La chronique de Fidèle AFANOU ÉDÉMBÉ : Si l’éducation coûte trop cher…

Dialogue fictif mais plausible entre dame la ministre de l’Éducation nationale de la transition et un élève de 3ème d’un collège qui, depuis la classe de 6ème, n’a jamais vu à quoi ressemble un professeur de mathématiques au secondaire :

– La ministre : Si vous voulez avoir la bourse, j’exige que vous ayez 12 de moyenne à la fin du trimestre.

– L’élève : Bien madame la ministre ; mais moi aussi j’exige.

– La ministre : Vous exigez quoi ?

– L’élève : Je suis dans une classe de plus de 80 élèves ; j’exige être dans une classe de 35 élèves. Je n’ai pas fait de mathématiques depuis la 6ème ; j’exige que vous répariez ce handicap. Il me manque des professeurs dans deux autres matières et l’association des parents d’élèves n’a pas assez de moyens pour payer des vacataires ; j’exige que vous apportiez une solution à ce problème. Mes parents sont démunis, il arrive qu’on nous coupe le courant, je ne peux donc pas travailler le soir à la maison et il arrive aussi que je vienne à l’école sans avoir de quoi manger. J’exige qu’on me mette à l’internat pour que je puisse bien préparer mon BEPC. Et puis, s’il vous plait, madame la ministre, faites tout pour que les enseignants entrent dans leurs droits et que nous n’ayons pas de grève du corps enseignant.

– La ministre : Ça suffit ! Taisez-vous ! Mal élevée !

– L’élève : Moi, mal élevée ? Insultez-vous mes parents ?

C’est à ce stade du devoir que, généralement, on demande aux élèves en train de composer : « Donnez un titre et trouvez une suite à ce dialogue ».

Pour ou contre les nouveaux critères d’octroi des bourses aux élèves du secondaire ? Voilà à quoi on a ramené, deux semaines durant, le débat sur l’école au Gabon, un pays où, selon la Banque Mondiale, le taux de redoublement est le plus élevé au monde et où il faut en moyenne 17 années à un élève pour valider son BEPC alors que 12 années d’études devraient suffire à l’obtenir. (cf. Les carences du système éducatif gabonais, article publié le 17 mai 2015 par Mays Mouissi sur son site mays-mouissi.com).

Politiques, syndicalistes, intellectuels, enseignants, chercheurs, pédagogues de tous bords, sociologues, juristes, parents… Chacun y est allé de son crédo, avec des arguments qui, pour la plupart, étaient fondés. C’est le genre de débats où, si tout le monde n’a pas absolument raison, personne n’a totalement tort. Sauf  qu’il ne faut pas faire dire aux notes obtenues en classe ce qu’elles ne disent pas ; et il faut éviter de donner à la bourse la fonction qu’elle n’a pas ou qu’elle n’aurait pas dû avoir.

Alors que le pays tout entier était encore sous l’ivresse des premières fêtes de fin d’année sous l’ère de la transition, il a fallu que le ministère de l’éducation nationale vienne jeter un pavé dans la mare qui a eu pour effet de dessaouler tous les fêtards leveurs de coude. Plus rabat-joie que ça, tu meurs. Argument massue brandi à bout de bras par les défenseurs des nouveaux critères : la quête de l’excellence dans notre système éducatif. Tiens donc !

La quasi universalité de l’évaluation par les notes et le fait que ladite évaluation se pratique depuis kala kala nous a fait croire à deux choses complètement fausses : 1) que c’est le seul mode d’évaluation ; 2) que c’est le mode d’évaluation le plus pertinent. Il n’en est rien.

Au siècle dernier déjà, le certificat d’études primaires qu’avaient passé, au Gabon, les générations des années 80, n’avait plus rien à voir, en termes de niveau, avec celui qu’avaient passé les générations des années 50 ou 60. A fortiori celui passé par les générations actuelles.

Que peut bien valoir un 12 obtenu par un élève qui n’a eu que deux notes par matière au cours d’un trimestre, à côté du 11 d’un élève qui, dans le même temps, a composé trois fois dans chaque matière ? Le premier est dans une classe de près de cent élèves où la correction des devoirs donne des céphalées aux enseignants, alors que le second est dans une classe de 35 élèves où l’enseignant prend du plaisir à partager ses connaissances avec des élèves pour lesquels il prend le temps non seulement d’évaluer les progrès mais avec lesquels il peut mettre en place des stratégies pour améliorer leurs performances pour qu’à la fin de l’année la note de passage reflète le  mieux possible les efforts que l’enfant a fournis pour la mériter.

Que peut bien valoir un 12 obtenu par un élève qui, faute de profs, n’a composé que dans les 2/3 des matières du programme, à côté d’un 11 obtenu par un élève ayant été évalué dans toutes les matières ?

Que vaut un 12 obtenu via le système dit des « moyennes sexuellement transmissibles », à côté d’un 11 obtenu grâce au bachotage et à l’honnêteté ?

Les situations sont légion, qui démontrent à souhait que l’évaluation par les notes pose problème dans un système éducatif que l’on cherche à réformer depuis au moins les états généraux de l’éducation et de la formation de 1983, donc depuis le siècle dernier, et dont on cherche encore la formule magique au 21ème siècle.  Et on veut nous faire croire que les notes obtenues à la première moitié du siècle dernier n’ont pas changé de langage aujourd’hui ? Qu’elles disent la même chose ? Tout le monde sait qu’il n’en est rien. Et tout le monde sait que ce n’est pas de cette manière que nous allons rencontrer madame « excellence » qui, il faut le savoir, est perchée à 17 de moyenne. Sinon, pourquoi usons-nous, à longueur d’expériences, des formules du genre « école pilote » ou encore «  lycée d’excellence » ? Si on veut pousser la polémique, on pourrait se poser la question de la présence, au Gabon, à côté de nos lycées et collèges, de collèges et de lycées français, qui sont la preuve de la déliquescence de notre système éducatif. Ne faisons-donc pas dire aux notes ce qu’elles peuvent difficilement dire. Les experts des sciences cognitives savent qu’il existe d’autres modes d’évaluation. Sinon Maria Montessori, Elise et Célestin Freinet ou Paulo Freire vont se retourner dans leurs tombes.

Pour ce qui est de la bourse, les choses n’auraient pas dû se passer comme elles l’ont été. Sur la forme, l’annonce pose de nombreux problèmes non seulement juridiques (hiérarchie des textes, non rétroactivité de la loi, etc.) à même d’amener à exiger l’octroi de la bourse à tous les élèves ayant obtenu 10 de moyenne au premier trimestre (l’Arrêté prend effet à compter du 8 janvier 2024) mais aussi psychologiques voire traumatiques du fait de la déception chez les enfants.

La bourse est-elle une récompense ? Une source de motivation ? Les deux ? Le débat reste ouvert.

En France, pays qui nous a inspiré tant de choses, la bourse au mérite n’existe pas au collège et au lycée. Elle n’est pas donnée, comme chez nous, directement aux élèves, mais aux familles, pendant une année scolaire, sur la base de critères économiques. Car ici, cette bourse a vocation à aider financièrement les personnes qui ont à charge un ou plusieurs enfants à scolariser. Elle peut même être donnée cumulativement avec d’autres allocations. Elle est versée trimestriellement et est maintenue, non pas en fonction de la moyenne trimestrielle de l’enfant, mais de son assiduité. En français facile, si une telle formule était appliquée chez nous, les enfants des familles nantis n’auraient pas droit à la bourse. La bourse ne serait pas donnée aux élèves mais aux parents ou tuteurs économiquement faibles pour les aider à scolariser les enfants qu’ils ont à charge, à condition que les enfants soient assidus toute l’année. Et, bien entendu, pour que la bourse aide effectivement à scolariser le ou les enfants, elle sera d’un montant conséquent. Toutes choses qui, nous en convenons, ne pourraient pas marcher dans le Gabon d’aujourd’hui, pour des raisons aisément compréhensibles. Encore que… En réécoutant ce que disait l’actuelle porte-parole du gouvernement avant-avant… Mais évitons de faire avaler de travers les fonctionnaires du ministère de l’Éducation nationale.

Dans ce débat, où l’on parle surtout de l’échec à l’école et rarement de l’échec de l’école, et à l’heure de la restauration des institutions, quelqu’un a posé le problème de fond par une question : Quelle école voulons-nous pour quelle société ? Sauf qu’il faut poser la question à l’envers : Quelle société voulons-nous pour quelle école ? C’est loin d’être un simple jeu de mots. Car c’est la société que nous voulons ériger qui doit guider le choix de l’école et des valeurs que nous voulons y promouvoir ; pas l’inverse.

Le petit dialogue au début de cette chronique rappelle que nous sommes dans un contrat social où les exigences ne peuvent pas venir que d’une seule partie. Sans dénier les efforts faits par le gouvernement de la transition en direction du monde de l’éducation, on ne peut dire pas qu’ils sont suffisants pour les challenges souhaités. Les plus sages sont sans doute ceux qui ont estimé qu’il fallait appliquer simplement la décision du président de la transition sur la base de l’ancienne loi et attendre le dialogue national à venir qui va forcément se saisir du dossier « Éducation », pour explorer de nouvelles voies.

Pour la petite histoire, la décision gouvernementale envoie au pilori le gros peloton des élèves qui, après l’admissibilité au baccalauréat, contribuera à gonfler favorablement les statistiques des admis que le ministre brandira fièrement, alors qu’elle aura favorisé, pendant les années lycées, à 11 de moyenne, des élèves à qui on exigera 12 pour obtenir les diplômes des grandes écoles. C’est déjà le cas pour décrocher le diplôme de l’École Nationale de Commerce de Port-Gentil. Ce n’est pas le moindre des paradoxes. Il est vrai qu’il semble plus facile d’avoir 12 de moyenne en 6ème qu’en seconde, si on reste dans les cas généraux.

La porte-parole du gouvernement qui, dans une autre vie, affirmait sans sourciller qu’au Gabon on pouvait donner la bourse à tous les enfants depuis la maternelle, nous a expliqué avec des arguments auxquels elle ne croit pas elle-même, que les bourses préalablement destinées aux élèves qui auront entre 10 et 12 de moyenne au premier cycle et entre 10 et 11 au second cycle seront leurs contributions à eux aux efforts salvateurs du pays confronté à des difficultés. C’est à peine si elle ne dit pas que la patrie reconnaissante devrait décorer ces enfants pour le sacrifice consenti. Elle gagnerait plutôt à méditer cette réplique prononcée par Abraham Lincoln,  président des États-Unis au 19ème siècle : « Si vous trouvez que l’éducation coûte trop cher, essayez donc l’ignorance ».

Fidèle AFANOU ÉDÉMBÉ

Chroniqueur libre

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