Entretien avec François Nzigou Nzigou sur les mécanismes de financement de l’économie verte.

Cet entretien avec François Nzigou Nzigou porte  sur les mécanismes de financement de l’économie verte en Afrique Centrale et les raisons du retard de la sous-région sur le plan économique et social malgré son potentiel énorme sur les ressources naturelles.

 

Au niveau de la CEEAC, l’économie verte peut se définir comme un ensemble des activités économiques traditionnelles et modernes liées directement ou indirectement à l’exploitation du potentiel économique des ressources naturelles (eau, roche, sol, biodiversité, vent, soleil, etc.) et des déchets en lien avec la protection de l’environnement pour assurer :  un développement économique des Etats ;  un développement durable des entreprises ;  une amélioration des conditions de vie des populations ; une création durable d’emplois ; une gestion durable de l’environnement sans production de CO2 ; une valorisation des savoir-faire traditionnels et un partage équitable des ressources.

C’est un outil d’intégration sous-régionale pour la valorisation socioéconomique, écologique et culturelle des ressources naturelles de l’Afrique Centrale. De surcroit, à travers la création d‘emplois dans les nouveaux secteurs (green), elle vise une répartition plus équitable des retombées positives de la croissance, et ce, afin d’améliorer les conditions de vie des populations pauvres. D’ou l’intérêt de s’intéresser et de mettre en exergue des politiques liées à cette économie alternative, mais surtout qui répond à notre identité.

Quelles sont les missions de la CEEAC dans la promotion et le développement de l’économie verte en Afrique Centrale ?

Nous ne pouvons pas donner les missions de la CEEAC dans ce domaine sans pourtant faire une rétrospective sur son histoire, les Etats membres et ses missions, même si on ne parle pas pour dans cet entretien des institutions qui la compose.

En effet, le traité instituant la CEEAC fut signé en octobre 1983 à Libreville et, entra en vigueur au mois de décembre 1984.Du fait des multiples crises internes intervenues dans certains Etats membres, la CEEAC a connu une période de cessation d’activités de 1992 à 1998.Au cours de cette dernière année, les Chefs d’Etats et de Gouvernement ont décidé de relancer les activités de la CEEAC.

La CEEAC comprend dix Etats membres : la République d’Angola, la République du Burundi, la République du Cameroun, la République Centrafricaine, la République du Congo, la République Démocratique du Congo, la République Gabonaise, la République de Guinée Equatoriale, la République Démocratique de Sao Tome& Principe et la République du Tchad.

Suivant l’article 4 du traité, l’objectif fondamentale poursuivi par la CEEAC concerne la promotion et le renforcement d’une coopération harmonieuse et un développement dynamique, équilibré et autoentretenu dans tous les domaines de l’activité économique et social, en particulier dans le domaine de l’industrie, des transports et des communications, de l’énergie, de l’agriculture, des ressources naturelles etc.

A partir de 2007, les instances de la CEEAC ont identifié trois axes prioritaires pour mener à bien leur mission dans la perspective du développement économique et social de la sous-région à savoir :

La paix et sécurité, vous savez que sans la paix et sécurité, nous ne pouvons pas faire de l’économie même si c’est l’objectif final ; Les infrastructures et communication notamment les routes car sans les routes par exemple, on ne peut pas déplacer les produits. C’est donc quasiment la base des échanges économiques ; L’Environnement et gestion des ressources naturelles qui est l’identité de l’Afrique Centrale. Parce que quand vous avez le premier bassin forestier tropical en Afrique, le deuxième au monde après l’Amazonie, vous avez le premier réseau hydrographique en Afrique, plusieurs minerais, c’est votre identité, votre culture et je pense que c’est pour cette raison que la CEEAC a retenu cet axe pour orienter les activités des pays membres.

Quels sont les avancées des pays de la CEEAC dans le domaine de l’économie verte ?

Je crois que l’Afrique Centrale est très avancée en matière des politiques de l’économie verte en Afrique. Il est important de rappeler que l’exploitation économique des industries extractives est à la base de la croissance économique actuelle de la sous-région. Et il est important de signaler que cette croissance ne créée pas d’emplois. C’est ainsi que les institutions internationales comme solution proposent aux Etats membres de diversifier et de transformer structurellement leurs économies, notamment l’économie des ressources naturelles. Conscient  de ce paradoxe, c’est-à-dire riche en ressources naturelle et pauvre sur le plan économique et social, le secrétariat général de la CEEAC a mis en place un certain nombre d’outils pour contribuer à la diversification de l’économie de l’Afrique Centrale et une croissance verte via la création de plus d’emplois et l’amélioration des conditions de vie des populations.

Le système de l’économie verte en Afrique Centrale initié en 2010 au secrétariat général de la CEEAC et approuvé en 2012 à Brazzaville par les Ministres de la CEEAC en charge de l’économie forestière du développement durable et des ressources naturelles. Le système de l’économie verte représente à la fois une vision, un outil et une approche pluridisciplinaire et multisectorielle qui vise à concilier la gestion des ressources naturelles et le développement socio-économique des Etats membres, le développement des entreprises, la création d’emplois et l’amélioration durable des conditions des populations en Afrique Centrale dans l’esprit des résultats de la Conférence de Rio + 20.

Le système de l’économie de l’Artisanat et des petites entreprises. Dès qu’on parle de l’artisanat, on se rend compte que c‘est quelque chose de naturelle, c’est notre identité en utilisant tout ce qui se trouve autour des populations notamment dans le secteur forestier, à l’exemple des produits forestiers non ligneux (produits qui sont dans la forêt, mais qui sont différents du bois. Le Koumous, les chenilles, la canne à sucre, le palmier à huile etc.

Et le système de l’économie des savoir-faire Traditionnelle, qui vise à valoriser tous les produits traditionnels en produits innovants qui peuvent être transformés et être vendus dans la sous-région et au-delà de la sous-région.

Quels mécanismes de financement les pays de la CEEA ont mis en place pour promouvoir ses trois outils ?

Un peu d’histoire pour retracer la trajectoire de la sous-région, mais pas trop.

En 1983, lors de la création de la CEEAC en remplacement de l’UDEAC, les chefs d’Etat avaient déjà pensé à un outil financier. Tout simplement parce qu’ils savaient qu’ils ne pouvaient pas gérer durablement leur écosystème ou  gérer durablement leur patrimoine naturel de l’Afrique Centrale sans avoir un outil financier efficace. C’est ainsi qu’ils ont pensé au Fonds pour la Coopération au Développement, mais il n’a jamais vu le jour pour des multiples raisons. C’est pour cette raison que je voulais rappeler que nous n’avons pas d’instruments financiers efficaces en Afrique Centrale pour accompagner les petites et grandes entreprises qui veulent se lancer dans le secteur de l’économie verte, parce qu’il y a le marché traditionnel bancaire qui est fermé pour faute de garanties. Conscients de ce manque, depuis 2010, des réflexions ont été menées par des experts des pays membres de la CEEAC, annonce au Forum International sur les Peuples Autochtones d’Afrique Centrale (FIPAC), et à la première édition du Forum International sur le Green Business de Pointe Noire. En 2015, les Chefs d’Etat  signent plusieurs décisions favorables au développement de l’économie verte dont la Décision N°27/CEEAC/CCEG/XVI/15 du 25 mai 2015 portant création du Fonds pour l’Economie Verte en Afrique Centrale. Et en 2016, il y a eu le  lancement du processus de recrutement du personnel affecté à l’UD-FEVAC (Coordonnateur, Expert économie verte, Expert juriste, Expert financier et Expert marketing et communication.

Quel est le fonctionnement du fonds pour l’économie verte en Afrique Centrale ?

Je ne peux parler du fonctionnement du FEVAC, c’est-à-dire du Fonds pour l’Economie Verte en Afrique Centrale sans parler des objectifs, de ses domaines d’intervention, des ressources du fonds et enfin, des modalités et zones d’intervention.

En effet, le fonds pour l’économie verte en Afrique Centrale a pour objectif de recueillir les ressources mobilisées auprès des contribuables et investisseurs, en vue du financement de la mise en œuvre des politiques, programmes et projets concourant au développement et à la promotion de l’économie verte en Afrique Centrale. Ce fonds intervient dans les domaines de l’environnement et de la gestion des ressources naturelles inscrit notamment dans les différents outils  (politiques générales en matière d’environnement et de gestion des ressources naturelles, du plan de convergence de la COMIFAC, politiques générale intégrée régionale de l’eau, politiques prioritaires des Etats, des entreprises et des populations.

Les ressources du fonds proviennent notamment des apports des Etats membres, des apports des partenaires financiers, des ressources de la CEEAC au titre de la contribution Communautaire pour l’intégration (CCI), des mécanismes financiers nouveaux et internationaux de l’économie verte, des dons et legs, des souscriptions au fonds, des intérêts reçus sur les prêts qui seront consentis et des produits générés par les placements. En gros, les sources de financement du fonds regroupent (contribution des Etats membres, dotation initiale des Etats membres, dons et ligne de crédits des bailleurs de fonds, mécanismes financiers nouveau et internationaux de l’économie verte et les placements des Etats membres).

Je tiens à rappeler que le montant total proposé pour financer la phase de démarrage est estimé à 20 milliards de FCFA reparti en quatre années.2 milliards de FCFA pour la première année à titre de dotation initiale des Etats ; 10 milliards de FCFA pour la deuxième année, 4 milliards de FCFA pour la troisième année et 4 milliards de FCFA pour la quatrième année représentant les contributions des Etats membres.

Force est de constater que plusieurs pays membres ne versent toujours pas leurs contributions comme prévu. Donc, il est difficile de promouvoir un tel secteur qui sera le vrai moteur de la croissance économique de l’Afrique Centrale.

Aujourd’hui, la problématique est celle de savoir comment passer à un capital naturel énorme au capital productif ou économique ? Et cette question est valable pour toute l’Afrique Subsaharienne d’autant plus que le potentiel naturel est reconnu. C’est d’ailleurs, pourquoi on qualifie cette zone de l’Afrique de scandale géologique et d’autres de malédiction des ressources naturelles.

L’Afrique Centrale est très riche en ressources naturelles mais très pauvre sur le plan économique et social par rapport à d’autres zones d’Afrique, Que pensez-vous de ce paradoxe ?

Si par exemple, je prends le cas de la zone CEMAC. Des institutions ont été mises en place, quelques petits progrès ont vu le jour, on a mis un certain nombre d’outils, des instituts de recherche, des écoles de formation des douaniers, mais on est néanmoins dans l’impasse. Pourquoi ? Tout simplement parce que les institutions mises en place, beaucoup ne sont pas fonctionnelles par un manque de volonté politique.

Il y a aussi le problème de la responsabilité des personnalités qui gouvernent cette institution, des vraies décisions politiques par des vrais Hommes politiques.

Si vous regardez les programmes, les projets de l’Afrique Centrale, vous verrez que les idées sont présentes voire bonnes, mais il y a un manque de volonté politique. Lorsque vous vous fixez des objectifs, il faut se donner les moyens de les atteindre sur le plan économique. Lorsqu’on regarde tous les classements des institutions internationales, on se rend compte que l’Afrique Centrale est le dernier du peloton par rapport à d’autres zones de l’Afrique. Et pourtant, cette zone recouvre des richesses énormes comme vous l’avez dit.

Sur le plan économique, c’est des économies qui ne sont pas fiables et viables, donc difficile d’échanger entre elles. C’est des économies qui sont basées sur l’extraction abusives des matières premières, donc qui ne sont pas diversifiées même si on peut remarquer aujourd’hui quelques recettes hors pétroles et minerais qui commencent à prendre une part importante dans le PIB de certains pays de l’Afrique Centrale. Là encore, le PIB n’est pas un indicateur fiable car il retrace juste l’aspect économique d’un pays et non l’aspect social et celui de la gestion saine des ressources naturelles d’un pays. Les échanges commerciaux dans la sous-région sont extrêmement faibles. Je ne parlerais pas de la carence institutionnelle, mais plutôt de la mauvaise gouvernance qui freine les investissements directs étrangers, mais paralyse également l’essor des PME/PMI locales qui sont à la source de la croissance économique et de la diminution du chômage dans un pays.

Et le dernier point qui freine le développement de l’Afrique Centrale, c’est le problème l’intégration et la libre circulation des biens et des personnes.

Sans vous coupez, on se souvient que deux pays de la CEMAC ont refusé d’appliquer l’accord de la libre circulation des personnes, que pensez-vous ?

C’est une peur inutile. Croire aujourd’hui que seul, on peut s’en sortir, mais aussi et surtout de croire qu’on sera envahit par d’autres. On fait le jeu de la main invisible qui ne  veut pas d’une sous-région unie. Le premier et deuxième sommet de la CEMAC après l’effondrement de leurs économies suite à la chute du prix du baril de pétrole montre que les pays de l’Afrique Centrale peuvent travailler ensemble dans le souci de promouvoir et de développer la sous-région. Je comprends qu’ils ont un outil qu’ils ne maitrisent pas, qui est l’instrument monétaire, mais ils peuvent réaliser des projets communs pour être plus fort sur la scène internationale. C’est une décision politique, il suffit qu’ils mettent un cadre juridique et réglementaire pour encadrer leurs investissements, c’est-à-dire qu’ils peuvent décider de financer les projets communs comme les routes, l’électrification au prorata de leur PIB. Ils peuvent créer un Organisme qui permet de vendre leurs matières premières ensemble en sachant la quantité produite par chaque pays. On pourra appeler cette institution l’Organisation des pays pétroliers de l’Afrique Centrale (OPPAC) pour mieux discuter les prix du baril de pétrole par exemple. Le Gabon par exemple, est le deuxième producteur de Manganèse au monde et peut devenir le premier producteur s’il se donne les moyens de sa politique.

Vous savez, l’Afrique est le seul continent qui porte 88% des réserves énergétiques et minières de la planète, regorge 80% des matières premières stratégiques dont le monde a besoin pour l’industrie .Mais c’est aussi le seul continent ou on empêche les africains de créer, de transformer ses propres matières sur place. Ça se voit plus en Afrique Centrale.

Pendant que l’Afrique de l’Ouest est au niveau des discussions sur comment sortir du FCFA, en Afrique Centrale, on est encore sur les négociations de l’intégration sous-régionale, c’est un énorme retard.

Que faut-il faire alors ?

Je pense primo qu’il faut une expansion commerciale sous-régionale en assurant les critères de la qualité des réglementations nationales, des systèmes sociaux, des systèmes éducatifs, des capacités d’innovation, de la promotion de l’entreprenariat. Les pays qui s’en sortent sont ceux qui ont réussi leur système de protection sociale. Il faut que les dirigeants, la société civile, la population comprennent que l’enjeu de notre ère n’est ni les concepts de démocratie, de développement, de pauvreté, de limitation des mandats, mais plutôt de l’économie. L’économie est centre de tout. Si la Chine est devenue la première puissance économique, ce n’est pas par les concepts, mais plutôt par la théorie de travail, elle n’a pas emprunté toutes les théories financières et de développement, mais s’est lancée plutôt dans le travail technologique, d’innovation, entreprenarial et s’assoit aujourd’hui, au milieu des géants mondiaux.

L’économie que j’appelle la prospérité équitablement repartie est au- dessus de toutes propositions conceptuelles de l’oligarchie financière. La monnaie est un instrument capital pour le développement d’un pays. Aucune théorie économique ne peut solutionner l’esclavage moderne que souffrent les pays de zone Franc. Que ça soit sur le libre marché  d’Adam Smith ou l’intervention de l’Etat de John Maynard keynes. Aucune de ses théories ne rentre dans le contexte de la zone franc.

Par exemple lorsqu’une économie est en difficulté, l’Etat intervient à travers deux outils (monétaires et budgétaires). Le Monétaire, via sa Banque Centrale, soit de créer la monnaie pour financer l’économie via le marché interbancaire et permettre que les banques commerciales octroient le crédit aux agents économique notamment aux agents à besoin de financement. Dans le cas présent, tout est impossible car aucune banque centrale ne bat  monnaie dont les Etat membres ont besoin. La BEAC est un simple intermédiaire. Entre la Banque de France qui décide de la politique monétaire et les pays de la CEEAC qui reçoivent les ordres de l’oligarchie financière.

Soit par la politique budgétaire. En quoi consiste la politique budgétaire ? Elle consiste à jouer sur le budget de l’Etat pour relancer sa croissance économique. Donc, l’Etat joue sur les dépenses publiques, les commandes publiques aux entreprises soit, jouer sur les impôts. Si vous baissez les impôts, vous augmentez  indirectement la consommation ou jouer directement sur le budget de l’Etat pour augmenter la demande globale.

Force est de constater la politique monétaire et budgétaire sont intimement liée, raison pour laquelle nos Etats restent asservis aux appuis budgétaires des institutions internationales.

Et enfin, il faut défossibiliser les économies de la sous-région et réorienter les investissements verts publics et privés pour une croissance inclusive.

François NZIGOU NZIGOU, originaire du Gabon.

Analyste financier et Economiste à l’institut des risques industriels, assuranciels et financier, travaux menés sur les politiques de financement de l’économie verte en Afrique Centrale en général et du Gabon en particulier (Lille – Poitiers).Responsable qualité chez CPS QUALITY (Lille-France).

Directeur Fondateur de Nzi Green Finance Consulting and Development (France).

Entretien avec François Nzigou Nzigou sur les mécanismes de financement de l’économie verte en Afrique Centrale et les raisons du retard de la sous-région sur le plan économique et social malgré son potentiel énorme sur les ressources naturelles.

Paul Essonne

Journaliste

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