Elles sont jeunes, belles, noires ou métisses, élèves, étudiantes ou au chômage pour certaines et, pour d’autres, fonctionnaires ou en activité. Elles ont décidé d’arrondir leurs fins de mois parfois difficiles en pratiquant le plus vieux métier du monde, la prostitution via les réseaux notamment wattsapp. Plongée au cœur de ce monde où le sexe et l’argent sont des rois.
Pretty pimentaire, Charlenne la lolo, Isabelle la foufoune. Elles ont des noms en relation avec leurs activités de sexe. Gabonaises, elles écument les réseaux sociaux et vantent, dans des photos sensuellement assumées leurs charmes. Généralement jeunes et dans des postures lascives à faire réveiller un pape, elles disent partager du plaisir à tous les hommes, amateurs de bonne chair et qui sont en demandes.
Discrètes, les administratrices de ces groupes se font contacter via wattsapp, seul réseau social qui autorise des photos pornographiques ou de nue. Facebook, le réseau étant le plus utilisé par le plus grand nombre, cette plateforme sert d’appel où les activités du groupe sont mentionnées, photos à l’appui, avec des numéros wattsapp qui invitent les clients à la recherche du plaisir.
Le groupe « Baise à gogo » dit avoir une centaine de filles réparties dans toutes les provinces du Gabon et accessibles d’un simple click. Tout comme PrettyPimentaire, une gabonaise qui vit à Libreville, administratrice d’un groupe de filles accessibles à la demande dans toutes les provinces du Gabon. Le phénomène a pris une ampleur sans précédent avec toutes les catégories de filles : noires, métisses, blanches (certains groupes) et des caractéristiques affirmées : grosses, minces, jeunes, matures, grosses fesses etc. Toutes ces caractéristiques sont mentionnées dans un catalogue que l’administratrice du groupe vous envoie après un abonnement au groupe. Les forfaits d’abonnement varient d’un groupe à un autre entre 2500f Cfa et 5000f. Cet argent, est envoyé par airtel money à travers un numéro de téléphone de l’administratrice.
Ensuite, il faut donner ses besoins sexuels : chat, pipe, sodomie, partouze afin de fixer un tarif et le temps. Les montants varient en fonction des types de rapports sexuels : 20, 30 jusqu’à 60.000f la passe et le lieu est à la convenance du client : domicile, hôtel, motel, plein air etc. Suit alors le catalogue qui présente un nombre incroyable de filles, voire de très jeunes filles dans des positions suggestives.
Dans le cadre de notre enquête, nous avons rencontré Marine(nom d’emprunt), étudiante, qui explique comment elle en est arrivée-là. « J’ai 24 ans. J’ai commencé alors que j’étais dans un lycée de Port-Gentil. C’était des placements. Lorsqu’il y avait des manifestations dans la ville, on cooptait certaines filles qui étaient belles, avec un potentiel physique, du cul comme on dit, surtout quand vous avez le teint du bonheur comme moi(très claire, presque métisse). Les montants étaient arrangés dès le départ et, en un week-end, je pouvais me retrouver avec 150 ou 200 mille francs. Téléphones, sacs, chaussures, je m’offrais tout. Et quand tu es dans un lycée, ça attire l’attention des autres filles qui t’envient et toi aussi tu les cooptes. Donc, après mon bac, je rappelle que j’ai eu les sujets avant, je suis venue ici à Libreville, à l’UOB, je suis entrée dans deux groupes de baise, par le canal des gens que j’ai connues dans le placement au lycée. La plupart des administrateurs de groupes sont aussi celles et ceux qui font dans les placements. Mais la cible, c’est les lycéennes et les collégiennes hyper jeunes. Personne dans ma famille ne connait mes activités, y compris mon gars, parce que c’est occasionnel. On peut t’appeler à tout moment pour un client, il faut être prête. J’ai toujours une tenue de rechange dans mon sac. »
A la question du danger et le risque de tomber sur un pervers, elle répond : « En toute activité, il y a des dangers. Mais c’est le risque à prendre. La seule peur de tous est de se retrouver avec les vendeurs de pièces détachées. J’avoue que le désordre qu’il y a ici à l’uob, avec des arrêts intempestifs de cours, me facilite les choses. »
Une autre, Angie la foufoune, presque la trentaine et mère de deux enfants donne les raisons de son activité : « Après deux échecs amoureux avec les deux hommes qui sont les papas de mes deux enfants,sans travail, je me suis lancée.Je me suis inscrite dans trois groupes de show. Et c’est aussi là que j’ai compris la priorité des gabonais. Je ne fais pas la morale, car moi-même je suis mal placée, mais quand je vois le rythme des sollicitations et les montants dépensés, je me pose des questions. En même temps, je me dis que nous les gabonaises, nous avons un problème. Car, lorsque je suis avec un client, il me parle de sa femme, de ce qu’il subit à la maison. J’ai d’abord pensé que c’était des motifs pour justifier leur présence avec moi, mais quand c’est plusieurs personnes qui te disent la même chose, on s’interroge. Les autres filles ont fait le même constat, du moins deux que je connais car, on ne se connait pas, mais c’est celle qui nous gère qui nous connait tous. Je ne connais même pas où elle habite, tout se fait par wattsapp, elle t’appelle et te donne le numéro du client, le montant est viré par airtel money après avoir pris son pourcentage, et le lieu de la rencontre. Je l’ai rencontrée une seule fois depuis un an, lorsqu’ona fait connaissance. Ce que j’aime le plus, ce sont les « missions », c’est-à-dire aller à l’interieur du pays en compagnie de conseillers ou des hommes des ministères. Et là, tu es dans la délégation et profite de ces heures de gloire. On nous appelle des escorts. Après des tournées et des réunions, le type est fatigué et tu dois le détendre à tout prix. Mais il ne faut pas s’attache, car il pourra faire de toi sa maitresse, sans plus. C’est du business, comme dit ma patrona( l’administratrice du groupe NDLR). Toutes les personnes que vous voyez à la télévision, soi-disant conseillers ou spécialistes de, lors des tournées ne sont pas toujours là pour les mêmes raisons hein ( rires). ).
Le coronavirus a rendu les choses difficiles, car la majorité des clients qui les sollicitaient, restent à la maison. Même si aucun contacte ne doit être gardé, la jeune mère des deux garçons a quand gardé des liens avec certains clients. Est-ce pour nouer des relations durables ? « Que peux-tu attendre d’un homme qui sait que tu te livres à d’autres hommes, en dehors de lui ? Il ne sentira pas en sécurité.»
Selon le sociologue Jean Claude EbeneNgoua, « Il ya une hyper sexualisation de la société gabonaise qui se justifie par le désir de plaire, d’être et d’affirmer aussi son identité. Car, les rapports sexuels sont aussi les lieux d’affirmation des identités dans une société où on ne reconnaît pas le mérite, les gens cherchent d’autres manièresde s’affirmer ou d’évacuer le stress. En même temps, qu’ils sont utilisés pour le gagne-pain, de même, c’est le lieu d’exultation certes, mais aussi un mécanisme de gestion du stresse. Et ces filles ont compris où se trouvait le filon. Car, notre société se modernisant de plus en plus comme les sociétés occidentales, elle hérite également et malheureusement de celle–ci, les mêmes avatars (stresse, chômage, peur du lendemain etc). C’est fini, les images honteuses des filles qui faisaient le bord de mer et dont la plupart était celles venues d’autres pays, aujourd’hui, ce sont nos sœurs, nièces, cousines qui sont à la manœuvre via les nouvelles technologies. Pis, elles sont de plus en plus jeunes. La moyenne d’âge est de 16 ans. Certaines sont pauvres, d’autres le font pour le fun, avoir le dernier téléphone, s’acheter des fringues de luxe, planer et être dans l’illusion de vivre avec tous les dangers. Notre société aussi est celle du paraître, du m’as-tuvisme. ».