Un Patrimoine national : le BWITI : ce qu’il faut savoir.

Au Gabon, il y’a un rite traditionnel qui règne en maître. Pratiqué par les peuples Tsogho, Fang, Nzebi, Puvi, Punu, Massagno, Myèné et bien d’autres. Il permet à l’Homme de guérir, de se connaître et de comprendre le monde qui l’entoure. Mettons de l’accent et présentons ce culte traditionnel classé au rang de patrimoine national : le BWITI.

En effet, le BWITI est une religion syncrétique d’origine Gabonaise, indissociable de l’Iboga (bois sacré), est elle-même essentielle dans les rituels d’initiation.

Remontons aux origines du BWITI, d’abord avec son mythe :

« Un pygmée meurt en brousse. Son cadavre y pourrit. Un rat palmiste prend le crâne et l’emporte dans son terrier au bord d’une rivière. Plus tard, à la pêche au crabe, une femme déniche le crâne. Elle le ramène en secret au village. La nuit, le mort vient lui parler en rêve et lui demande d’allumer la torche et de lui parler afin qu’il ne reste pas dans le noir. Elle s’exécute et reçoit en échange des bons rêves et des révélations divinatoires. Cependant, au bout d’un temps, elle n’a plus le courage de continuer à s’occuper du crâne. Elle dévoile alors le secret à son mari qui lui confisque le crâne et s’empare ainsi du BWITI (dans une autre version, la femme se sacrifie afin que son mari puisse acquérir la connaissance). »

Selon ce schéma, le BWITI qui a été découvert par les femmes est en effet déjà féminin par nature : « Le BWITI, c’est la femme » comme le disent souvent certains prêtres Bwitistes. Pour les initiés, cette femme générique vaut d’abord par son sexe, c’est-à-dire par sa capacité à mettre au monde des enfants. C’est pourquoi le BWITI revêt d’abord la figure de la mère aimante qui prend soin de tous les enfants initiés.

Depuis son apparition, le BWITI a évolué de façons diverses du fait de ses multiples interprétations par des ethnies aux traditions différentes. Pour les pygmées, il représentait la conception religieuse de l’Invisible et du Divin. A travers la manducation du bois sacré (Iboga) le néophyte passe de « l’autre côté », il communique avec les ancêtres, mais aussi obtient des réponses, des clés pour le futur.

Les premiers peuples à être entrés en contact avec les pygmées furent les Apindji qui l’ont transmis ensuite à leurs cousins les Simba. Des Simba il est passé chez les Masango et les Mitsogho. De là, la religion BWITI s’est répandue chez les Puvi, Vili, Bapunu, Myéné, Eshira, Okandé, Nzebi et d’autres encore, pour finalement arriver chez les Fang.

Ensuite, par sa pratique :

Dans le culte du BWITI, l’initié, appelé BANDZI, commence son initiation en forêt. Il est lavé, nettoyé spirituellement, purifié ; il fait sa confession. Peint de kaolin blanc (symbole de l’homme, du liquide reproducteur mais également de l’esprit pur) et de kaolin rouge (symbole la chair, les menstruations des femmes, l’identification terrestre), il est ensuite ramené dans le temple (BANDJA ou MBANDJA) où le NGOZÉ (la veillée) va pouvoir commencer.

Comme dans toute épreuve initiatique, l’initiation au BWITI passe par trois grandes étapes:

– LA MORT: le corps s’affaisse pour que l’esprit s’échappe. Grâce à la manducation des racines du bois sacré, Iboga, l’esprit effectue un voyage pour une destination qui le conduira à la solution, aux réponses à ses préoccupations.

– LE VOYAGE: Sur un feu, les anciens font griller des graines de courge. Le bruit qu’elles font, lorsqu’elles éclatent, symbolisent le départ de l’esprit, qui est supposé quitter le corps par la fontanelle pour son voyage mystique. Le son de la harpe (NGOMBI) et de l’arc en bouche (MONGONGO) vont lui permettre d’entendre petit à petit les messages vibratoires du souffle divin.

– LA RENAISSANCE : après avoir effectué son voyage dans l’astral, le BANDZI revient avec un nouveau nom « le KOMBO », nom que les entités de l’invisible lui donnent et qui est la preuve indiscutable qu’il a bien voyagé dans l’espace-temps de sa mémoire mais aussi dans la mémoire du clan et bien sûr dans celle de l’humanité. Il relate à son maître initiateur son vécu aux pays du « BWITI ». Son récit validera son initiation.

Aussi, il existe différentes branches de BWITI :

« Tout est dans la nature et toute la nature est en moi. On est ensemble ! » Parole de pygmée.

On distingue deux branches du BWITI qui amènent l’initié dans deux voies différentes qui peuvent être aussi complémentaires.

En premier lieu, le BWITI DISSUMBA :

DISSUMBA est le nom de la femme qui dans le mythe s’est sacrifiée pour que son mari acquiert la Connaissance. Le BWITI DISSUMBA, est grandement pratiqué par toutes les ethnies du Gabon dans sa version originale.

Dans ce BWITI, la personne va rechercher une dimension spirituelle qui l’amènera à franchir les limites de l’invisible pour trouver et ramener son KOMBO.

Ce rite permet aussi à l’initié de rentrer dans le pays des morts ou « village des ancêtres ». L’initiation au DISSUMBA constitue un rite de passage pour les jeunes initiés des villages Tsoghos. Leur immersion dans le pays des ancêtres leur permet d’acquérir les connaissances traditionnelles nécessaires à leur intégration dans la communauté.

L’initiation au DISSUMBA est avant tout une initiation mystique où la recherche de la Vérité est prioritaire. Une grande quantité de Bois Sacré est donnée afin que l’initié découvre la relation que l’homme entretien avec le Cosmos. Il doit savoir d’où il vient et vers où il repartira après la mort.  Le DISSUMBA est le souffle créateur de toutes choses, et le souffle est un élément très important de la cosmologie gabonaise. Lorsque les bwitistes prononcent le  » DIKOMBO BOKAYÉ  » pendant le rituel, cela signifie  » au nom du souffle « .

Le DISSUMBA est réputé vous envoyer dans une dimension qui échappe aux limitations terrestres. C’est aussi pour ça qu’on le nomme « culte des ancêtres ». Un principe dans le DISSUMBA est de perdre connaissance et de voyager allongé. En s’allongeant, le BANZI lâche prise d’avantage encore et peut s’isoler en dehors du groupe dans un voyage astral.

De même, dans cette forme de BWITI, les interdits sont beaucoup plus nombreux et beaucoup plus stricts que dans la seconde branche. Pendant la semaine précédente l’initiation, l’abstinence sexuelle est exigée. De même que l’interdiction absolue de boire de l’alcool ou de consommer toutes sortes de drogues. Durant les trois jours d’initiation, un jeûne complet sera observé. Rien d’autre que de l’Iboga ne sera avalé. Aucun liquide ne sera absorbé, si ce n’est de l’Iboga en décoctions.

Dans un second temps, le BWITI MISOKO :

Le BWITI MISOKO est considéré par le peuple Tsogho comme le plus proche du BWITI des origines, celui des chasseurs-cueilleurs. Il possède avant tout une fonction thérapeutique, aussi il est souvent qualifié de « culte de guérison ». Ses NGANGAS (soigneurs), ou maîtres de cérémonies, se considèrent avant tout comme des thérapeutes, qui ont accès et recours à une grande pharmacopée naturelle (plantes, racines, feuilles, écorces, etc.).

L’Iboga n’y est pas consommé seul, ni nécessairement à très fortes doses. Le MISOKO permet de sonder son existence. De plus, le MISOKO profite d’un esthétisme très poussé, ce qui peut le rendre très attrayant aux yeux de certains. On peut citer quatre branches dans le BWITI MISOKO : Myobe ; Syngedia ; Ngonde ; Bossuka.

Une des spécificités du MISOKO provient de sa qualité de culte « anti-sorciers », car au Gabon, les attaques « sorcières » sont très fréquentes. On parle alors de « fusils nocturnes » …

Les bwitistes agissent la nuit, pour lutter contre les ‘’sorciers’’ et dénouer leurs liens. Cette particularité du MISOKO fait qu’il est tout à la fois initiation au sacré, au spirituel, au désincarné, et champ de bataille où la lutte des pouvoirs occultes s’exerce.

D’ailleurs, la plupart des « NGANGAS MISOKO » passent leur temps à concevoir des stratégies de survie aux ‘’guerres sorcières’’. L’essentiel de leur activité est le désenvoûtement, les « cordes à couper ».

Ils sont donc eux-mêmes initiés aux pratiques sorcières pour pouvoir les déjouer, ce qui fait que certains d’entre eux basculent de l’autre côté d’une frontière qui n’est pas toujours clairement définie.

A retenir que, dans la pratique, les cloisonnements entre MISOKO et DISSUMBA ne sont pas si étanches. Les deux cultes ne sont d’ailleurs pas incompatibles. Il peut arriver lors d’une initiation au MISOKO de basculer dans le DISSUMBA, ou au contraire de ne pas quitter la vie terrestre dans une initiation au DISSUMBA.

L’idéal est peut-être, comme le préconisent certains NGANGAS d’être initié dans les deux cultes successivement, afin de connaître la « voie horizontale » du MISOKO qui permet de creuser l’existence, et la « voie verticale » du DISSUMBA qui permet de s’élever.

Ainsi, le BWITI apparaît comme l’une des plus importantes traditions ésotériques du Gabon. Véritable structure sociale de représentation des sociétés gabonaises en matière de cultes, de philosophie (vision du monde), d’enseignement (initiation et suivi), et de thérapie (tant physique que morale), l’initiation au BWITI a pour but de connecter l’Homme à ses origines mais aussi de trouver en la nature tous les remèdes possibles aux différents maux.

Il me plait de conclure ce texte afin de montrer aux gabonais qu’il est plus que nécessaire que NOUS préservions ce culte si sacré pour la sauvegarde de notre patrimoine culturel, de notre identité personnelle et collective par cette déclaration de Julien BONHOMME ; cet anthropologue français qui s’est initié au BWITI pour soigner sa soif de connaissance : « le Gabon est à l’Afrique ce que le Tibet est à l’Asie, à savoir un véritable centre spirituel d’initiation religieuse ».

Par ces mots, je vous lance un NIMA, KOMBO, NGANGA BOKAYÉ (dont j’attends les réponses en commentaire).

Source: (Le Miroir et Le Crâne – Julien BONHOMME)

Obiang Ndong Etame

Rappelons que Julien Bonhomme est anthropologue, maître de conférences à l’Université Lumière Lyon-2. Ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, agrégé de philosophie. Il mène des recherches de terrain au Gabon depuis 2000. Il a notamment publié : Le Miroir et le crâne. Parcours initiatique du Bwete Misoko (Gabon) (Paris, éd. CNRS, 2005).

Serge Kevin Biyoghe

Rédacteur en Chef, Journaliste-Ecrivain, Sociétaire de la SCAM (Société Civile des Auteurs Multimédias), membre de la SGDL (Société des Gens De Lettres), membre du SFCC (Syndicat Français de la Critique de Cinéma), membre de l'UDEG (Union Des Écrivains Gabonais).

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