« Grand Maître de la Grande Loge du Gabon et Président de la République : Un serment anticonstitutionnel ? » s’interroge Etienne Francky Meba Ondo.

S’il est bien un sujet considéré tabou au Gabon, c’est celui des accointances entre Pouvoir politique et Franc-maçonnerie. Du moins, cela semblait l’être sous le long règne de feu Omar Bongo Ondimba. Epoque où la discrétion des activités des Loges maçonniques sur lesquelles il trônait était un principe cardinal.

Il aura fallu l’arrivée controversée d’Ali Bongo Ondimba à la tête de l’Etat en 2009 pour que de nombreux Gabonais non-initiés découvrent, à travers une vidéo devenue virale en 2010, à quoi ressemble un cérémonial de Francs-maçons.

Nul doute que la fuite de cet élément vidéo tirait sa source d’un Franc-maçon. Seule une personne présente lors de l’intronisation d’Ali Bongo Ondimba comme Grand Maître pouvait se permettre un tel déballage. Pour de nombreux observateurs, ce constat renseigne sur l’envergure des divisions et guerres de leadership au sein de ces entités ésotériques.

Ce sujet, disais-je, relève du registre du tabou. Si l’écrivain Gabonais Janis Otsiemi l’aborde de façon fantasque dans son ouvrage intitulé « Les Voleurs de sexe », on reconnaîtra tout de même à l’universitaire, Pr. Albert Ondo Ossa, de s’être souvent prêté publiquement à une rhétorique interpellatrice à l’endroit des Francs-maçons Gabonais : les invitant à œuvrer pour le respect de la dignité du Peuple Gabonais et pour la consolidation d’une démocratie encore bafouée au Gabon.

Parce qu’il demeure que peu d’intellectuels et de personnalités politiques gabonaises osent aborder la problématique des rapports entre Pouvoir politique et Franc-maçonnerie au Gabon.

Alors que l’élection présidentielle de 2023 se rapproche à grands pas, tous les prétendants à la fonction suprême activent leurs réseaux.

« Inutile pour eux de venir se donner en spectacle pour l’instant si des assurances financières et des soutiens occultes ne sont pas acquis », commentait un observateur.

La presse locale, quant à elle, s’interroge en permanence sur le peu d’engouement observé du côté des forces de l’opposition, en comparaison à leur activisme politique de la même période d’avant la présidentielle de 2016. Une observation journalistique qui naît peut-être de la non prise en compte des dimensions « ésotérique » et « lobbyiste » qui, en amont, jettent les bases de toute candidature dite « sérieuse ».

Une réalité du Pouvoir politique qui est telle que ceux qui se contentent de parler de projets politiques et de conditions d’une élection transparente apparaissent comme des profanes crédules. Si profanes dans un environnement politique où ce qui n’est pas vu et su du grand public revêt une importance et un rôle bien plus importants que tout ce qui est rendu public : c’est-à-dire candidat « désigné », campagne électorale, mise à disposition des médias, mécénat, etc.

Pour être plus concret, qu’est-ce qui explique que le Président de la République Gabonaise soit nécessairement le Grand Maître de la Grande Loge du Gabon ? Loges du Gabon qui sont foncièrement rattachées à leurs « maisons-mères » occidentales depuis l’époque du président Omar Bongo Ondimba.

Autrement, combien de Gabonais analysent la teneur du serment prononcé par le Grand Maître de la Grande Loge du Gabon lors de son intronisation, en comparaison au serment prêté sur la Constitution en tant que Président de la République en présence de la Cour constitutionnelle ? Ces deux serments sont-ils compatibles ? Ne présentent-ils pas des intérêts divergents ?

Je me questionne parce que, depuis quelques jours, l’actualité gabonaise se nourrit de ces mouvements récents au sein de la Grande Loge du Gabon. Celle qui vient de reconduire à sa tête Ali Bongo Ondimba pour cinq ans.

Certains observateurs et nombre de médias se contentent de commenter l’écume des choses, alors qu’on pourrait par exemple s’interroger sur la dissonance qui semble exister entre le serment prêté par le Grand Maitre et celui du Président de la République, indépendamment de la personne d’Ali Bongo Ondimba. Car, tout autre Franc-maçon Gabonais pourrait demain poursuivre cette œuvre, comme le précise le serment en ces termes :

« Moi, Ali Bongo Ondimba, en présence du Grand Architecte de l’Univers et de cette Grande Loge de Maçons francs et acceptés, régulièrement tenue, assemblée et consacrée. De mon plein gré et consentement, par ceci et sur ceci, je promets solennellement que je m’acquitterai des devoirs de Grand Maître de la Grande Loge du Gabon, fidèlement et consciencieusement, avec zen et impartialité, et au mieux de mes aptitudes, jusqu’à ce qu’un Frère ait été dûment élu et installé à ma place. Dans cette haute fonction, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour servir les intérêts de la Franc-maçonnerie régulière générale et de cette Grande Loge en particulier. Que le Grand Architecte de l’Univers m’aide et m’arme de constance pour remplir cette obligation solennelle que je prends comme Grand Maître de la Grande Loge du Gabon ».

Lisons maintenant le serment prêté par Ali Bongo Ondimba en tant que Président de la République :

« Je jure de consacrer toutes mes forces, au bien du Peuple Gabonais, en vue d’assurer son bien-être et de le préserver de tout dommage, de respecter et de défendre la Constitution et l’Etat de droit, de remplir consciencieusement les devoirs de ma charge et d’être juste envers tous. Je le jure ».

Nous pouvons déjà observer que le serment de Grand Maître est plus dense. Mieux, dans son serment, le Grand Maître de la Grande Loge du Gabon promet de faire tout ce qui est en son pouvoir (notamment politique, en tant que Président de la République du Gabon ?) pour servir les intérêts de la Franc-maçonnerie en général et celle du Gabon en particulier. Au sens dudit serment, cet engagement est une « obligation ».

Si le Peuple Gabonais, dit-on, souverain ignore tout de ce que signifie « les intérêts de la Franc-maçonnerie en général », n’est-il pas en droit de considérer que le Président de la République, devenu tout aussi Grand Maître de la Grande Loge du Gabon, trahit son serment prêté sur la Constitution, en servant un autre projet que celui pour lequel il s’est publiquement engagé lors de la campagne présidentielle ?

Pour illustrer l’inquiétude relative à la juxtaposition de ces deux serments qui sont contradictoires à mon sens, invitons au sein de notre propos cette coupure d’article au sujet de feu Ernest Tomo (Précédemment Pasteur et ancien candidat à l’élection présidentielle de 2005) :

« Au Gabon, les loges sont omniprésentes et pourtant tellement taboues. Lors de la présidentielle, le pasteur Ernest Tomo a été le seul candidat à avoir osé en parler. «Forcément ! S’emporte-t-il. La plupart de mes adversaires en faisaient partie.» Dans son programme, il n’abordait le sujet qu’à mots couverts : «Je veux changer les habitudes d’antan qui consistaient à choisir un homme pour un travail à cause d’un lien et non pour ses aptitudes», pouvait-on y lire. Un lien ? «Au Gabon, explique le pasteur, vous ne pouvez pas être ministre, cadre administratif, patron ou même évêque si vous n’appartenez pas à une loge.» Ernest Tomo a refusé de «recevoir la lumière». Il ne fréquente pas le bon temple. Le sien s’appelle Jérusalem. C’est une communauté évangélique qu’il a fondée à la périphérie de la ville. Cet ex-manœuvre, qui fut aussi policier et joueur de foot, y prononce des prêches enflammés sous le nom de «Docteur Zorobabel», pendant que son épouse anime le gospel. Il est persuadé que sa critique des loges lui a valu son faible score à l’élection du 30 août dernier : 308 voix, soit 0,09%. Un jour, pourtant, comme tant d’autres, il a été approché par les frères. «Ils m’ont fixé le rendez-vous d’initiation. Ils m’ont dit que ça serait un samedi avec un parrain, et moi j’ai dit non. Ça m’a coûté une série d’emmerdements». Quelque temps plus tard, feu Omar Bongo l’a malgré tout nommé ministre d’Etat et directeur adjoint de son cabinet, en charge des questions religieuses. Il faut dire qu’Ernest Tomo, après s’être présenté contre lui à la présidentielle de 2005, venait de se retirer sous le coup d’une «inspiration divine». Mais une fois son rival éliminé, Bongo a bien fait comprendre à Tomo qu’il ne faisait pas partie de la «famille». «Comme je n’étais pas maçon, tonne le pasteur, dont la voix résonne dans le hall d’un hôtel de Libreville, je n’avais rien, ni bureau, ni collaborateur, ni voiture de service.» Le chef de l’Etat gabonais a fini par lui dire publiquement lors d’une cérémonie : «Si tu n’en es pas, on ne te voit pas et on ne te considère pas pour ce que tu es.» (Source : http://www.africalog.com/…/ali-bongo-grand-maitre-de-la… )

Pour ne pas conclure, je pense avec force que chacun est libre de pratiquer son culte. Cette liberté est elle-même garantie à tous par la Constitution.

Mais un problème ne se pose-t-il pas lorsqu’un Président de la République devenu, après avoir prêté serment sur la Constitution, s’engage de façon solennelle sur un tout autre serment, avec plus de vigueur et ce, à l’abri des regards de tous les électeurs, des institutions officielles de la République et du Peuple en général ?

Cette gouvernance politique, qui privilégie l’occultisme et le silence, a dorénavant été imposée dans la Constitution. Puisque, depuis 2017 sous la présidence d’Ali Bongo Ondimba, le Gouvernement, ses membres et certains hauts fonctionnaires sont désormais contraints de prêter serment de loyauté envers le Président de la République. En fait, envers Ali Bongo Ondimba.

Voici pourquoi tous ces ministres sont taiseux face à la corruption, les détournements de deniers publics, la mal-gouvernance et tous les manquements observés au sommet de l’Etat. Même quand ils sont publiquement reconnus comme des personnes brillantes et intelligentes.

Serait-ce pourquoi les anciens directeurs de Cabinet du Président de la République qu’ont été Maixent Accrombessi et Brice Laccruche Alihanga se permettaient d’humilier les membres du Gouvernement et du Parlement, au nom de leur proximité avec le Président de la République et Grand Maître de la Grande Loge du Gabon ? Au nom de leur statut de « messager intime » du Président de la République ?

Si les Hommes passent, les habitudes qui, elles, entretiennent la conservation du pouvoir en collusion avec une certaine Franc-maçonnerie demeurent.

D’ailleurs, on a appris par voie de presse que sieur Lin Mombo, désigné comme époux de Marie Madeleine Mborantsuo, présidente de la Cour Constitutionnelle, a été récemment élevé au grade de Pro-Grand Maître au sein de la Grande Loge du Gabon. C’est-à-dire qu’il est celui qui « supplée » le Grand Maître Ali Bongo Ondimba.

Considérant ce qui précède, et tenant compte du serment prêté par le Grand Maître, serait-il abusé de penser que la Grande Loge du Gabon trône indirectement à la tête de la Cour constitutionnelle ? A travers la relation intime qu’entretiendraient sieur Lin Mombo et Marie Madeleine Mborantsuo (en plus d’être la Belle-mère du Grand Maître) ?

De même, en élevant sieur Michel Mboussou au rang de Député Grand Maître (numéro deux), sachant qu’il est l’époux de dame Lucie Milebou, présidente du Sénat, n’est-ce pas signifier à l’opinion que le Parlement vient d’être mis sous contrôle « occulte » du Grand Maître ?

Qui peut oser dire que tous ces « placements » relèvent du bon hasard ?

Si en 2023, dans l’élan de l’élection présidentielle, le Grand Maître Ali Bongo Ondimba exigeait de se maintenir au pouvoir, en dépit du bon sens qui lui recommande d’aller se reposer et contre la volonté d’une majorité des électeurs qui rejetteraient sa candidature comme en 2016, que feront tous ses « fidèles » de la Grande Loge du Gabon ?

Fidèles du Grand Maître Ali Bongo Ondimba qui, d’une façon ou d’une autre, à travers leurs épouses ou leurs filleuls, pourraient donner des instructions au sein de nos institutions sans le besoin d’occuper eux-mêmes des fonctions politiques et administratives ?

Au Gabon particulièrement… Une certaine Franc-maçonnerie serait-elle alors cette République dans la République ?

Les politiques, tous bords confondus, font-ils semblant d’ignorer tout ce qui précède ? En parlent-ils publiquement ? Si non, pourquoi ?

Si, au Gabon, servir les intérêts de la Franc-maçonnerie s’entend sous un agir qui privilégie des intérêts autres que ceux jugés prioritaires par les Gabonais, au regard d’ailleurs des délégations venues du Monde entier pour assister à la reconduction du Grand Maître Ali Bongo Ondimba en ce mois de novembre 2022, il ne fait alors aucun doute que le Président de la République du Gabon est d’abord au service des intérêts ignorés par une majorité de Gabonais.

Ce président de la République serait d’abord un « Frère » avant d’être Gabonais. Vu que la conception politique des nationalités semble s’effacer devant la puissance de la Fraternité des… « Frères ».

Ce qui pourrait expliquer l’existence de décisions gouvernementales totalement incompréhensibles pour une majorité de Gabonais.

C’est ainsi que, depuis quelques années, la prééminence est accordée aux préoccupations des « Frères » sur les questions environnementales, au mépris parfois des préoccupations locales des Gabonais.

Sont-ce ces intérêts prioritaires des « Frères » qui justifient l’adhésion du Gabon au Commonwealth, alors que les Gabonais dans leur immense majorité n’ont jamais sollicité un tel débat ? D’ailleurs, le Président de la République, Grand Maître de la Grande Loge du Gabon, n’a pas jugé utile de consulter ces Gabonais par référendum.

Sont-ce les intérêts d’une certaine Franc-maçonnerie qui justifient tout aussi les modifications régressives de la Constitution et des Codes civil et pénal pour les adapter à une certaine culture occidentale ?

Que dire de l’attribution en priorité des marchés publics entre « Frères » ou sur recommandation aux « Frères non Gabonais » ? Mettant les entrepreneurs Gabonais au ban. Attitude contraire à celle de l’ancien président Nigérian Olusegun Obasanjo. Lui qui, dès les années 2000, avait décidé de faire émerger, dans l’intérêt du développement et du rayonnement international de son pays, une classe de milliardaires Nigérians, sans craindre de les transformer en adversaires politiques du fait de leurs capacités financières. Il s’agit notamment, parmi les plus connues, de personnalités comme Aliko Dangote et Tony Elumelu (UBA Bank)…

Que dire du mépris affiché pour les langues nationales par le Président de la République et Grand Maître de la Grande Loge du Gabon ? Qui l’entend parler une de nos langues nationales ? Choisissant plutôt d’élever l’anglais. Sont-ce là les intérêts d’une certaine Franc-maçonnerie ? Puisque, justement, la Constitution exige la promotion des langues nationales.

Bref… Je pense que j’écrirai plutôt un livre à ce sujet.

Merci de m’avoir lu malgré la longueur du texte, dans un Gabon où écrire, lire et réfléchir sont devenus des sous-préoccupations. Ce, en dépit du fait d’avoir des Présidents de la République, Grands Maîtres des Lumières à la Tête du pays.

Parce que né un 25 janvier… Je dirais, comme le ferait tout bon métaphysicien, que j’ai écrit ces mots à l’heure de l’Ère du Verseau.

Je suis :

Etienne Francky Meba Ondo

Dit Meboon Môôn Meba Ondo

Paul Essonne

Journaliste

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