Pour la première fois depuis plus de trente ans, une manifestation contre la précarité a été médiatisée devant la mairie de Moulengui-Bindza. À défaut de jeunes gens dégourdis, une vingtaine de doyennes de l’UFPDG s’est fait entendre dans les réseaux sociaux, vraisemblablement des activistes du parti au pouvoir qui n’avaient rien obtenu autrefois du Grand Camarade Omar, et qui n’espèrent plus grand-chose du Distingué Camarade Ali. Les juges coutumiers du G4 disent que celui qui se lave à l’eau froide ne ressent pas le froid.
Dans la bouche de ces antiquités de la politique, les mêmes revendications primaires depuis le mandat du « Progressisme Démocratique et Concerté » des années 1980: l’eau, l’électricité et la route, des réclamations auxquelles vient désormais s’ajouter l’oppression des éléphants sauvages. Des interpellations qui n’ont jamais rien produit depuis Omar Bongo et qui ne produiront pas grand-chose, sinon peut-être des miettes électorales dans les semaines à venir. Les juges coutumiers de la Louetsi disent que le bruit de la rivière n’empêche pas les poissons de dormir. Remarquez que la dame en bleu met à égalité le PDG et l’opposition, peut-être pour une raison simple: l’actuel député était déjà un élu du Parti Démocratique Gabonais.
Pour les concitoyens qui ont eu la chance un jour de passer par Moulengui-Bindza, c’est un sentiment de colère et de révolte. J’ai personnellement traversé deux fois le département de Mongo: d’abord en 2007 pour accompagner mon oncle Gauthier Kouamba, à l’époque agent de la société Zain Gabon; ensuite en août 2012 pour me rendre à Pointe-Noire en passant par les localités congolaises de Mbiribi et Tsembo. Il n’existe aucun autre endroit dans tout le Gabon, avec autant de misères concentrées sur un petit bout de terroir. C’est vrai, les populations de Minvoul, Medouneu, Moabi, Mabanda, Mékambo, Aboumi, Nzenzele, Bilengui, Eteke, Boumango, Onga, Mandji, Guietsou, Sindara, Malinga, Mbigou, Pana, Popa, Dienga, Aschouka, Makouké, Samkita, Igotchi, Mabanda, Nfoulenzem, Nzomoe et autres Ayeme Agoula vivent les mêmes réalités qu’ici; mais la laideur socio-économique des populations du département de Mongo est peut-être la symbolique matérielle de ce que la Bible appelle « l’étang de souffre et de feu ». Oui chers compatriotes, vous ne pouvez pas traverser le département de Mongo et rester la même personne. D’ailleurs les conseillers du Président de la République qui sont partis là-bas, baissent la tête et ferment la bouche à l’évocation de Moulengui-Bindza.
D’abord le réseau routier qui donne accès à Moulengui-Bindza ressemble à des pistes sauvages empruntées par les animaux de la forêt pour descendre à la rivière. Les accidents de la circulation sont fréquents et les familles régulièrement endeuillées. Ici le parc automobile de l’administration publique est soit mort, soit agonisant, soit inexistant. Sauf dotation récente, le Centre Médical de Moulengui-Bindza n’a plus d’ambulance depuis fort longtemps. À Mongo on ne vit pas, on survit; c’est par la seule débrouillardise que chaque fonctionnaire remplit ses missions.
Ensuite l’insalubrité de la ville. Le montage des vidéos que ces braves mamans ont proposées à l’ensemble des gabonais, révèle que la hauteur des herbes de Moulengui-Bindza est identique à celle des végétaux sur la route nationale. La vérité c’est que le regroupement des villages de Rinanzala est beaucoup plus agréable à regarder que les quartiers du chef-lieu du département. En fait Moulengui-Bindza n’a peut-être jamais eu de ligne budgétaire pour une voirie digne de ce nom. Les juges coutumiers disent que si les grands oiseaux ne chantent pas en premier, le petit oiseau ne chantera pas.
Philippe César Boutimba Dietha