Il n’y a aucune discipline académique, aucune œuvre où ne se meut la flamme du savoir divin caché. Que les Gabonais apprennent par eux- mêmes et aient confiance en eux, car tout est à découvrir et à redécouvrir. La nature est un livre sacrée qu’ils apprennent à la lire avec humilité et patience. Au regard de l’immensité de l’univers, il n’y a pas de limites à l’entreprise humaine car l’humain descend du Divin. Le jour où les Gabonais se réveilleront, même la couleur du soleil changera. Les pôles magnétiques terrestres eux aussi changeront de polarité.
L’identité des Gabonais, définie à la fois par leur capacité à se distinguer d’autrui et à se reconnaitre comme étant les mêmes à travers le temps, ne repose peut-être pas sur un critère objectif clairement identifiable. Ils n’ont pu trouver aucune substance qui perdure malgré tous les changements subis. Peut-être que rien ne peut caractériser de manière fixe et définitive leur « nous ». Même si le « nous » est une illusion, c’est une illusion nécessaire. En effet, les Gabonais ont au quotidien besoin de croire qu’ils sont unis et uniques et qu’ils restent les mêmes à travers le temps.
Les Gabonais ont besoin de se dire que c’est bien eux qui ont vécu ces événements dont ils souviennent aujourd’hui mais aussi certains événements dont ils ne se souviennent plus et qu’on leur raconte. Cette référence à un pôle stable que l’on appelle « nous » est indispensable pour leur vie sociale, pour la communication avec autrui et pour leur bien-être psychologique en général.
Qu’il existe ou non un élément stable en eux qui permette de définir leur identité personnelle, il leur est nécessaire de poser l’existence du « nous », non seulement parce qu’ils ne peuvent pas supporter l’idée de n’être qu’un flux d’atomes, d’émotions et de perceptions, mais aussi parce que le « nous » est nécessaire pour fonder la responsabilité de leurs actes. Même si ce n’est qu’un « masque », le statut de « personne », au sens moral et politique du terme, est indispensable pour penser la liberté de chacun et la nécessité de répondre de leurs actes devant autrui. Il est donc nécessaire de se référer à un « nous » distinct des autres et stable à travers le temps pour rendre justice et assurer le bien-être de tous au sein d’une société.
L’identité nationale gabonaise ne peut pas être définie à partir de critères fiables, objectifs, ou tout simplement consensuels, parce que la nation est une abstraction dont les contours ne se donnent jamais d’emblée : non seulement elle est trop vaste pour que les individus censés la composer aient spontanément conscience de ce qui les unit, mais elle n’est pas inscrite dans la « nature des choses ». Dans cette perspective, la nation est avant tout une construction. Cette construction est assez récente et peut s’interpréter comme une conséquence de la modernité ; elle n’aurait pu s’entreprendre sans l’essor du capitalisme, sans l’invention de l’imprimerie, sans la Réforme protestante et ses avatars, sans l’émergence d’une élite lettrée séculière puis d’une intelligentsia domestique.
Dans tous les cas, la construction de la nation reste toutefois le fruit d’un processus collectif et largement conflictuel. Au Gabon comme ailleurs, la définition de l’identité nationale n’a jamais reposé sur un accord irrévocable. Elle a toujours fait l’objet d’un débat, voire d’une lutte entre des groupes et des organisations qui s’efforçaient d’imposer leurs croyances, leurs représentations, leurs lignes de démarcation, dans le but ultime de revaloriser leur propre position au sein de l’espace social ou de conforter un ordre politique conforme à leurs intérêts.
Il semble difficile de nier qu’au Gabon comme ailleurs, le modèle classique de l’Etat-nation a subi au cours de ces dernières décennies une remise en cause sans précédent. De là à affirmer l’existence d’une crise de l’identité nationale, à prophétiser le déclin de la nation et à y voir un problème crucial appelant une intervention directe de l’autorité publique, le cheminement est toutefois hasardeux. Toute affirmation identitaire repose sur un double travail d’assimilation et de différenciation, d’inclusion et d’exclusion.
Le Gabonais doit s’affirmer en surmontant ce qui conteste son humanité et la met en péril. C’est à lui de faire l’évaluation de sa situation, de ce avec quoi et contre quoi il a à compter pour se faire une place, sa place dans un monde commun, dans le dialogue des lieux en quoi il consiste concrètement. La sagesse est dans un éclair, l’ailleurs est ici, l’instant est dans l’éternité.