Le Gabon est un pays d’Afrique Centrale d’à peine 1,8 millions d’habitants dont l’économie est basée sur l’extraction des matières premières telles (bois, l’or noir, manganèse, l’or, diamant etc…).sa croissance économique est basée sur la fluctuation de ses matières premières.
La trajectoire économique de notre pays nous permet de comprendre pourquoi on arrive là et si réellement nous avons une économie diversifiée, avant d’analyser scientifiquement les mesures d’austérité du gouvernement gabonais.
Cette trajectoire économique nous permet de faire une rétrospective sur l’économie Gabonaise caractérisée, par une exploitation abusive des ressources naturelles au profit de l’économie nationale, mais aussi et surtout au profit de l’extérieur. Le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et un Groupement de sociétés minières françaises créent la Compagnie des Mines d’Uranium de Franceville (COMUF) le 21 février 1958, pour mettre en exploitation le gisement d’uranium de Mounana dont les premiers indices avaient été mis en évidence en 1956. En 1957, création de la Compagnie minière de l’Ogooué (COMILOG) pour mettre en exploitation le gisement de manganèse de Moanda cinq ans après sa création, c’est-à-dire en 1962. COMILOG est une filiale du groupe français Eramet qui y détient 61 % des participations depuis 1997.
L’année 1963 est caractérisée non seulement par la création de la Société d’eau et d’électricité du Gabon (SEEG) pour la production d’électricité et la fourniture d’eau potable, mais également par la mise en exploitation du gisement de pétrole de Gamba, laquelle exploitation va placer le pays dans le concert des pays pétroliers du monde. Dans cet élan, le gouvernement crée l’Office des postes et télécommunications (OPT) en 1964, aujourd’hui devenue Maroc TELECOM, la Société gabonaise de raffinage (SOGARA) pour développer une industrie de raffinage locale en 1968, et la Société meunière et avicole du Gabon (SMAG) pour la production de farine, l’alimentation animale et l’élevage avicole en 1969,qui tient jusqu’aujourd’hui. Il faut souligner que même s’il y a un certain boom minier et pétrolier au Gabon dans la décennie soixante, son économie reste avant tout une économie forestière durant cette décennie.
En effet, pour certains auteurs comme Biraud, J. (1963), les recettes forestières directes et indirectes, engrangées grâce à l’exploitation des bois tropicaux, alimentent les trois quarts du budget de l’État en 1963.
Les années 1970, sont caractérisées par la période des grands travaux pour accompagner le développement de l’investissement public notamment avec l’ouverture de l’université nationale du Gabon en 1970, création de la Société Nationale du Bois du Gabon (SNBG) pour mieux réguler l’offre des bois tropicaux en 1971 et l’Etat détient 51% des participations. En 1973, démarrage du complexe du Transgabonais avec la construction du chemin de fer reliant la capitale politique (Libreville) à Franceville sur 630 km pour acheminer le bois et le manganèse sur Libreville. Cette même année, est marquée par l’inauguration du barrage hydroélectrique de Kinguélé. Le gouvernement met en service le Port en eau profonde d’Owendo, en banlieue de Libreville, en créant l’Office des ports et rades du Gabon (OPRAG). Il procède à la construction de certains axes routiers du pays en 1974. Dans le secteur de l’hydroélectricité, la centrale de Poubara est mise en service en 1975. Cette année correspond aussi à l’inauguration du port môle de Port-Gentil, qui se transformera en un port en eau profonde en 1980. Le secteur agroalimentaire n’est pas en reste, en 1977, création de la Société sucrière du Haut-Ogooué (SOSUHO) devenu aujourd’hui SUCAF, de même que la compagnie Agrogabon pour le développement de l’agriculture et l’élevage.
Cette même année est également caractérisée par la construction du stade omnisport, puisque le Gabon accueille les jeux de l’Afrique centrale. En vue de l’accueil du Sommet de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en 1977, une série de grands travaux est lancée dans la capitale; la compagnie nationale Air Gabon est également créée. La réalisation de tous ces chantiers a été rendue possible grâce aux deux booms pétroliers de 1973 et 1979 qui ont permis à l’économie gabonaise de migrer petit à petit vers la dépendance à l’or noir.
Les années 1980, se poursuivent avec l’inauguration de la Radio Panafricaine (Africa N°1) en 1981, avec le complexe HEVEGAB (culture de l’hévéa),aujourd’hui géré par le groupe OLAM, de l’université des sciences de MASSUKU en 1986,du système de télécommunication Equasat (Réseau domestique Gabonais de Satellite) en 1987,du port minéralier d’Owendo en 1988.Tous ces grands travaux vont conduire l’Etat Gabonais de contracter les emprunts auprès des institutions internationales pour financer les infrastructures d’aménagement et la balance de paiement. Analysons cette trajectoire sur deux facteurs connus dans le langage scientifique (endogènes et exogènes).
En ce qui concerne les contraintes endogènes, elles proviennent de l’explosion des dépenses publiques causées par un recrutement massif dans le secteur de la fonction publique pour assurer le fonctionnement des services de l’État ainsi que de la flambée des prix qui se situent à la source d’une inflation galopante dans le pays. Ces facteurs endogènes obligent l’Etat gabonais à signer un premier accord avec le Fonds monétaire international (FMI) en juin 1978. À la fin de 1984, la dette extérieure du pays représente près de 38 % de la production nationale. Par contre la principale contrainte exogène est la récession économique dans les pays développés les contraignant à réduire les importations des matières premières en provenance des pays en développement notamment le Gabon.
La combinaison de la baisse du baril de pétrole et l’épuisement temporel des réserves pétrolières gabonaises va obliger une fois de plus l’Etat gabonais à signer un second accord avec le FMI en décembre 1986. Contrairement au premier accord, le second est assujetti à un Programme d’ajustement structurel (PAS) que le pays devra exécuter. En dépit de l’endettement de plus en plus prononcé de l’économie gabonaise vis-à-vis de bailleurs de fonds extérieurs, la découverte du gigantesque du champ pétrolier de Rabi-Kounga en 1987 par Shell Gabon (700 millions de barils de réserves exploitables et récupérables) et sa mise en exploitation en 1989 vont donner un nouveau souffle à l’Etat gabonais, qui va accroître, une fois de plus, sa dépendance vis-à-vis de l’or noir.
Les années quatre- vingt et deux milles sont marquées par la dévaluation du Franc CFA. Cette dévaluation intervient le 11 janvier 1994 et vise un triptyque d’objectifs : le rétablissement de la compétitivité externe des économies de la Zone franc et le redressement des balances commerciales, la réduction des déficits budgétaires et la reprise de la croissance. Dans le cas de l’économie du Gabon fortement tributaire des importations, cette dévaluation a eu des répercussions sans précédent : les prix des produits importés, des biens de consommation courante et intermédiaire vont augmenter; les opérateurs économiques voient les coûts de leurs emprunts et de leurs intrants doubler, d’où la perte de leur compétitivité se traduisant par des mises à pied, une hausse du chômage, une perte du pouvoir d’achat des ménages et une paupérisation croissante d’une frange importante de la population, surtout en zone urbaine. Malgré les désagréments sociaux causés par la dévaluation, elle a tout de même permis de relancer la compétitivité de certains secteurs de l’économie comme la filière agricole (cacao, café, hévéaculture) et de la filière bois.
S’engageant avec les institutions de Bretton Woods notamment avec les conditions du FMI, le Gabon se lance dans une vague de privatisation d’entreprises publiques, des fleurons de l’économie nationale, financées parfois à coup d’emprunts. La SEEG est privatisée en société anonyme et reprise par le groupe français Veolia Water (Vivendi) en 1997; l’Office des chemins de fer Transgabonais (OCTRA) en 1999, puis en 2003, au profit de la Société d’exploitation du chemin de fer Transgabonais (SETRAG), filiale de la COMILOG; l’OPT est disséquée en deux identités distinctes, « Gabon Poste » et « Gabon Télécom », en 2001 et en 2006. « Gabon Télécom » est privatisée au profit de Maroc Télécom, lui-même filiale à 51 % du groupe fiançais Vivendi; Agrogabon, Hévégab et le ranch Nyanga sont privatisés et leurs actifs appartenant à l’État gabonais sont repris par SIAT, un groupe belge.
Parallèlement, la production du pétrole atteint son pic avec 18 millions de tonnes en 1997 et la production de manganèse va crescendo. Mais la crise financière asiatique cause la baisse de 30 % des prix du pétrole de 1997 à 1999 et entraîne la dégradation du solde des transactions courantes de 10 à 25 % du PIB nominal du groupe des pays exportateurs du pétrole dont fait partie le Gabon (Harris, 1999).
Au regard de ce qui précède, force est de constater que l’économie gabonaise a été marquée durant les trois dernières décennies par des efforts du gouvernement à développer des infrastructures permettant d’exploiter les nombreuses ressources naturelles du pays. Au lendemain des indépendances, le Gabon avait une économie forestière et minière qui s’est transformée pour devenir une économie pétrolière fortement dépendante de la rente de l’or noir. Cette économie longtemps dominée par des monopoles aussi bien privés que publics, ces derniers ont été peu à peu démantelés par les privatisations (ou cessions d’actifs) sous l’égide des Programmes d’ajustement structurel (PAS) des institutions de Bretton Woods.Cette trajectoire économique du Gabon appelée aussi « économie de rente » conduit à nous interroger sur le paradigme économique à prendre aujourd’hui. Pensions nous vraiment que tout pouvait aller avec une économie reposant sur les fluctuations du cours de baril de pétrole, d’une économie dont le premier employeur est la fonction publique et, dont les formations ne correspondent pas au potentiel patrimonial de notre pays ?
Pourquoi mettre en place les mesures d’austérité dans une économie longtemps spécialisée dans l’extraction des matières premières et dont le premier employeur est la fonction publique ?
Les mesures d’austérité aujourd’hui proposées par le gouvernement gabonais sont facteurs du manque de vision des décideurs politiques depuis les trois dernières décennies. Pour des décideurs politiques, la fonction publique ne devrait pas être l’employeur principal pour une population de 1,8 d’habitants.
Le manque de création d’emploi dans les secteurs primaires et tertiaires comme l’agriculture, la pêche, l’entrepreneuriat ont favorisé une demande croissante dans les administrations publiques.
Dans les années 60 et 70, le secteur agricole gabonais par exemple participait à hauteur de 15% dans le PIB. Mais le boom pétrolier et minier ont favorisé l’exode des mains vaillants pour intégrer les secteurs rentables à court terme. Mais ce changement de paradigme n’est qu’une erreur ou le manque de vision des gouvernements antérieurs.
Nombreuses ont été des mesures strictes du FMI à l’égard des pays demandeurs des fonds, mais les conditions du FMI, beaucoup le savent : réduire le train de vie de l’Eta et c’est tout à fait normal. Là, encore, il faut éviter l’hypocrisie intellectuelle dans notre pays.
Masse salariale et déficit budgétaire !
La création des agences interministérielles a fortement explosé les dépenses publiques dans notre pays le Gabon. Nous ne pouvons avoir deux institutions étatiques qui ont les mêmes missions (Ministères et Agences interministérielles). D’ailleurs, la conséquence est démontrée par le manque de visibilité des budgets gérés par ces agences et n’ont le droit de justifier leurs dépenses devant la première chambre. Alors, la mesure de réduire le nombre de ces agences est louable.
Les mauvais choix d’investissement de 2009 jusqu’aujourd’hui ont également explosé le budget de l’Etat de plus de 1000 milliards de FCFA y compris des multiples New forum Africa qui n’ont pas eu de retour sur investissement. Et enfin, la mauvaise gestion des finances publiques a accentué le déficit budgétaire de l’Etat. Ajouté à ces multiples points, comme je l’avais déjà annoncé dans ma première contribution parue le 30 Avril 2018 dans journal le patriote et 7joursinfo. Pour un pays comme le Gabon, nous n’avons pas besoin d’autant de ministres et avais proposé qu’on passe de 44 à 25 ministres. Nous n’avons non plus besoin des ministres délégués etc. Le nombre des députés doit être réduit au maximum pour un pays qui compte juste 9 provinces. Mais pour un nombre pléthorique que notre Assemblée Nationale avait, on a préféré alourdir des charges supplémentaires, c’est-à-dire plus de 120 députés. Non seulement, plusieurs députés passent tout leur mandat à l’hémicycle sans rien dire et sans rien proposé. De même pour les sénateurs. Là, encore heureusement que ma contribution à la sortie de la crise du Gabon a été suivi sur la réduction du nombre de sénateurs, même s’ils n’ont pas rendu à césar, ce qui est à césar.
Le point qui n’a jamais été soulevé dans notre pays et que j’avais déjà soulevé dans ma première contribution de sortie de la crise, est la sécurisation des fonds qui sortent régulièrement du Gabon dans les établissements de crédits installés dans notre pays. Le Gabon est l’un des seuls pays au monde où l’on n’impose pas aux opérateurs économiques d’avoir un compte bancaire. Cela veut dire que la fuite des capitaux se fait sans problème d’autant plus qu’il manque de contrôle.
En ce qui concerne les mesures d’austérité du gouvernement gabonais du 21 mars 2018, il faut dire que pour ma part, certaines mesures sont bonnes pour assainir les finances publiques de notre pays.
Y a-t- il un gabonais ou une gabonaise qui ne veut pas voir le nombre des ministres réduit dans notre pays, des députés qui était déjà pléthorique, mais qui vient d’être revu à la hausse par manque de visibilité, des sénateurs, des institutions étatiques, des agences qui ne rendent compte à aucun parlement, que les charges de fonctionnement soient supérieures à l’investissement public, des dépenses abyssales incontrôlables? Non !
Il faut que les décisions du gouvernement prises depuis le 21 Mai 2018 soient accompagnées par des politiques sérieuses. Si on réduit la masse salariale dans la fonction publique, c’est-à-dire qu’on crée un chômage supplémentaire, mais comment gérons nous ce chômage? Quelles seront les mesures d’accompagnement du gouvernement gabonais d’autant plus que le secteur privé est encore embryonnaire, comment refinancer les activités des PME/PMI/TPE qui créent véritablement la richesse nationale vu la dette qui avoisine près de 4772 milliards de FCFA? Mais, avec le rebond du cours de baril de pétrole qui approche les 80$, pourquoi l’Etat n’arrive toujours pas à réduire sa dette intérieure pour relancer l’économie du pays ? Toutes ses questions méritent des réponses de la part du gouvernement.
Il faut que l’Etat crée les conditions d’une croissance inclusive comme objectif dans notre pays, une croissance qui est tirée par les secteurs générateurs d’emplois, l’inclusion par la création d’emplois. Il faut alors que l’Etat travaille pour créer un environnement pour l’éclosion de l’entreprenariat. Promouvoir l’entrepreneuriat dans notre pays permettrait de rendre autonome les populations, permettra d’accroitre et de solidifier le secteur privé qui est encore embryonnaire dans l’économie du pays, même s’il ya quelques réussites.
Nombreux sont ceux ou celles qui se posent la question de savoir comment développer l’entreprenariat avec le manque de soutien des pouvoirs publics ou avec un taux de bancarisation aussi faible dans notre pays envoisinant près de 5%?
Pour ma part, le développement de l’entreprenariat n’est pas soumis directement au manque de financement dans notre pays. Lorsqu’on parle de l’entreprenariat, il faut préciser qu’il y a plusieurs dimensions.
La première dimension est de se dire est ce que l’entrepreneur a un climat des affaires qui lui soit propice pour développer son activité, quel est le degré de corruption, le degré des barrières administratives qui se mettent sur sa voie pour qu’il puisse créer son entreprise?
La deuxième dimension est de se dire est ce que l’entrepreneur potentiel a des données qui lui permettent de créer son plan d’affaires pour qu’il soit bancable ? Dans beaucoup des cas, la réponse est négative. Nous n’avons pas suffisamment des données pour permettre à un jeune entrepreneur ou un entrepreneur potentiel de faire un business plan afin qu’il soit financé, donc ce n’est pas forcément un problème de financement qui freine le développement de l’entreprenariat dans notre pays, même s’il fait partie des facteurs de ce frein.
Le véritable problème du Gabon va du cadre législatif et réglementaire qui est la face cachée .La face visible est celui du financement dont on pense être tous les maux.
Pour revenir au vif de notre sujet, lorsqu’un pays est en crise, il est tout à fait normal que les décideurs politiques fassent des reformes desquelles, tout citoyen doit être concerné, pas uniquement une partie de la population. La réduction du train de vie de l’Etat signifie que certaines charges doivent être réduites, le chef de l’Etat et tous les membres du gouvernement doivent montrer l’exemple en diminuant leurs traitements. Si ces conditions ne sont guère respectées, il sera difficile de convaincre les agents publics à faire des sacrifices que les responsables politiques n’arrivent pas à faire. Les 18% de revenu de notre pétrole reversé à la famille du chef de l’Etat peuvent être un nouvel instrument financier pour créer la richesse dans notre pays.
En effet, les mesures d’austérité proposées par le gouvernement sont pour ma part bonnes pour le développement inclusif de notre pays, mais il faut que tout le monde fasse le sacrifice, il faut accompagner ses mesures par des politiques incitatives qui permettront aux agents publics de ne pas ressentir un poids sur la réduction de leur avantage. Là, je parle du prix des biens et services. L’Etat doit jouer son rôle de régulateur notamment en réformant les tarifs douaniers pour éviter l’inflation. Dans le cas contraire, les mesures d’austérité vont causer un désastre socioéconomique dans notre pays.
Pour terminer, il faut qu’on tire une leçon de cette crise qui perturbe le quotidien des gabonais et gabonaises, la variable quantitative de la gouvernance qui n’est autre que la gestion des finances publiques doit être gérée avec force et détermination et avec plus de sérieux par nos responsables.
François NZIGOU NZIGOU, président de FNN Business Continental.
Originaire du Gabon, actuellement en instance de soutenance du doctorat en Sciences Economiques de l’Institut des Risques Industriels, Assurantiels et Financiers à l’université de Lille1 (France), et travaille sur le Potentiel socioéconomique et Politiques de Financement de l’Economie Verte des pays de la CEEACC : Cas du Gabon. Il est titulaire d’un Master I en Sciences Commerciales, option finance d’entreprise à l’université Abderrahmane Mira de Bejaia (Algérie), d’un Master II en Gestion Financière et espace Européen à l’université de Lorraine (France), du Master II en Micro Finance et développement des entreprises à l’université de Lorraine (France).
Analyse perspicace prenant en compte les aspects économique et sociale du pays concernant les mesures d’austérités que le gouvernement doit sans analyser et voir ses impacts néfastes sur la croissance économique.