C’est une séquence de la vie de l’entreprise dont les salariés ne sont pas près d’oublier. Le 17 septembre 2021, un huissier de justice débarque au siège de la Société Nouvelle Air Affaires Gabon (SN2AG), sis dans l’enceinte de l’Aéroport International Léon MBA de Libreville (ADL) et par temps de pluie, ordonne aux policiers qui l’accompagnent de vider les meubles qui sont dans les bureaux et de fermer les portes.
Cette compagnie privée aérienne d’affaires venait ainsi d’être expulsée de l’aéroport sur une décision de justice alors que le dossier n’est pas encore totalement vidé.
Ce désolant spectacle auquel assistent impuissants les salariés constitue l’épisode le plus surprenant dans le long feuilleton judiciaire qui oppose la compagnie aérienne d’affaires à Gabon Special Economic Zone (GSEZ), filiale du Groupe indien Olam / ARISE avec une participation gabonaise.
Mais c’était sans compter avec la patronne de SN2AG, Hermine Bongo Ondimba résolument dressée contre ce qu’elle considère comme une injustice faite à la société. Depuis lors, armée d’un moral d’acier et soutenue en bloc par les salariés, elle se bat pour faire revivre son entreprise.
S’est alors engagée une épique bataille judiciaire dont l’épilogue pourrait se jouer dans quelques semaines devant la Haute juridiction qu’est le Conseil d’Etat.
Enquête.
« Société Nouvelle Air Affaires Gabon », (SN2AG) ! Une enseigne qui faisait partie des fleurons du secteur du transport aérien d’affaires dans les années 70 et 2000 et très prisée par les hommes d’affaires et les experts expatriés opérant dans l’exploitation du sous-sol gabonais. Il faut dire que cette compagnie capitalise plusieurs années d’expérience dans le transport aérien d’affaires et de l‘évacuation sanitaire, qui lui donne une certaine longueur d’avance sur ses concurrents dans la sous-région et même en Afrique.
C’est en 1974 que la société a été créée sous l’appellation 2AG (Air Affaires Gabon) et installée sur le terrain nu du foncier de l’ASECNA, avant d’être rachetée en 1996 par des opérateurs privés gabonais et rebaptisée Nouvelle Air Affaires Gabon (N2AG). Elle hérite de l’autorisation d’occupation temporaire du domaine public signée en 1993 entre 2AG et Aéroport de Libreville (ADL). Entre-temps, à nouveau rebaptisée Société Nouvelle Air Affaires Gabon (SN2AG), elle signe le 14 février 2002, une nouvelle convention avec ADL pour une durée qui prend fin le 31 décembre 2015.
Au terme de la convention, SN2AG hérite de droit les réalisations faites par ses prédécesseurs sur la base de conventions signées en 1975 entre ASECNA et Air Affaires Gabon, puis en 1978 entre ASECNA et Support Air Gabon. Ces conventions, faut-il le souligner, conféraient aux sociétés aériennes « des droits immobiliers qui s’analysent en un droit de superficie ».
Autrement dit, les bâtiments qui ont été érigés ne sauraient être considérés comme les biens de l’Etat, encore moins comme un patrimoine du concessionnaire qu’est ADL.
Afin de disposer d’infrastructures à la hauteur de ses ambitions, SN2AG construit un bâtiment accueil bureau de de 660 m2, un hangar technique de 220 m2, un hangar fret de 1070,30 m2, un autre de 500 m2, un hangar atelier véhicule de 150m2 et un autre hangar bureau de 140 m2.
Selon la convention, SN2AG doit verser à ADL une redevance annuelle de 37 584 700 F CFA pour 14,596 m2 puis un peu plus après, soit 37 771 258 à compter du 1er juillet 2013 pour 13,739 m2.
Jusque-là tout se passe bien. Les deux parties ne sont pas mécontentes de l’application de la convention. Chacune y trouve son compte, jusqu’à ce que, hélas, SN2AG entre dans une zone de fortes turbulences.
Les affaires de SN2AG ne marchent plus comme avant et au fil du temps, elle éprouve des difficultés à faire face à ses engagements financiers. Acculée, elle sollicite et obtient d’être placée sous le statut de redressement judiciaire par un jugement de la chambre correctionnelle du Tribunal de Libreville le 2 juin 2014, soit 18 mois avant le délai d’expiration de la convention.
Conséquences, ses biens sont légalement hypothéqués. Mais elle avait proposé un deal à ADL : lui céder ses loyers payés par les sociétés Solenta Aviation Gabon et DHL Global Forwarding le temps que les deux parties trouvent un accord. L’accord n’ayant pas eu lieu, SN2AG a annulé sa proposition, exigeant à nouveau à Solenta Aviation et DHL Global Forwarding de continuer à lui verser ses loyers. Sauf qu’entre-temps, ADL a été liquidée et cédée à Gabon Special Economic Zone (GSEZ) AIRPORT depuis 5 octobre 2018, une filiale du groupe indien Olam /Arise, qui revendique aussi le paiement des loyers. Fort curieusement, Solenta Aviation Gabon s’est alignée sur les positions de GSEZ, considérant que SN2AG n’avait pas à se rétracter !
Ce désolant spectacle auquel assistent impuissants les salariés constitue l’épisode le plus surprenant dans le long feuilleton judiciaire qui oppose la compagnie aérienne d’affaires à Gabon Special Economic Zone (GSEZ), filiale du Groupe indien Olam / ARISE avec une participation gabonaise.
C’est le début d’une bataille judiciaire jalonnée de rebondissements. L’affaire est portée devant la justice. L’éclaircie arrive le 21 août 2020 quand tombe le verdict du Juge commissaire : « Disons que la liquidation de ADL est forclose pour production de créance. Disons subséquemment infondée la revendication des loyers présentée par la société GSEZ. Disons qu’à compter du prononcé de la présente, lesdits loyers seront reversés entre les mains du Syndic judiciaire SN2AG.
Disons notre ordonnance exécutoire sur minute et avant enregistrement. Condamnons les défendeurs à proportions pour moitié aux dépens ».
Cette fois-ci, c’est SN2AG qui a marqué des points. Mais la partie adverse a fait opposition et ce n’est qu’en 2022 qu’elle se rétracte, incapable de motiver son opposition. S’en est suivi une longue attente pour SN2AG qui attend de recevoir l’ordonnance de rétractation émanant de la cour d’appel pour revenir au tribunal de commerce et relancer sa demande de réouverture des portes. Fin janvier 2021, le tribunal de commerce de Libreville donne raison à GSEZ AIRPORT : « Les redevances annuelles des constructions érigées par la société en redressement judiciaire Nouvelle Air Affaires Gabon sur le domaine public de l’aéroport international Léon Mba de Libreville seront versés à compter du présente jugement entre les mains de la société GSEZ AIRPORT, actuel concessionnaire pour le compte de l’Etat gabonais ». GSEZ vient de remporter une bataille dans la guerre que se livrent les deux sociétés. Mais pas la guerre.
Non seulement GSEZ continue de revendiquer le versement des loyers, mais pis, revendique la propriété des bâtiments qui selon lui, seraient tombée dans le domaine public. Ce que contestent SN2AG et ses conseils car, il ne peut avoir de transfert de propriété sur des biens hypothéqués. La société GSEZ tente-t-elle par des moyens déloyaux d’exproprier SN2AG après qu’une tentative de trouver un accord entre les deux parties ait échoué ? On peut le penser. En 2016, SN2AG avait accepté que le transfert de propriété soit fait au bénéfice de ADL en contrepartie du paiement de 3,181513180 milliards de F CFA, soit la valeur estimée de ses constructions et aménagements. Le nouveau concessionnaire, en l’occurrence GSEZ n’a proposé que …500 millions.
Incapable de payer le prix demandé par SN2AG pour acquérir ses biens, GSEZ ne renonce cependant à son projet.
En avril 2021, elle revient à la charge en introduisant un référé demandant l’expulsion de SN2AG du domaine public. La décision qui en sortira est irréversible. D’où la nécessité de respecter la procédure envers les parties en conflit afin qu’elles puissent plaider leur cause.
Une première audience est fixée le 27 avril, puis reportée au 30 avril sans que les motifs de ce report aient été communiqués à la partie défenderesse. Laquelle n’est pas au bout de ses surprises. Aussi hallucinant que cela puisse paraitre, le juge des référés a réussi l’exploit de rendre sa décision le même jour, en défaveur de SN2AG, c’est-à-dire son expulsion de l’aéroport de Libreville !
Le 17 septembre 2021 l’huissier de justice de GSEZ est donc passé à l’œuvre, convaincu d’exécuter une décision de justice rendue dans le respect du droit : « Ils ne peuvent pas être surpris puisque l’exécution que nous faisons aujourd’hui date. Ils ont été condamnés par le tribunal administratif depuis le 30 avril 2021. Ils ne se sont pas exécutés. Ils n’ont pas non plus trouvé nécessaire d’interjeter appel », a-t-il commenté dans la presse nationale. Ce qui n’est pas exact. Il y a manifestement eu vice de forme.
« Le juge des référés de céans aurait dû convoquer les parties, à une audience publique afin de respecter le principe de l’oralité de la procédure de référé compte tenu du caractère irréversible de la décision à venir. Ce qui n’a pas été le cas », protestent les conseils de SN2AG.
Un pourvoi en cassation de l’ordonnance de référé du 30 avril 2021 est donc introduit auprès du Conseil d’Etat. Et c’est dans l’attente que la haute juridiction se prononce que l’expulsion manu militari de SN2AG a été faite.
Le conseil d’Etat va devoir, avec la sagesse qui lui est reconnue, examiner et trancher une affaire pour le moins complexe.
Les bâtiments ont été édifiés en 1975 et 1978 et ont fait l’objet d’une convention avec l’ASECNA en 1975 et 1978. Et en application du taux d’amortissement fiscal de 8% par an en vertu de la loi de finances en vigueur jusqu’en 2014, ces constructions sont amorties en 12 ans et 6 mois, c’est-à-dire en 1988 et 1999. Elles ont intégré le domaine public en 1988 et 1991.
Selon l’Etat, les immeubles amortis fiscalement tombent dans le domaine public et devient sa propriété. Ce que contestent les avocats de SN2AG qui demandent la base légale de telles allégations. Pour eux, le retour dans le domaine public est une expropriation et il y a une procédure pour cela. Le nouveau concessionnaire qu’est GSEZ AIRPORT considère également que la convention signée entre ADL et SN2AG n’octroie qu’un droit de superficie et non des droits immobiliers à cette dernière. Conséquence, les réalisations faites par SN2AG sur le domaine de ADL ne lui appartiennent plus. Où sont les bases légales de telles allégations ?, demandent les conseils de SN2AG. Pour eux, le retour dans le domaine public est une expropriation et il y a une procédure pour cela.
Ils rappellent que les articles 1,2, 3 de la Convention 128/2001 produite par l’Agence judiciaire de l’Etat stipule que « le titulaire a repris le 30 août 1996 les constructions réalisées par les titulaires des précédentes que sont : ASECNA N°112 de 1975 avec la compagnie Air Affaires Gabon ASECNA N°147 de 1978 avec la compagnie Support Air Gabon.
Ces constructions ont été réalisées par les différents titulaires avec l’accord exprès du concessionnaire, dans le respect des dispositions de la réglementation gabonaise en matière de gestion du domaine public et du régime des amortissements fiscaux qui y sont attachés ».
Ce n’est pas tout. « Les conventions signées avec les précédents titulaires conféraient à ces derniers des droits immobiliers qui s’analysent en un droit de superficie. Ceux-ci sont repris par la présente convention ».
Il n’y a pas d’ambigüité sur ce point : SN2AG dispose bien d’un droit immobilier réel en qualité de propriétaire des constructions, des ouvrages avec toutes ses conséquences de droit, l’usus, le fructus et l’abusus sur le sol dont l’Etat est propriétaire.
La question de droit qui se pose dans ce dossier est celle du transfert d’un patrimoine privé vers le domaine public. Sur ce point, l’article 65 de l’Ordonnance 00000005/PR/2012 fixant le régime de la propriété foncière en République Gabonaise stipule que « tout droit réel relatif à un immeuble, immatriculé, n’existe à l’égard des tiers, que par le fait et du jour de son inscription sur le titre par le Conservateur ».
Cette disposition est complétée par l’article 66 de la même Ordonnance qui stipule que « les actes volontaires et les conventions tendant à constituer, transmettre, déclarer, modifier ou éteindre un droit réel ne produisent effet, même entre parties, qu’à dater de l’inscription sans préjudice des droits et actions réciproques des parties pour l’inexécution de leurs conventions ». Conclusion : « Jusqu’à ce jour, le droit réel sur les constructions aux loyers querellés reste exclusivement reconnu à SN2AG dans le Registre Spécial du Domaine Public ». C’est donc GSEZ qui s’oppose à ce que la N2AG jouisse de son droit de propriété, d’autant moins que les biens dont il est question sont inscrits au Livre foncier de la ville de Libreville comme appartenant à N2AG.
Les conseils de SN2AG font par ailleurs noter que l’amortissement fiscal invoqué par l’état ne saurait justifier qu’il redevienne propriétaire des bâtiments construits par leur client car le retour dans le domaine public d’un immeuble est une expropriation et il y a une procédure pour cela.
N2AG fait également remarquer que ces immeubles exigent une maintenance permanente notamment dans un secteur comme celui de l’aviation où les normes de sécurité évoluent et exigent des travaux lourds. Des travaux de maintenance et de modification dont les coûts auraient dû être à la charge de l’Etat, mais intégralement supportés par SN2AG en vertu des dispositions de l’article II alinéa 8 de la convention 128/2001 du 14 février 2002.
D’ailleurs, c’est en prenant en compte tous ces éléments qu’un inventaire avait dévoilé que le concessionnaire ADL devait payer la somme de 3,181513180 milliards à SN2AG comme valeur résiduelle des bâtiments et installations. Ce qu’il n’a pas fait.
C’est sur un dossier qui n’est pas seulement économique et financier que les sages du Conseil d’ Etat sont attendus. Les yeux des salariés, mais aussi des chefs d’entreprises gabonais, sont rivés sur leur décision. Le verdict sera aussi un signal adressé aux investisseurs nationaux et surtout internationaux sur la qualité du climat des affaires gabonais et la crédibilité de la justice à arbitrer les litiges en toute indépendance.
Par Dominique Koné
Source: Kaceto.net