Des dangereuses dans la ville.

Depuis  quelques mois, comme si elles se sont passé le mot, des femmes, pour la plupart jeunes, assassinent avec une froideur glaciale, leurs compagnons plongeant les habitants de Libreville notamment la gente masculine dans une stupeur totale.

Félicita Kakamba, alias ‘Filigrane ».

Femmes abeilles, femmes amantes religieuses, veuves noires. Les qualificatifs ne manquent pas pour désigner à travers le lexique animal, ces femmes qui mettent  à mort leurs compagnons. L’abeille, après avoir copulé reçoit une décharge de sa partenaire qui le met à mort. La mante religieuse, un insecte, est plus cruelle. Parfois appelée « Le tigre de l’herbe » en raison de ses mœurs voraces, la mante religieuse se nourrit  d’individus vivants qu’elle attrape avec ses charmes et l’immobilise en dévorant sa faiblesse. Elle met à mort son  partenaire lors de l’accouplement en dévorant sa tête.

Ces mises à mort chez les animaux sont les mêmes procédés, à quelques différences près, utilisés par les meurtrières gabonaises qui font la une de la presse et des réseaux sociaux. Les mobiles sont presque tous les mêmes : jalousie maladive, ambitions démesurées, argent, infidélité etc. En moins de quelques mois, des femmes ont trucidé leurs compagnons avec une rare violence qui rappelle les sérials killers occidentaux.

Le 28 mars 2018, un sergent de la garde républicaine tombe sous les coups de couteau de sa femme, en plein sommeil. Motif ? L’épouse a découvert l’enfant adultérin du mari  avec une autre femme. Prise de colère et ivre de jalousie, elle a attendu que son mari dorme d’un sommeil de juste pour  l’envoyer ad patrès !

Le 21 février 2019, Anasthasie Iboula, 52 ans, infirmière dans une société forestière basée à Otoumbi, bourgade située à 70 km de Ndjolé  dans la province du Moyen-Ogooué a envoyé son concubin au royaume d’Adès. La victime, Jonas Iyangui, un ex employé de la société Maurel & Prom a reçu un coup de couteau à la pointe de l’oreille gauche. Le drame serait survenu à la suite d’une dispute après une soirée arrosée dans un troquet du village. Selon les dires de la meurtrière, elle n’aurait pas apprécié les remontrances de son soupirant. Entrée dans une grande colère noire, elle s’est saisie du couteau dont le coup porté a provoqué une hémorragie cervicale. La victime s’est écroulée aussitôt, mort.

Le 20 mars 2019, Leona Cyrielle Moussavou Bissielou, élève en première au lycée d’Oloumi a fait assassiner son petit ami. Aidée de son frère Zaltan et de deux autres acolytes, elle va simuler le braquage  de son conjoint Lilian Antoine Ndong Allogho avec vol de deux millions de francs. Soupçonnée par le compagnon quelques jours plus tard, et pour le faire taire, elle va organiser un second guet-apens dans un scénario macabre inspiré des livres du roi de l’horreur américain Stephen King. Attendu dans la chambre à coucher par les sbires de sa petite amie, Lillian Antoine Ndong allogho sera criblé de 54 coups de couteau de cuisine livrés par sa concubine à ses bourreaux présents dans sa chambre. Elle-même avouera plus tard à la police « Lorsqu’ils sont arrivés chez moi le matin, je leur ai demandé de se cacher dans la chambre pour attendre le retour de mon petit ami. Et dès qu’il est arrivé vers 10 heures, il s’est directement dirigé dans notre chambre. C’est là qu’ils l’ont attrapé et attaché solidement, avant de le jeter sur le lit »

Dans la nuit du 9 au 10 avril, le corps de Maixant Moro Mihindou a été retrouvé gisant à côté des rails. Après  les investigations, les coupables ont été identifiés. Il s’agit des nommés Mayce Mayissa Lendomba, Maick Otchanga et Régis Ndjindji tous amis de Félicita  Kakamba alias « Filigrane ». Rencontrée dans un troquet d’Akournam par Maixant moro Mihindou, elle va orchestrer  avec froideur, l’assassinat de Maixant en associant les trois compères au motif que « le dragueur » serait plein aux as. Or, il avait en tout,  dans ses poches, un billet de 10.000f CFA et un téléphone de valeur équivalente.

Enfin, le 11 mai, Peggy Malola Matouba, une métisse de 40 ans a assassiné samedi, par injection létale sur son lit d’hôpital au Centre hospitalier et universitaire de Libreville, Max Martial Mba Ekoh. Cette femme serait la maîtresse de la victime. Habillée d’une blouse blanche d’infirmière, elle s’est introduite dans la salle et demandé à l’épouse du défunt qui veillait sur son époux, de sortir pour procéder aux soins du malade.  Elle a sorti le venin en l’injectant dans la perfusion ce qui a causé des spasmes violents à la victime, alertant son épouse qui a pu rattraper la fausse infirmière.

Les raisons de ces mises à mort sont multiples, même si aucun assassinat ne peut se justifier. Mais trois points peuvent justifier cette folie meurtrière qui essaime Libreville. D’abord l’influence négative des séries Novelas et les films africains notamment nigérians dont les scénarii sont empreint de tragédies.  Sans nier la responsabilité du troisième art gabonais. Le mode opératoire rappelle celui du grand banditisme. Tout est prémédité à l’avance. Les femmes gabonaises s’abreuvent de ces novelas qui mettent en scène des conflits amoureux et conjugaux qui virent parfois à la tragédie. Certaines téléspectatrices, véritables fans, sortent du cadre fictionnel de la série pour plaquer leur propre condition, leur quotidien, leur réalité. Ce transfert est dangereux.

Ensuite le problème de l’autonomisation de la femme. Plusieurs jeunes filles ont une vision de totale dépendance  financière vis-à-vis de l’homme. Sans argent et le plus souvent démunies, certaines préfèrent être des maîtresses parce que, selon la mauvaise opinion, la « Tchiza » aurait plus d’avantages en termes financiers. A tort. L’homme devant assumer les charges domestiques, considérées comme un droit. Et lorsque ces charges deviennent insoutenables, la crise aidant, le prince commence à relativiser la relation, ce qui n’est toujours du goût de la femme qui se sent flouer. Les activités créatrices de revenus seraient une aubaine pour l’indépendance de la femme. Il faut qu’elle se prenne en charge. Cette problématique appelle une autre, liée à l’éducation. La plupart des meurtrières ont un niveau scolaire bas, voire très bas.

Enfin l’irresponsabilité de l’homme. Toute  femme se rêve d’un homme à elle seule, comme dans les novelas. Malheureusement ce souhait est éprouvé sur le terrain, les gabonais, c’est connu, sont plutôt cavaleurs. La multiplication des maîtresses étant plutôt, à tort, un signe de virilité.  D’autres ont toutes les peines du monde à dire leurs statuts réels à leurs dulcinées. Le mensonge devenant alors l’arbre qui cache la forêt de marié. La découverte de la vérité ou, du moins, le mensonge est souvent au cœur de nombreuses tragédies. La violence inouïe manifestée lors des mises à mort, directement par la meurtrière ou indirectement par ses sbires, trahit une souffrance intérieure  dont le point culminant est l’acte de mort. La sanction ne doit pas être seulement l’emprisonnement. Il faut aussi un accompagnement psychologique de la meurtrière afin qu’à sa sortie, elle soit réhabilité.

Au-delà de ces meurtres, c’est l’échec du  modèle social gabonais qui est révélé ici quand on sait que la femme est le pilier de la famille en Afrique. Notre société est devenue anxiogène à cause des crises multiformes (politique, économique, sociale, culturelle) qui la secouent. Les repères ontologiques, le soubassement, qui créaient des références  et des modèles ont disparu au profit  des modèles hybrides souvent en contradiction avec nos mœurs. Aujourd’hui, les enfants s’entretuent pendant que leurs mères tuent à leur tour leurs géniteurs. Un comble !

Thierry Mebale Ekouaghe

Directeur de publication, membre de l'UPF (Union de la Presse Francophone) section Gabon, Consultant en Stratégie de Communication, Analyste de la vie politique et sociale, Facilitateur des crises.

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