Estuaire: Le bal des sorciers.

A qui s’adresse (réellement) l’appel de Julien Nkoghe Bekale ?

Le gotha politique et administratif de la province de l’Estuaire, membres du parti démocratique Gabonais  s’est donné rendez-vous, il y a quelques jours, dans les jardins de la mairie centrale de Libreville pour écouter l’appel à l’unité de leur fils, Premier ministre, Julien Nkoghe Bekale. A-t-il été entendu ? Plongée au cœur d’une province d’enfants gâtés et d’éternels  insatisfaits.

Lorsque le 27 février 2012, Ali Bongo a nommé Raymond Ndong Sima, un premier ministre issu non pas de la province de l’Estuaire, mais du Woleu-Ntem, ce fut le choc. L’onde de ce Tsunali a essaimé tous les villages de l’Estuaire au point ou certains n’ont pas hésité à parler de trahison, d’hypocrisie ! Plus grave, certains mécontents, en signe de révolte ont émargé dans l’opposition, encouragés en cela par le positionnement de Jean Eyeghe Ndong, neveu du président Léon Mba. Résultat, en 2016, l’Estuaire a offert plus de 60% de voix à Jean Ping devant un modeste 37% pour le PDG d’Ali Bongo. Un camouflet !

Or, les éminences grises du PDG avaient pressenti cette sclérose dans cette province minée par plus de 43 ans d’une primature fang mal partagée. Ali Bongo et surtout André Mba Obame dont la filiation dans l’Estuaire est connue, recevaient ces frustrations et jouaient parfois les missi dominici du palais pour réconcilier les frères rebelles. Entre ceux qui se réclamaient d’une filiation avec la famille Léon Mba et d’autres qui clamaient haut avoir une réelle assise politique sur le terrain, les enchères étaient très élevées !

Chacun a encore en mémoire, le refus de Jacky mille encyclopédies de participer, en 1994 au gouvernement du Dr Paulin Obame Nguema fait de « Bric et de broc », c’est-à-dire composé à la hussarde avec des personnes imméritées. Qui sont ces bras cassés avec lesquels Jacky ne voulaient pas composer ? Omar avait dû lui trouver un strapontin à sa taille avec, en prime, dès le 23 janvier 1999, la nomination au poste de premier ministre qu’il usera sept ans durant!  OBO gérait, malgré lui, ces enfants gâtés  de son système et éternels insatisfaits.

Avec OBO, les signaux étaient déjà au rouge quand Biyoghé Mba a quitté le PDG et crée dans la foulée, le MCD avec, dans son escarcelle, le Jeune Julien Nkoghé Bekale. Ce dernier avait  toutes les peines du monde à tousser dans le komo Mondah devant son oncle Marie-Ange Casimir Oye Mba alors tout puissant. Aujourd’hui, lorsque Julien évoque les « égos surdimensionnés et la division », il n’y a pas meilleur témoin que lui-même.

Lors de la rencontre à l’hôtel de ville, l’ombre du  mentor de Julien, Paul Biyoghé Mba était invisible. La réconciliation et l’unité ne lui étaient-elles pas adressées ? On est tenté de le penser. Car, la tortue  n’a pas supporté, il y a quelques mois, l’exclusion du parti par les instances du PDG, de sa deuxième épouse, Joséphine Andeme Manfounbi, députée au 2e siège de la commune de Ntoum pour défiance et incitation à une candidature dissidente. Tout comme les atermoiements et l’ostracisme dont a fait l’objet sa protégée Marie Thérèse Vané à Akanda et la purge, dans la haute administration, des proches  ayant une proximité politique ou filiale avec lui. Selon les mauvaises langues, la main de Julien Nkoghe Bekale désormais patron politique de l’Estuaire, ne serait pas loin.

Le parrain de Bikéle n’a pas aussi échappé à l’humiliation. Sorti du gouvernement et écarté du cercle très convoité  du Comité permanent du bureau politique lors des dernières nominations au sein du PDG. Il est devenu  un éphémère membre du bureau politique pour le  3ème arrondissement de Ntoum où il est député. Le poste de membre du comité du bureau politique pour la province de l’Estuaire est échu au Premier ministre Julien Nkoghe Bekale qui le partage avec Rose Christiane Ossoucka Raponda, actuelle ministre de la défense.

Pour montrer son courroux face à ce qu’il  a considéré comme une méprise, il a refusé sa nomination de président du conseil d’administration (PCA) de la société nationale immobilière (SNI). L’hystérie générale a gagné le PDG à l’annonce, par Biyoghé Mba de la création d’une fondation qui porte  son nom.  Cette annonce, reçue comme le début d’un départ déguisé du parti, a mobilisé un ballet incessant d’émissaires inhabituels chez Paul. Dans la foulée, Josephine Andeme Manfoumbi a été réhabilitée au PDG et Marie Thérèse Vane nommée à la tête du CHUL, le même mois. Quelques semaines après, c’est la convocation de cet appel à l’unité des fils de l’Estuaire. Est-on sincère?

Premier ministre, le Bikelois a usé de la même rhétorique sur l’unité et la fraternité des fils du komo. Incompris et face à la même fronde des « écuries », il s’est retranché dans son village Bikele et en a fait une ville. En  trois ans. Cette gestion de l’Estuaire à la Sisyphe et par à-coups  lasse et justifie la délocalisation par Ali, dès 2012 de la primature au woleu-Ntem et dans l’Ogooué Ivindo. Beaucoup d’énergie est investie dans le sable du Komo.

Ainsi, en 2016, l’Ogooué Lolo, l’Ogooué Ivindo et le Haut-Ogooué, alliés stratégiques du pouvoir PDG ont renouvelé et maintenu leur confiance à Ali avec des scores très confortables, la province de l’Estuaire, alliée de cœur depuis plus de quarante deux ans de primature et de compagnonnage avec le régime Bongo-PDG, a tourné casaque. La surprise a été telle que des cantons et des villes entiers  des barons comme Bikele, le canton Mbè, Libreville, kango, Cocobeach  jusqu’à Donguila, ont tous voté l’opposition avec des scores à donner le tournis aux hiérarques du parti des masses. Qu’est ce qui n’a pas marché ? La réponse est dans le discours de Julien Nkoghe Bekale : les égos et la division. Le score de 2016 n’étant que la face émergée de l’iceberg.

Depuis 1967, la primature est chez les fang de l’Estuaire selon la géopolitique Omarienne. Mais la province est pauvre aussi bien en infrastructures qu’en hommes. Quarante deux ans sont passés et deux éditions successives des fêtes tournantes  de 2006 et 2007 avec un budget cumulé de 100 milliards ! Un gâchis ! Cet argent, géré par la baronnie de la province, avait pour objectif de doter la province en infrastructures de base : adduction d’eau, électrification, voiries, constructions et entretiens des routes, ponts, dispensaires, écoles etc. Résultat, un énorme gâchis.

Douze ans après, Libreville fait toujours grise mine n’eût été les travaux lancés par Ali dès 2012. Les 100 milliards sont passés entre les fourches caudines d’une élite politique et administrative gloutonne.  Aujourd’hui, la route Libreville-Cocobeach se ferme tout comme celle de Ntoum-Donguila, une piste d’éléphants avec des bourbiers pourtant marquée « bitumée » au budget. En période pluvieuse, elle se coupe. Les habitants de Nzamalingue ont maintes fois assisté, abasourdis, à des scènes ubuesques de Cam-la classe alors ministre d’état, abandonnant sa voiture embourbée pour continuer à pieds ’à son domicile.

Dans le canton Mbè, le pont du village Meba construit depuis la colonisation,  est fait avec deux billes d’Okoumé posées de part et d’autres et des planches posées au dessus. La route, entretenue par les exploitants forestiers, est impraticable. Emmanuel Nze Bekale y est invisible sauf lors des périodes électorales.

Rallier Cocobeach depuis Libreville est une gageure. Les populations de la Noya, faute d’un centre hospitalier digne, se soignent chez leurs voisins Equato-guinéens. La chaussée s’effondre à tout moment à Bengola, Akanabore et Iboundji. Ce qui complique  le quotidien des habitants renforcé par un  trajet passé de 7000f CFA à 10000 francs CFA. La situation des populations de la Noya est devenue plus critique après l’entrée de Menga M’Essonne dans l’opposition. Fils du coin, son retour au gouvernement  n’a toujours rien pas changé.

Orgueil, hypocrisie, divisions meublent l’élite de la province. Dans sa splendeur, Cam-la-classe disait à qui le voulait, qu’il est là grâce à ses « gros diplômes » et à sa relation personnelle avec Omar qui l’a « supplié » de venir redresser le Gabon, alors qu’il était très à l’aise à la BEAC. Tombé en disgrâce, il s’est étonné, presqu’en larmes, lors d’une rencontre tenue chez lui, il y a quelques semaines, du nombre de jeunes sans emplois aussi bien dans le canton que dans son propre village Nzamaligue.

Fils unique de sa mère, son frère du même village, Christophe Akagha Mba est aussi  fermé que la barrière de son pied-à-terre du village. Son éphémère passage au gouvernement justifie aussi la faible mobilisation sur le terrain politique d’un homme des réseaux et de l’ombre. La lumière gouvernementale l’a exposée lui, dont le contact avec le public reste énigmatique.

Nombre de cadres de l’Estuaire ont abandonné les villages pour s’agglutiner à Libreville. Le kilomètre 100 offre des broussailles à perte de vue quand ce ne sont pas des huttes qui meublent le parcours. Habités par les vieillards et les  flottants venus du sud et qui votent systématiquement l’opposition. Mamboundou y faisait des scores soviétiques. Dans tous les cantons du Komo kango, les fangs sont devenus si minoritaires que le PDG est contraint de jouer avec cet équilibre ethnique pour choisir ses poulains. Les votants, en majorité originaires du sud votent d’abord pour le moane mi punne. Ce sont aussi ces flottants (Punus,Nzembis etc) qui bâtissent et donnent un lustre dans certains villages et villes.  Du Pk12 à Ntoum, les terrains ancestraux sont vendangés à vils prix. Certains ont fait de Libreville leurs villages et vont au village soit pour le Ngosé soit pour les enterrements. Cette image peu glorieuse d’une province pourtant privilégiée depuis plus de 43 ans par le pouvoir Bongo-PDG, laisse songeur face à l’appel de l’actuel Premier ministre. Les mêmes causes produisant les mêmes effets.

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