Pourquoi les Gabonais ne s’aiment pas ? Tentative de réponse avec Alfred Nguia Banda

Avant de développer cette thématique, je tiens d’abord à remercier les lecteurs qui, par leurs messages d’encouragement, me traduisent le plaisir qu’ils éprouvent en lisant mes articles et les enseignements qu’ils en tirent de la pertinence de leur quintessence.
Au regard de l’ambiance nocive qui  règne dans notre pays, je vais aborder une thématique inédite qui pourrait attirer la bienveillance de certains compatriotes et embarrasser certainement d’autres.
Je m’excuserai donc si certains compatriotes estiment que je n’aurais pas fait preuve  d’atticisme  et de pondération dans cette analyse.
Pour mener cette analyse, je ne me consacrerai volontairement que sur les causes endogènes.
Pourquoi les Gabonais ne s’aiment pas ?
Pour commencer cette réflexion, je reprendrai à mon compte cette citation de René Descartes : »Conscience sans conscience n’est que ruine de l’âme ». En effet, le climat d’animosité, d’antipathie et d’atonie sociale qui règnent au Gabon est incommensurablement nuisible à la cohésion nationale. Même dans le sacro saint des familles, il devient inquiétant. Le Gabonais n’hésite plus, un seul instant, à émettre des critiques acerbes et à invectiver irrévérencieusement et injustement, à conspirer piteusement contre son congénère pour obtenir un minuscule poste, une piètre rétribution ou vendre l’autre pour un insipide plat avarié de lentilles. Le Gabonais est devenu un véritable loup pour le Gabonais. Les Valeurs ancestrales d’unité, de solidarité, de respect des aînés, de partage qui faisaient notre fierté sont reléguées au magasin des accessoires et sont même appelées à disparaître. Alors que nous sommes tous conscients qu’un pays dont les populations ne s’aiment pas, sont désunies compromet et plombe son développement et son avenir.
Quelles sont les raisons qui favorisent ce désamour entre Gabonais ?
     I) L’Etat des mentalités.
Cet état des mentalités se manifeste par une jalousie pathologique envers les congénères. En effet, le Gabonais, animé aujourd’hui d’un esprit retors et de nuisance, est foncièrement contre la réussite de l’autre. La réussite d’ un Gabonais dérange le Gabonais. Cet esprit est quotidiennement observable. Un Gabonais qui tient sa propre épicerie bien achalandée, une menuiserie, des affaires florissantes va attirer la jalousie et les foudres de ses compatriotes. Au lieu de l’encourager, il faut le détruire. Une rengaine est souvent entendue:  » Que veut il nous montrer ? Comment a t il fait pour devenir ce qu’il est si ce n’est par le vol ».  » Est ce que c’est le seul qui a fait l’école » ?
Ces comportements envieux, nuisibles ne favorisent pas le développement du pays, mais créent une ambiance de désamour et de méfiance entre Gabonais.
Un homme politique, un homme d’affaires Gabonais fera plus confiance à un étranger qu’à son « frère  » Gabonais, même si celui-ci  n’est pas exempt de tous reproches. C’est à dire que même si un Gabon veut bien employer son compatriote, celui ci sera le premier à le vilipender partout, à raconter tout ce qu’il voit et même à saboter le travail par esprit oblique. C’est ce sentiment énigmatique et ambivalent qui fait la spécificité du Gabonais. Un exemple qui traduit la confiance irréfléchie et naïve que le Gabonais accorde à l’étranger : Tous les vigiles des Gabonais sont nos » frères « sont des Ouest africains. Un jour s’ils s’entendent pour séquestrer, prendre en otage à 3 heures du matin leur employeur, aucun Gabonais ne sera épargné.
Ces comportements retardataires qui ne favorisent pas l’émulation, la compétition saine sont à combattre. Un changement de mentalité devient un impératif même si le changement de mentalités est un processus de longue haleine.
Pour y parvenir, la puissance publique devrait restaurer la Morale à l’école primaire, l’Instruction civique dans les collèges et lycées et l’ Education populaire dans les médias d’Etat. Sans ce changement, le Gabon pourrait tomber dans les abysses de la perversité et de la vilenie.
  Il) La pratique d’une géopolitique absurde.
Le Gabon n’est pas une construction sociale homogène. En effet, le Gabon compte une mosaïque d’ethnies qui vivaient en harmonie et en symbiose avant et au début de son Indépendance. Même si ce pays n’a connu aucun conflit ethnique, il n’ en demeure pas moins que pour des mobiles politiques et surtout politiciens, la préservation des intérêts égoïstes et la stratégie mortifère de  » diviser pour mieux régner », une géopolitique bancale a été instaurée .Cette géopolitique va dénaturer le fonctionnement normal de l’Etat et de la République .Elle consistera à nommer à des postes ministériels et administratifs des Gabonais en tenant compte de leur appartenance géospatiale et ethnique.
 Cette conception erronée de la géopolitique qui va non seulement entraîner la constitution des Gouvernements pléthoriques mais aussi procéder à la « fabrication » et à l’émergence des potentats, des roitelets locaux va entraîner d’innombrables conséquences, entre autres:
 *Au plan macro politique, les membres du Gouvernement seront plus identifiés par rapport à leur terroir d’origine qu’à la République. Ainsi on entendra: » Il est Ministre au compte de l’estuaire, de La Ngounié, du Haut Ogooué ect… Telle Province a eu plus de Ministres qu’une autre; telle ethnique n’a aucun Ministre ».     Par cette conception, c’est  la République au Village, c’ est la République en miettes .
Les frustrations vont naître à cause de la répartition des postes ministériels et de leurs importance entre les Provinces.
* Au plan micro politique, les potentats locaux deviennent de faiseurs de carrières. Ainsi, par cette géopolitique au rabais, les parlementaires, les élus locaux, les cadres de la haute administration et même les badauds de tous poils doivent prêter allégeance aux potentats locaux soit pour obtenir une intégration dans la vie professionnelle soit une promotion. Tous ceux qui ne se soumettent pas à la domination du roitelet et même à sa famille sont ostracisés du ventriloquisme quel que soit son profil. Des carrières entières ont été brisées, des brimades et des humiliations infligées aux récalcitrants qui font preuve d’indépendance ou s’opposent au régime en place.
On peut même retenir une certaine trivialité dans certains propos : » Il se prend pour un grand intellectuel, il n’aura pas du travail, il n’aura pas de promotion tant que je ferai la politique et que j’aurai la confiance du Président ; il va manger ses diplômes ».
Par cette géopolitique, nous assistons à des dérives, au règne du népotisme, de la camarilla, des passe droits, des tortures psychologiques et morales. De part ces comportements, naissent les frustrations, des rancœurs, le désamour, les jalousies, les haines qui vont pourrir le climat social.
Cette géo politique va entraîner également des replis identitaires et le tribalisme dans toutes les sphères de la vie sociale. D’ailleurs sur le plan historique et sociologique, nous pouvons nous poser cette question de savoir si le Président Léon Mba n’avait pas voulu maintenir la vassalisation perpétuelle du Gabon par la France coloniale à cause  de l’atavisme de nos mentalités, des replis identitaires qui devaient entraver le fonctionnement des futurs institutions de la nouvelles République. Sa célèbre formule Gabon d’abord ne constituait elle pas la sonnette d’alarme d’une rupture révolutionnaire avec  la survivance des sentiments géo ethnolinguistiques hypertrophiques qui gangrèneraient et paralyseraient le fonctionnement normal de l’Etat. Emboîtant le pas au Président Léon Mba, dans mon essai : » De Gabon d’abord à la République au Village » je démontrais que les clivages ethniques, mal maîtrisés, constituaient un obstacle majeur à la cohésion sociale et à l’édification d’un État/Nation.
  Ill ) La répartition opaque des fruits de la croissance.
 Le Gabon est un pays béni des dieux car doté d’un sol et d’un sous sol extrêmement riches, d’une faible démographie. Paradoxalement une majorité de la population vit en dessous du seuil de pauvreté avec moins d’un dollar par jour.
La très mauvaise répartition des fruits de la croissance se manifeste par une précarité et une par pauvreté abyssales qui créent des frustrations, des haines, le désamour entre Gabonais. S’ajoutent  l’insécurité et la délinquance juvénile qui évoluent de façon exponentielle et une mendicité hallucinante et dévalorisante.
La désarticulation du tissu social met en exergue l’individualisme. La famille nucléaire prend le dessus sur la famille périphérique. La solidarité mécanique s’effrite et progressivement fait place à la solidarité organique.
 IV) Le rôle négatif des Intellectuels.
Pour analyser la position des Intellectuels dans la dégradation du climat sociopolitique au Gabon, je vais me référer à cette citation du Professeur René Remond : » Un intellectuel est une personne dont l’activité repose sur l’exercice de l’esprit, s’engage dans la sphère publique pour faire part de ses analyses, de ses points de vue sur des sujets les plus variés ou pour défendre des Valeurs, qui n’assure généralement pas de responsabilité directes dans les affaires pratiques et qui dispose d’une forme d’autorité ».
Les intellectuels sont la torche et la lumière qui éclairent un pays. Raison pour laquelle dans toute société les intellectuels sont les porteurs de la Connaissance, du Savoir, du Savoir faire et contribuent efficacement à la régulation de la vie en société. Ils sont dépositaires de l’intégrité et l’autorité morale comme les religieux. L’ intellectuel qui ne peut donner que ce qu’il apporte ce qui l’engage de plus, ce auquel il tient par dessus tout : sa réputation, sa signature et son nom qui engagent sa pensée ; il n’est pas attaché à des projets matériels lucrativement indus ni à des désirs hédonistes excessifs.
Au Gabon, force serait de constater qu’une bonne frange d’intellectuels se sont littéralement détournés de leur noble mission car subjugués par l’Avoir et l’appât effréné du gain. Leur appétence excessive au bien être et à la vénalité débordante les pousse vers une course à des nominations à des postes très gratifiants.
Les bénéficiaires des nominations s’alignent sur leurs bienfaiteurs et vont les servir sans instiller même une minuscule dose d’éthique et de professionnalisme. Certains par avidité deviendront des transactionnels invétérés, des mercantilistes patentés et n’hésiteront pas à narguer leurs collègues, à les vilipender auprès des autorités de nomination.
 Ceux qui ne sont pas bénéficiaires et demandeurs gardent leur probité morale et intellectuelle et le plus souvent se moquent sous cape de leurs collègues. Certains deviennent même des opposants par dent et dépit. Ce climat de conflictuel a toujours des répercussions sur la profession et les conséquences sont dévastatrices pour les élèves, étudiants et les fonctionnaires.
Ces conflits de positionnement entre les intellectuels entraînent des dénigrements réciproques, des haines inutiles et la constitution des îlots géo ethnolinguistiques qui fragilisent la cohésion sociale.
Pour éviter ces conflits, il serait souhaitable de créer un Ordre des Intellectuels Gabonais dont la mission fondamentale serait, entre autres, de sanctionner les intellectuels véreux, corrompus,  cupides, transactionnels, tribalistes.
Le Gabon doit s’acheminer vers un État/Nation débarrassé des schèmes du tribalisme, des replis identitaires, du népotisme.
L’Amour du pays et de l’ autre, la fraternité, le respect des aînés, la méritocratie doivent constituer le socle indestructible d’un Gabon uni, d’un Gabon qui gagne, d’un Gabon où il fait bon vivre pour tous et d’un Gabon où chacun peut s’installer et vivre librement.
Al. Nguia Banda
Docteur en Droit,
DEA d’Histoire des Idées politiques,
Maîtrise de Sociologie politique.
   France
Paul Essonne

Journaliste

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