Les malheurs d’Ali auraient commencé aussitôt l’éviction du dernier premier ministre, fils du komo Paul Biyoghé Mba actée. L’arrivée d’Ali Bongo en 2009 a eu pour effet un changement de paradigme dans les pratiques et les us. Du moins, jusqu’à la nomination, le 11 janvier dernier de julien Nkoghe Bekale. Le fils d’Omar voulant faire du neuf dans les pratiques politiques, a opéré un virage à 180°en nommant, pour la première fois, un premier ministre issu d’une autre province, en l’occurrence le Woleu Ntem en la personne de Raymond Ndong Sima. Si beaucoup de gens ont applaudi cette régénération, d’autres, notamment les populations de l’Estuaire ainsi que certains anciens apparatchiks de l’ère Omarienne, n’ont pas vu d’un bon œil ce changement. Leurs voix, moins influentes et inaudibles, n’ont pas retenu l’attention du nouveau Président qui a commencé, par cet acte, à lancer les premières salves d’une longue suite qui doivent solder l’héritage de son père au grand dam des partisans de l’ordre ancien.
C’est d’ailleurs à la suite de l’absence prolongée d’Ali que ce camp, parmi plusieurs autres qui bataillent pour le contrôle du bord de mer, a su imposer ce retour aux vieilles recettes de la politique Omarienne que l’on croyait pourtant révolues. A tort. La surprise, à la lecture de la nomination de Julien et, quelques jours plus tard, le déroulé des noms de son gouvernement n’a surpris que les naïfs. Aujourd’hui, les choses sont revenues à la normale. Ces apparatchiks de l’ère ancienne tapis dans toutes les strates des arcanes du pouvoir et, avec eux, les populations de l’Estuaire, jubilent. Et le retour, il y a quelques jours d’Ali bongo au Gabon est la cerise sur le gâteau. Certains mystiques rencontrés aux abords des temples qui pullulent sur les forêts riveraines de la nationale, arguent que ce retour de la primature sur les bords du komo a des relents spirituels voire, mystiques.
En effet, un pacte, disent-ils, aurait été signé afin que l’association entre un premier ministre issu de l’estuaire et son président soit le garant de la stabilité politique et sociale du Gabon. La paix sociale serait alors tributaire à la nomination de leur fils à la primature. A preuve, justifient-ils, les malheurs d’Ali ont commencé aussitôt l’éviction du dernier premier ministre, fils du l’Estuaire, Paul Biyoghé Mba, actée. La situation politique et sociale moroses de l’heure, ajoutées aux problèmes de santé du président qui croule toujours sous une interminable convalescence, sont autant de faits justifiant cela. Devant autant d’arguments relevant du plausible, on a bien envie de leur donner raison. La politique et l’ésotérisme au Gabon étant tous les deux la face d’une même pièce.
Mais ces dires ne sont pas non plus à prendre à la légère. L’ésotérisme et le mysticisme étant le plus souvent la première boussole, dans certains cas l’unique, dont se sert le politique au Gabon pour décider de la marche à suivre du pays. Une telle mélopée à ses oreilles attire assurément l’attention. Dans un cas comme dans l’autre, la nomination de Julien avec six autres ministres issus de toutes les régions ou presque de l’Estuaire (sauf le komo kango), est-elle à mettre dans cet ordre ? On est tenté de le penser au vue du choix des impétrants ; Julien Nkoghé Bekale, premier ministre, natif de Ntoum, Jean Marie OGANDAGA, ministre de l’économie, de la prospective et de la programmation du développement ,natif du cap, Michel Menga m’Essone ministre d’Etat, ministre de l’éducation nationale chargé de l’éducation civique, originaire de Coco Beach, chef lieu du département du komo Ocean,Rose Christiane Ossouka Raponda, Ministre d’Etat, ministre de la défense nationale et de la sécurité du territoire, Gisèle AKOGHET épse Ntoutoume, ministre déléguée auprès du ministre d’Etat, ministre de l’Education nationale, native de Lalala, Arsène Edouard Nkoghe, ministre délégué auprès du ministre d’Etat, ministre des sports, des loisirs, de la culture et de l’artisanat, natif de Lalala. Beaucoup de monde, comme si l’on a voulu se montrer reconnaissant vis-à-vis de cette région qui, il est vrai, a fait carton plein dans le parti au pouvoir lors des dernières législatives. Ceci pouvant aussi justifier cela. Le respect des pactes et le consensus à l’horizon.
Avec la formation du gouvernement et son corollaire, le retour des vieilles recettes Omariennes, on semble être revenu à la case départ d’avant 2009. La nomination le 11 janvier 2019 de Julien Nkoghe Bekale, natif de Ntoum comme premier ministre, a conforté le pacte ou l’accord secret, c’est selon, signé entre Léon Mba et Omar Bongo sur le partage de l’exécutif.
Tout comme le retour au perchoir de l’Ogooué Lolo le 11 janvier dernier avec l’élection de Faustin Boukoubi, natif de Pana comme Président de l’Assemblée nationale. Son élection a pour objectif de renforcer l’alliance nouée en 1980 entre Omar Bongo, les acteurs politiques du Haut-Ogooué d’une part et ceux de la province sœur de L’Ogooué Lolo, d’autre part. Ces deux « pieds » ont été, pendant longtemps le bras séculier du pouvoir Omarien. Selon La Lettre du continent, l’élection de Faustin Boukoubi est la conséquence d’un lobbying actif de la présidente de la cour constitutionnelle qui a pesé de tout son poids afin de maintenir voire, ressusciter le pacte secret signé entre Omar et les élites de l’Ogooué Lolo. Au-delà du renforcement de l’axe Haut-Ogooué-Ogooué Lolo, il y a aussi là, la récompense de la fidélité d’un homme vis-à-vis de son parti et de ses idéaux. Une telle résilience est appréciée par les tenants de l’ordre.
La venue d’Ali et ses décisions politiques, jugées à l’emporte pièce, ajoutée à la méconnaissance des jeunes qui l’entourent quant au « fonctionnement » du pays, ont rendu plusieurs « caciques » dubitatifs quant à l’avenir. Un terme revient chaque fois comme une antienne, « les amateurs ». Cette expression a été lancée pour la première fois en 2010 par Mba Obame qui considérait le premier gouvernement d’Ali de « Gouvernement d’amateurs ». La réponse est donnée par un observateur averti de la politique gabonaise qui a affirmé récemment que « Ce petit est arrivé et a voulu tout chambouler ! Ça ne se passe pas comme ça ! Ce qui lui arrive aujourd’hui est la conséquence de lui-même. »,
Un éminent anthropologue de l’UOB qui a gardé l’anonymat, parlant de la gouvernance gabonaise affirme que « Omar Bongo fonctionnait avec deux pôles ésotériques. L’un en relation avec la franc-maçonnerie où il tenait toute l’élite administrative et politique. D’ailleurs, la plupart, sinon toute la nomenclature politique ainsi que la haute administrative émargeraient dans les différentes obédiences qui reconnaissaient un seul maître suprême : Omar. Le second pôle est en lien avec ses origines paysannes, villageoises, notamment les rites traditionnels dans lesquels il était également initié. Il pouvait ainsi se retrouver au milieu des ors et des écrins des agapes dans les palais et, le lendemain, se retrouver dans un Bandja, maculé de kaolin au corps et se coucher sur une natte. C’était aussi cela la complexité de l’homme. Ainsi, les ententes ou pactes qu’il signait avec certains hommes dont la plupart étaient des leaders de communautés, étaient en réalité des garants pour sécuriser et pérenniser son pouvoir. Ces alliances se faisaient sous le prisme de ces deux pôles ésotériques en fonction des contingences et des interlocuteurs. Or, le président actuel n’a pas pu ou su avoir le deuxième pilier de ce pouvoir, trop moderne peut-être ? Je crois que la tentative de récupération a été faite à travers son ancien directeur de cabinet Maixent Accrombessi à qui on affublait une certaine puissance mystique. Malheureusement, il n’était pas d’ici. Et la confrontation des « choses » venues d’ailleurs avec celles de notre terroir peut conduire à un clash, à une élimination ou, tout au plus à une neutralisation de l’une vis-à-vis de l’autre».
Ce qui est constant c’est la permanence des pactes dans le fonctionnement de la république. Mais, les acteurs de la politique ont su tirer avantage de ces liens incestueux multiformes ; marchés publics accordés aux proches sans appels d’offre, nominations aux hauts postes dans l’administration, passe-droits etc. Toutes choses qui plombent gravement le fonctionnement de la république et de ses institutions. Ces forces invisibles tapies dans toutes les strates de la république, la fragilisent et se présentent comme un Etat dans un Etat. Un ancien premier ministre, Jean Eyeghe Ndong pour ne pas le nommer, confronté à cette nébuleuse, n’a pas hésité à dire qu’il y a, au sein de notre administration des Directeurs Généraux plus puissants que les ministres voire, le Premier ministre.
Peut-on lier le silence actuel des hommes politiques à ce phénomène décrié ? Y a-t-il un dégel au pont de laisser les acteurs de la société civile prendre le relais des politiques ? Un consensus s’est-il installé de fait qui expliquerait l’apaisement et l’omerta actuels de l’opposition? Seul, l’avenir nous le dira. Une chose est pourtant sûre, tous ou presque semblent s’être donnés le mot. Celui d’un dégel des rapports de force qui laisserait Ali terminer son (dernier) mandat, tant sa santé chancelante ne joue pas en sa faveur pour lui donner une once de chance de revenir en 2023. Mais, gare à cette peau de l’ours vendue sans l’avoir tué.