« Une jeunesse gabonaise : le vieil homme, la cithare/ngombi et la jeune fille, autour du feu » par Robert ORANGO-BERRE.

IL avait le talent d’un aède grec qui racontait des histoires devant l’agora du Parthénon à Athènes. IL n’était pourtant pas grec mais gabonais.

IL, c’est « Papa ngombi », un vieux mais érudit Librevillois, virtuose de la cithare africaine que les gabonais désignent « ngombi ». IL aimait pincer les cordes de son instrument sacré en début de soirée.

Tout en jouant, il invoquait les ancêtres et évoquait le temps passé, utilisant les proverbes et les adages de la philosophie orale de son terroir. « Papa ngombi », dans ses élans, alternait même parfois, sourires et larmes, lorsqu’il citait le nom des anciens qui avaient déjà franchi les portes mystérieuses de l’au-delà.

Un jour, aux environs de 20 heures, sa petite fille Nadine, âgée de 12 ans, lui demanda de raconter une histoire et de jouer un air accompagné de sa cithare. Curieuse et vive d’esprit, elle voulait savoir ce que son grand-père et ceux de sa génération avaient comme activités bien après l’indépendance.

IL hésita, se mit à sourire timidement et alla de rictus en rictus tout en réfléchissant. Soudain, il serra son pagne autour des reins et posa sa vieille pipe sur un tabouret un peu abîmé où traînaient quelques feuilles poussiéreuses d’atangatier.

IL demanda à Nadine de fouiner dans un fagot de bois se trouvant derrière l’avocatier, d’en extraire quelques-uns et d’allumer le feu pour attirer les esprits et repousser les moustiques.

« Papa Ngombi » attaqua quelques notes et demanda à Nadine de lui trouver un fond de vin venu d’Espagne via la Guinée voisine et qui se trouvait dans une belle petite dame-jeanne couverte de paille brune vernie et d’un beau bouchon rouge.

Stimulé par quelques précieuses gorgées, il déploya son art oratoire en amplifiant le pincement des cordes du ngombi et en racontant la vie paisible qui prévalait après les années 1960.

Ma fille, narra t-il, à part la chaleur propre au climat tropical, il faisait bon vivre dans la petite bourgade douillette de l’Estuaire. Libreville était alors une ville paisible, sans heurts majeurs où tout le monde vivait en parfaite symbiose et se connaissait. IL n’y avait ni violences excessives, ni clôture hautes, ni maisons enferraillées, ni vulgarité à outrance.

La bienveillance et le respect à l’égard des plus âgés surtout étaient de rigueur.

Bref, les valeurs de l’éducation africaine avaient encore un sens en ce temps là. Les gens se chamaillaient, certes épisodiquement, mais tout était dans la mesure, les limites et le bon sens.

* La vie de tous les jours.

Les aînés étaient fonctionnaires, petits commerçants boutiquiers, pêcheurs, menuisiers ou agents des postes.

Nadine, ma petite fille, les jeunes comme toi ou un peu plus âgés, étaient en partie scolarisés ou en voie de l’être.

ILs allaient aussi au catéchisme, notamment à l’époque de l’Abbé Raponda Walker et des Pères Pinus, Pandjo et Adiwa.

IL pinça encore sa cithare et continua: sortis de là, ma fille, en l’absence de véritables bibliothèques et de salles de lecture, les jeune se débrouillaient pour diversifier leurs loisirs.

ILs allaient à la plage taper sur un ballon ou casser les badames pour en extraire des amandes marrons et ovales. ILs découvraient le baby-foot, jouaient aux billes, collectionnaient les porte-clés et les timbres postaux, confectionnaient les « scoubidous », tandis que quelques-uns attendaient le samedi matin pour regarder les étrangetés des  » Tigzons « , ancêtres des sapeurs de Brazzaville.

En semaine, les élèves se retrouvaient en début de soirée, une fois par mois, en plein air, dans l’euphorie des commentaires, devant l’écran du Centre culturel français, munis de leurs propres tabourets. Au programme, le plus souvent, des westerns, (on disait à l’époque, les films cow boys »), des films de Fernandel et ceux de Tarzan, version Johnny Weismuller.)

« Ma fille, je continue ?  »

Oui grand-père, pince encore le ngombi et continue donc…

Le week-end, au petit matin, les jeunes s’occupaient de leurs pièges à crabes et donnaient ensuite un coup de main aux parents pour les tâches domestiques.

D’autres jouaient à l’harmonica sur le chemin des mouvements Scouts, cueillaient au passage, des mangues, goyaves, sapotilles, petits fruits jaunes acidulés que les Mpongwè appelaient alors (ati m’imbôni) qui ont quasiment disparu aujourd’hui.

Les plus jeunes narguaient et défiaient les bouteilles « magiques » ou « fétichées » (selon ce qu’il se disait) suspendues sur les arbres fruitiers pour dissuader les passants et les petits voleurs de circonstance.

Mais ils prenaient part aussi épisodiquement aux opérations « retroussons les manches » destinées à rendre les quartiers un peu plus propres. À l’école, ils nettoyaient eux-mêmes leurs tables à la veille de chaque période de vacances, à l’aide de feuilles locales rugueuses mais surtout abrasives.

En ce temps là, le Service d’hygiène passait aussi régulièrement dans les habitations, pour y pulvériser les concessions à l’aide de substances anti-moustiques dénommées DDT.

On a également oublié de relever ici la distribution gratuite de lait qui se faisait aux jardins de la Peyrie en vue de contribuer à l’équilibre alimentaire des enfants du Gabon nouveau. Ces jeunes en profitaient sur place pour recueillir et mâcher à n’en plus finir, les écorces d’un célèbre arbre qui avaient un goût prononcé de cannelle : « éréré zi nkango » en mpongwè. Entendez, l’arbre parfumé.

Mais vois-tu, ma petite fille, de nombreux garçons aimaient surtout aller au Stade Révérend Père Lefebvre admirer le samedi ou le dimanche, les prouesses de Bévigna Édouard, Moubamba Gildas, Ango Pelé, Lamine Diop, Walker Oninwin, Alvaro, Jeannot Issembè, Effayong, Manon Paul, Assapi, Christian Adiahénot et Michel Ntchorérè.

C’était une belle époque. Popaul grattait la guitare et chantait à radio-Gabon « engongol engongol Léon-Mba ».

Le Réal de Libreville, les Abeilles et l’Olympique se disputaient les trophées de football. Augustin Chango, Jean Boniface Asselé et Jean- Louis Messan étaient les habitués sympathiques de la tribune officielle de ce petit stade qui a connu un beau jour, la présence de Pelé, l’icône de football de tous les temps. Mais tout le monde se souvient aussi des puissants tirs de Mbappé Lépé, la bête noire des gardiens de buts et avant centre de l’équipe du Cameroun, lui aussi adulé et craint par le public sportif du « kerellé », autre appellation du stade de Libreville.

Quoi te dire d’autres, mon enfant ? Le mensuel « Bingo » du Sénégalais Paulin Joachim était alors le magazine panafricain le plus lu au Gabon tandis que les jeunes s’arrachaient  » Akim » et « Zembla » notamment. Les gabonais faisaient leurs courses au marché, à la CCDG et à « Paris-Gabon » au centre-ville pour les plus nantis.

Ma petite Nadine, voilà, je te le redis. Libreville était alors une cité paisible peuplée de gens raffinés et respectueux. Les taxis à l’époque, portaient un nom marqué en couleurs sur les vitres des véhicules. Qui se souvient encore du taxi  » la fusée  » du regretté Jean Rock Rénamy ou de celui de l’Ivoirien Félix qui diffusait de la musique à tue-tête dans sa Peugeot décapotable ?

Toutes les têtes masculines se faisaient alors coiffer chez le dahoméen Soufiano à l’avenue de Cointet, tandis que le docteur Grener, dentiste à l’hôpital général, suscitait une peur effroyable auprès de ses patients. IL traînait la réputation d’un médecin acariâtre.

Les gabonais s’habituaient déjà aux voix célèbres de Radio-Gabon alors située vers le marché et le dispensaire de Louis: Basile Nguéma Doliver, Vicky Fournier, Richard Moubouyi, Justine Nganga et Guy Roger Ogombé notamment.

L’orchestre « Afro-succès » de Hilarion Nguéma cartonnait avec  » Espoir  » « Libreville », « coco cassé », « ambiance à Bakoumba » et « Séparation » du bassiste de l’orchestre, Francis Dépambar.

Radio-Brazzaville, alors très écoutée à Libreville en raison de ses puissants émetteurs, passait souvent sur ses ondes courtes, à cette époque, « Savon Omo » de Rochereau et « Tu bois beaucoup » et « Bomboko Justin » de Franco et l’Ok.Jazz.

« Savon Omo »? Oui, mais les consommateurs finirent par préférer la lessive en poudre « Bonux » à cause des petits cadeaux qu’on trouvait à l’intérieur des boîtes en carton.. Enfin, pêle-mêle, le vin « Kiravi » et « sovibor » accompagnaient alors durant ces années là, le repas des parents. Le coca-cola était un luxe qu’on ne pouvait quasiment s’offrir qu’à « Pélisson » et la charcuterie française était le privilège des gens plus ou moins nantis.

C’était une époque douce où Jean Diouf à la contrebasse, les frères Damas à l’accordéon et à la trompette ainsi que le grand saxophoniste ténor, Blaise Soungani, animaient en compagnie de l’orchestre « Okolongo » des bals à Libreville, dans un style sélect et feutré.

Le pays était bercé aussi durant ces années par « Indépendance cha-cha, Parafifi et Africa mokili mobimba » de Joseph Kabasélé et l’African Jazz. Des moments intenses qui marquaient le triomphe de la rumba congolaise. La tendance afro-cubaine suivra durant la même époque grâce aux émissions de Guy Roger Ogombé à Radio-Gabon.

Au quartier Louis, ma petite Nadine, la si coquette et sympathique française Chantal Bougerol faisait danser les petites filles dont quelques gabonaises qui découvraient alors avec grâce et élégance, le ballet et la musique classique.

Un peu plus loin, à Quaben, l’aviateur français, gabonais dans l’âme, Jean-Claude Brouillet apparaissait souvent à la terrasse de son charmant domicile. Et lorsqu’il était effectivement là, l’actrice Marina Vlady n’était pas loin. La même qui joua dans le film « La cage » avec Philippe Mory.

Le vieil homme souriant et un brin essoufflé, taquina les huit cordes de son ngombi comme pour mettre un point final à son récit.

Sa petite fille, émerveillée, s’empressa d’applaudir et de remplir joyeusement, à moitié, le verre de son grand-père pendant que ce dernier posait délicatement son instrument fabuleux sur un petit guéridon un peu déglingué.

IL fallait déjà songer au souper, à la douche et au dodo.

Avec des étoiles plein les yeux pour la petite Nadine, et des larmes discrètes du souvenir et de nostalgie pour le vieil homme…

Robert ORANGO-BERRE

Paul Essonne

Journaliste

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *