-thèse de l’accusé qui tient Ntoutoume pour un banal voleur. Profondément heurté, l’accusé écorne les idoles, et atteint considérablement la dignité du Chef Suprême des Immortels en révélant publiquement que celui-ci était un bâtard, un enfant adultérin. L’affaire va prendre des proportions dévastatrices : le motif originel du procès est minimisé, abandonné, qui se double d’un tout autre, énorme en cela qu’il lève le voile sur un énorme secret d’Etat demeuré caché depuis toujours, entre les seuls Anciens. Or, de l’apprendre montre que le secret a été divulgué depuis longtemps, et que seul le Tout- puissant Akoma ne s’en serait pas aperçu. Sa colère atteint donc la Démesure, l’Hybris. La quatrième partie, La mort d’Akoma, est la résolution ultime, unique du Chef Suprême des Immortels, suite à l’insulte humiliante qui vient de lui être infligée. Une seule réponse donc à hauteur égale de cet outrage : quitter son poste de Commandement, et disparaître d’Engong. Ce qu’il va faire en utilisant une ruse scabreuse, creuser de ses propres mains sa tombe, ensuite se déporter vers son village natal, celui de sa naissance problématique – objet de la cinquième partie, Angoung Ndong du pays Yébivwé. Ici le patron d’Engong tente de se ré-acclimater chez les siens, il doit justifier sa version des choses : il serait bien né dans ce village il y a très longtemps, fils authentique de ce village, même si cette histoire a été oubliée par eux, puis les Immortels l’auraient emmené à Engong où il aurait été porté au trône et serait devenu le puissant Akoma Mba, lequel aurait été trahi. Les Immortels se seraient moqués de lui, se seraient débarrassés de lui, le puissant des puissants. Il leur faudrait une leçon inoubliable.6. La sixième partie, Angoung Ndong le Yébivwé, est celle de l’organisation méticuleuse et géostratégique de l’Immortel qui devint Mortel, qui va rassembler les grands guerriers d’Oku pour leur annoncer son grand stratagème au cours d’un banquet monumental : former une armée surpuissante pour aller combattre et infliger une défaite solennelle – la première du genre – à Engong, d’autant plus qu’il en connaissait les mystères, les moindres secrets, et toute la géostratégie, jusque y compris la fameuse énigme des énigmes : le secret de l’immortalité. Le nouvel homme fort d’Oku va donc unifier la contrée et restructurer toutes les Cités, former son Armée d’élites, élaborer les plans de l’assaut avant de se diriger vers Engong. La septième et dernière partie, Les Armes circulent à Engong, est un moment splendide, un feu d’artifice qui éclaire d’un jour nouveau l’ensemble de la partition d’Akué et déconstruit l’histoire classique des conflits du mvett, en en délocalisant pour la première fois le lieu et le nom des vainqueurs et des vaincus. Un moment grandiose, peut-être comme aucun diseur n’en avait encore imaginé le scénario bouleversant : la capitulation aurorale d’Engong face à Oku et l’ouverture conséquente d’une ère nouvelle dans l’univers du mvett à travers la mise à plat du pays des Immortels. Cet aggiornamento va mettre un terme à l’unilatéralité de la victoire des Immortels sur les Mortels et tétaniser le vieux schéma despotique des combats entre les deux mondes. V. De la signification du texte1. Exception faite du dernier livre de Tsira, L’Homme, la mort, l’immortalité, qui est une bravade quasi-divine de l’imagination mvetténenne, où l’immortalité est violemment éprouvée et disputée aux Immortels, par le fils même de celui qui l’a concédée à Engong (Obame Andome Ella entend retourner l’immortalité à Oku), le récit Abia a atteint un sommet au lieu où il a daigné ravir le secret de la puissance (symbolisé par le fameuse sacoche protectrice, garante de l’éternité, Nsek Akam Ayong, destitué d’Engong), et donc de l’immortalité à Engong et le donner à Oku, même si, comme cela se voit dans le récit, c’est plus le Chef Suprême des Immortels qui le maintient solennellement, plutôt que les Mortels en eux-mêmes. C’est pour cela que ce texte est majeur.. Le défi d’Angoung Ndong Obama est sans précédent, accompagné de Metomelorogotho, qui porte le tambour relevant les morts, et de sa troupe d’élites, il pénètre Engong Zokh Mengam, étale son génie militaire, répand les Mystères, prend possession des différentes Cités d’Engong, plante des drapeaux en guise de conquête, passe comme un éclair, fait tomber l’obscurité dans Engong, et s’empare du protecteur d’Engong, sous la barbe des plus félins guerriers de la Terre. Tour à tour, il neutralise les poids les plus lourds, les guerriers spectraux et invincibles: Ntoutoume Mfoulou est atteint de cécité, Engwang Ondo est réduit en un anneau, Angone Zok est atteint de surdité, et Medang, neutralisé par une arme fatale… Engong est par terre, l’immortalité lui échappe, la puissance l’abandonne, la colère d’Obangom, fils de Mba qui, humilié par Engong, a tenu à humilier Engong. Angoung Bere Otse, le Mage sonde les Mystères et découvre que le terrible guerrier venu démanteler Engong, c’est Akoma Mba et conseille à Medang de capituler… de se rendre.

VII. Essai d’interprétation.

Engong ayant été décapité, Akué n’en dit pas plus. Et ce silence« in fine » est terrible, qui ouvre une béance vertigineuse au travail de l’interprétation. Que va-t-il maintenant se passer ? Akoma reprendra-t-il les rennes d’Engong après avoir recouvré sa dignité perdue ? Va-t-il retourner à Oku pour faire fructifier son pays natal, le pays Yebivwé, en en faisant le nouveau berceau de la création et de la science, le nouveau siège de l’immortalité, maintenant qu’il a dépouillé Engong de cet attribut, et qu’il a conquis puissance et invincibilité ? Va-t-il décider de punir le pays renégat, de le mettre en flammes pour le bannir de la mémoire et lui faire payer de la sorte son outrecuidance ? Va-t-il au contraire l’obliger à rallier le camp des vainqueurs, en en faisant une terre vassale, conquise définitivement, ayant perdu son nom, son histoire, tout avenir, tout revenir et toute liberté ? Comment interpréter par-dessus tout, le silence d’Akué, qui se répercute dans le silence in fine d’Angoung Ndong Obama ? Si l’on n’est pas certain du bénéfice qu’il y aurait à percer et épuiser l’énigme du texte – celle qu’a creusé et a voulu laisser comme telle Akué -, tout au moins apparaît-il que le personnage d’Angoung ne sera jamais plus le même ? Lui qui est désormais doublement immortel. Après avoir conquis cette immortalité à Engong, après avoir difficilement vaincu Andome Ella, au cours d’un combat cyclopéen où Medang Bore a décapité l’adversaire4, et Engouang Ondo, tué la mort, celui qui s’appelait alors Akoma Mba a symbolisé la conquête de l’immortalité, il vient d’en ravir le secret à Engong, Pas plus qu’Engong et Oku. Et en un sens, c’est notre façon d’écrire, d’écouter et de rendre compte du mvett qui s’en trouve être modifiée, à l’aune de cette prépondérance de l’ambigüité et de l’énigme impulsée par le maître mvett du village d’Awoua – qui est un grand bastion du mvett comme l’est Engogom, la terre légendaire des Fonos, celle de Tsira et d’Assoumou Ndoutoume… On sait que cette affaire devait demeurer secrète, et que la prouesse militaire de Medang devait échoir à Akoma.

Grégoire Biyogo, philosophe, égyptologue, politiste, père de la mvettologie.

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