« La candidature d’Oligui est absolument illégale » selon Ali Akbar Onanga.

Le dimanche 9 mars 2025, le Ministre de l’Intérieur a annoncé la liste des candidats retenus pour l’élection présidentielle et, sans surprise, le nom de son chef, le président de la transition y apparaît.
Toutefois, la validation de cette candidature constitue une violation manifeste des principes fondamentaux du droit interne gabonais, des engagements internationaux du pays ainsi que des règles démocratiques élémentaires qui encadrent les transitions politiques. De plus, elle trahit les engagements initiaux de la junte qui, en prenant le pouvoir, prétendait œuvrer pour la restauration de la démocratie et la refondation des institutions.
UNE CANDIDATURE MANIFESTEMENT CONTRAIRE AU DROIT INTERNE
Le premier obstacle à cette candidature réside dans la Charte de la Transition, texte fondamental élaboré et adopté par les nouvelles autorités elles-mêmes après le coup d’État. Cette Charte, adoptée par l’ordonnance n° 0003/PT/2023 du 2 septembre 2023 et révisée à deux reprises par les lois n° 001/2023 du 6 octobre 2023 et n° 001/2024 du 23 février 2024, contient une disposition explicite et impérative.
L’article 44, alinéa 10, dispose que « les membres du Gouvernement de la Transition ne sont pas éligibles à l’élection présidentielle qui sera organisée pour marquer la fin de la Transition ».
Or, le président de la transition a, par décret n° 00009/PT/PM du 8 septembre 2023, occupé les fonctions de ministre de la Défense nationale et de ministre de l’Intérieur et de la Sécurité du 9 septembre 2023 au 17 janvier 2024, en ayant pour délégués auprès de lui les ministres Brigitte ONKANOWA à la Défense et Hermann IMMONGAULT à l’Intérieur. Par conséquent, selon une lecture stricte et incontestable de l’article 44, alinéa 10, sa candidature est irrecevable.
On peut légitimement supposer que si le président de la transition avait voulu être candidat, soit il se serait abstenu de participer au gouvernement formé plusieurs jours après l’adoption de la Charte, soit il aurait modifier cette disposition à l’occasion de l’une des deux révisons qu’elle a subi. Or, il ne l’a pas fait. Sauf à considérer que pour lui, la violation de la loi est préférable à son respect !
VIOLANT LES ENGAGEMENTS INTERNATIONAUX DU GABON
Au-delà du droit interne, cette candidature heurte de plein fouet les engagements internationaux du Gabon, notamment en matière de gouvernance démocratique et de respect de l’État de droit.
La Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, adoptée par l’Union africaine et signée par le Gabon le 2 février 2010, interdit explicitement aux auteurs de coups d’État de participer aux élections organisées pour rétablir l’ordre démocratique. Son article 23 qualifie tout coup d’État contre un gouvernement démocratiquement élu de « changement anticonstitutionnel de gouvernement », tandis que l’article 25 alinéa 4 précise que « les auteurs de changement anticonstitutionnel de gouvernement ne doivent ni participer aux élections organisées pour la restitution de l’ordre démocratique, ni occuper des postes de responsabilité dans les institutions politiques de leur État ».
Ce texte engage juridiquement le Gabon, même en l’absence de ratification formelle, en vertu de l’article 18 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, ratifiée par le Gabon le 22 septembre 1988. Cet article stipule qu’un État signataire doit s’abstenir de tout acte contraire à l’objet et au but d’un traité qu’il a signé, même avant sa ratification définitive.
En déclarant sa candidature, le président de la transition viole ces engagements et défie ouvertement l’Union africaine, menaçant ainsi d’exposer le pays à des sanctions économiques et diplomatiques.
TRAHISSANT LES ENGAGEMENTS PRIS DEVANT LE PEUPLE GABONAIS ET LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE
En outre, la candidature du président de la transition à l’élection présidentielle constitue un reniement absolu des engagements solennels qu’il avait pris lors de son investiture le 4 septembre 2023. Ce revirement traduit une dérive autoritaire et un mépris total pour la parole donnée au peuple gabonais et à la communauté internationale. En analysant ses propres déclarations à la lumière des faits, l’écart entre le discours et la réalité apparaît dans toute sa brutalité.
Le 4 septembre 2023, il déclarait notamment :
1. « C’est fort de cet esprit que le 30 août 2023, telle une météorite dans la nuit noire, les Forces de Défense et de Sécurité de notre pays ont pris leurs responsabilités en refusant le coup d’état électoral qui venait d’être annoncé par le Centre Gabonais des Élections à la suite d’un processus électoral outrageusement biaisé. » Le chef de la junte justifiait son coup d’État par la nécessité de rétablir la démocratie et de refuser un « coup d’État électoral ». Or, en annonçant sa propre candidature à une élection qu’il organise lui-même, il reproduit exactement ce qu’il prétendait dénoncer.
2. « Le Comité pour la Transition et la Restauration des institutions (CTRI) a changé le régime en place, qui confisquait le pouvoir des institutions de la République depuis quelques années, au mépris flagrant des règles démocratiques. » Si le régime précédent confisquait le pouvoir, que fait alors le président de la transition aujourd’hui en cherchant à s’imposer par une élection biaisée ? La transition devait être une parenthèse permettant d’assainir le système institutionnel, non un tremplin pour s’accaparer le pouvoir. En briguant la présidence, il démontre que la transition n’aura été qu’un subterfuge destiné à légitimer un nouvel accaparement du pouvoir, au mépris de l’esprit démocratique qu’il prétendait restaurer.
3. « À l’issue de cette transition, avec l’apport de tous les Gabonais et des partenaires au développement, nous entendons remettre le pouvoir aux civils en organisant de nouvelles élections libres, transparentes et crédibles dans la paix. » Or, en annonçant sa candidature à l’élection présidentielle qu’il organise lui-même, le président de la transition commet une trahison politique d’une gravité inouïe. Cette candidature n’est rien d’autre qu’une tentative de confiscation du pouvoir sous couvert d’un simulacre électoral.
Le parallèle avec d’autres transitions en Afrique est frappant. Chaque fois qu’un militaire putschiste a tenté de s’octroyer une légitimité électorale, cela a conduit à des crises politiques majeures. L’Union africaine et la communauté internationale avaient fermement condamné ces dérives au Mali et en Guinée, exigeant des garanties fermes sur la non-participation des militaires aux élections post-transition. Le Gabon ne saurait faire exception à cette règle fondamentale de bonne gouvernance.
Ce qui rend cette trahison encore plus accablante, c’est qu’elle porte précisément sur la promesse phare qui avait permis de justifier le coup d’État. Il ne s’agit pas d’une déclaration accessoire ou d’un engagement secondaire. C’est l’élément fondamental qui a convaincu une partie de la population d’accepter la transition et qui a permis à la junte de bénéficier d’un certain sursis sur la scène internationale.
En septembre 2023, les militaires affirmaient avec force qu’ils n’avaient pas pris le pouvoir pour s’y éterniser, mais pour corriger les dysfonctionnements d’un régime jugé illégitime. Ils se présentaient en garants temporaires de l’intérêt général et assuraient qu’ils ne chercheraient en aucun cas à s’approprier durablement le pouvoir. Aujourd’hui, en brisant cette promesse essentielle, ils commettent une tromperie politique sans précédent.
Le président de la transition avait également, dans l’euphorie du pouvoir nouveau, cité Omar Bongo Ondimba en ces termes :
4. « Permettez-moi de rappeler à votre souvenir les paroles prononcées par Feu le président Omar Bongo dans cette salle, au terme de 42 ans de règne après Feu le Président Léon Mba, premier Président du Gabon : « Dieu ne nous a pas donné le droit de faire du Gabon ce que nous sommes en train de faire, il nous observe. Il dit : amusez-vous. Le jour où il voudra aussi nous sanctionner, il le fera. » » Cette citation prend aujourd’hui une résonance encore plus puissante face à la trahison politique en cours. Si les militaires avaient utilisé ces paroles pour justifier leur prise de pouvoir, ils n’en ont manifestement pas tiré les conclusions vertueuses qu’ils auraient dû. Ils se retrouvent aujourd’hui dans la même posture que ceux qu’ils dénonçaient, s’accrochant au pouvoir en dépit des engagements pris. Dès lors, cette prémonition court toujours et s’impose avec une clarté accablante, car les dérives dénoncées hier sont désormais plus exacerbées encore.
5. « Cette phrase remplie de sagesse, était en réalité la voix de Dieu qui a fini par accomplir sa volonté pour le peuple Gabonais aujourd’hui. » Le chef de la junte avait donné une interprétation religieuse et morale à la chute du régime précédent, y voyant une sanction divine. Pourtant, il n’a pas su appliquer cette même logique à son propre comportement. En tentant aujourd’hui de s’imposer par la force des institutions, il commet la même faute et s’expose à la même sanction.
Aujourd’hui, toutes ces bonnes intentions du 4 septembre 2023, ces engagements vertueux sont foulés aux pieds. Chaque mot prononcé ce jour-là résonne aujourd’hui comme un mensonge cynique. Les engagements pris devant le peuple gabonais et la communauté internationale sont balayés d’un revers de main, révélant la nature véritablement opportuniste de ce projet politique.
Au demeurant, la candidature du chef de la junte militaire à l’élection présidentielle ne constitue pas seulement une rupture avec les engagements politiques pris lors de l’allocution du 4 septembre 2023 ; elle est aussi une trahison fondamentale des valeurs d’honneur et de loyauté qui fondent l’éthique militaire.
TRAHISSANT LES VALEURS D’HONNEUR ET DE LOYAUTÉ QUI FONDENT L’ÉTHIQUE MILITAIRE
Dans toutes les armées du monde, y compris celle du Gabon, un principe sacré gouverne le comportement des soldats et des officiers : l’honneur du militaire repose sur le respect absolu de la parole donnée et du serment prêté. Or, en revenant sur son engagement de ne pas se présenter à l’élection présidentielle et de remettre le pouvoir aux civils, le général putschiste foule aux pieds l’un des principes les plus fondamentaux de la profession militaire.
L’institution militaire repose sur un code d’honneur qui exige des soldats qu’ils tiennent fermement leurs engagements, même au péril de leur vie. L’une des maximes les plus fondamentales de la profession militaire est la suivante : « L’honneur d’un soldat réside dans sa fidélité à sa parole et à ses engagements. »
Un militaire ne ment pas. Il ne trompe pas. Il ne trahit pas. Ces valeurs constituent l’ossature même de la discipline et de la cohésion de l’armée. Lorsqu’un soldat ou un officier donne sa parole, il s’y attache avec une rigueur absolue, car un engagement pris est un engagement tenu.
En prenant publiquement l’engagement, devant le peuple gabonais et la communauté internationale, de ne pas briguer le pouvoir et d’organiser une transition impartiale, le chef de la junte s’est placé sous le poids d’une obligation morale et éthique indéfectible. Revenir sur cet engagement, c’est briser le pacte d’honneur qui fait la grandeur et la dignité d’un militaire.
Plus grave, un militaire qui trahit sa parole ne nuit pas seulement à lui-même. Il salit également l’image et la réputation de toute l’institution militaire. L’armée gabonaise a toujours été perçue comme une force au service de l’État et du peuple, et non comme une machine de confiscation du pouvoir. En reniant ses engagements, le chef de la junte envoie un message terrible : il démontre que la parole d’un militaire gabonais n’a plus de valeur et que les serments prêtés ne sont que des déclarations vides.
En toute hypothèse, un militaire qui trahit son serment ne peut plus être considéré comme un homme d’honneur. Un militaire qui ment ne mérite plus de commander. Il devient un parjure, un homme ayant bafoué l’honneur de l’uniforme, un usurpateur dont le nom est associé à la forfaiture et au mensonge.
JUSTIFIANT L’APPEL À LA MOBILISATION DU PEUPLE GABONAIS ET DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE
Face à cette tentative de confiscation du pouvoir, le peuple gabonais ne doit pas rester spectateur. Accepter cette candidature, c’est valider un coup d’État déguisé.
Les parallèles avec d’autres transitions militaires en Afrique sont révélateurs et instructifs. Au Mali, au Burkina Faso et en Guinée, les leaders de coup d’État ont été contraints de respecter les principes démocratiques, avec des pressions internationales significatives les empêchant de se porter candidats. Ces précédents démontrent qu’il existe des mécanismes de contrôle et de dissuasion efficaces.
Le cas gabonais risque de créer un précédent dangereux si la communauté internationale reste passive. L’Union africaine se trouve aujourd’hui face à un test décisif. Laissera-t-elle prospérer cette mascarade démocratique ? Acceptera-t-elle que les principes fondamentaux de l’État de droit soient ainsi bafoués ? La crédibilité de l’organisation est directement en jeu.
Cette candidature est plus qu’une simple manœuvre politique. Les enjeux dépassent largement le cadre gabonais. Ce qui se joue aujourd’hui est la capacité des institutions démocratiques à résister aux tentatives de contournement et de manipulation. C’est un combat pour la crédibilité des processus électoraux, pour l’intégrité des transitions politiques en Afrique.
Les mécanismes de contrôle et de pression diplomatique doivent être activés avec la plus grande détermination. Chaque organisation internationale, chaque pays démocratique a la responsabilité de défendre les principes républicains et de condamner fermement cette tentative de confiscation du pouvoir.
Au demeurant, le peuple gabonais a, à plusieurs reprises, exprimé son indignation face à ces manœuvres liberticides, mais le CTRI, convaincu que sa force militaire lui confère une immunité absolue, a systématiquement ignoré ces contestations.
Ce processus d’accoutumance à l’illégalité repose sur une logique bien connue des régimes autoritaires : tester jusqu’où le peuple est prêt à accepter l’inacceptable. Dans un premier temps, on commence par de petites violations du droit, pour voir si la population réagit. Ensuite, on passe à des infractions plus graves, en misant sur l’usure du peuple et sa résignation progressive. Enfin, on impose une violation majeure – ici, la candidature illégale du chef de la junte – en espérant que la lassitude et la peur empêcheront toute contestation massive.
Aujourd’hui, la ligne rouge est sur le point d’être franchie. L’article 44 alinéa 10 de la Charte de la transition, qui interdit formellement aux membres du gouvernement de la transition de se porter candidats à l’élection présidentielle, est claire et sans ambiguïté. En validant la candidature le président de la transition, le ministère de l’Intérieur met au défi le peuple gabonais, alors cette fois-ci, la réaction populaire devra être à la hauteur de l’enjeu historique.
L’histoire est riche d’exemples de peuples qui ont triomphé de dictatures militaires, même face à des régimes répressifs. L’usage de la force contre des populations civiles est un crime sanctionné par le droit international.
La Cour pénale internationale (CPI) surveille de près ces situations. Les militaires gabonais doivent se demander s’ils sont prêts à être jugés pour répression sanglante, sachant que de nombreux dirigeants avant eux ont été traînés devant la justice internationale. La peur n’a donc pas lieu d’être du côté du peuple. Ceux qui doivent avoir peur, ce sont les militaires eux-mêmes, car s’ils franchissent la ligne de la répression sanglante, ils porteront à jamais la marque du crime.
Les violations précédentes ont été dénoncées, mais elles n’ont pas été stoppées. Cette fois-ci, il ne s’agit plus simplement de dénoncer, mais d’agir. Le peuple gabonais doit se mobiliser pacifiquement mais avec une détermination absolue, car un peuple qui refuse l’injustice finit toujours par triompher. L’histoire l’a prouvé maintes fois.
Le choix est simple : accepter cette violation et laisser la dictature s’installer durablement, ou se lever pour exiger la justice et la démocratie.
Ali Akbar ONANGA Y’OBEGUE
Docteur en Droit,
Enseignant à la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de l’Université Omar Bongo de Libreville

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *