Le Gabon dispose d’une diaspora formée, dotée de compétences diversifiées, et susceptible de jouer un rôle primordial dans son développement.
La preuve avec la Française Delphine Lecoutre, politologue africaniste et chercheure qui a déclaré sur RFI, à l’occasion de la publication de deux articles sur le site de l’Institut français des relations internationales (IFRI), et dans le bulletin FrancoPaix de l’Université de Québec au Canada :
« Si la Diaspora d’opposition gabonaise reste active en France avec slogan ‘’On ne lâche rien’’, c’est d’abord parce qu’elle profite d’un espace de liberté politique et civique qui n’existe pas au Gabon. Là-bas, l’espace politique et civique est extrêmement restreint et contraint.
Ils organisent des sit-in et des marches de la place du Trocadéro jusqu’à l’Ambassade du Gabon à Paris. Elles avaient lieu initialement toutes les semaines, elles étaient hebdomadaires, désormais elles sont mensuelles. Ces sit-in et ces marches sont aussi organisés en province. Ensuite, il y a des actions d’éclat qui sont menées par des petits groupes de Ntsameurs, qui est un dérivé du mot Ntsame en langue fang qui signifie désordre, bagarre, révolte. Donc, ces Ntsameurs mènent pacifiquement de véritables actions coup de poings. Elles prennent la forme de véhémentes interpellations des représentants de l’Etat gabonais qui sont signalés lors de leur passage en France.
Ces Ntsameurs occupent des lieux symboliques du pouvoir gabonais sur le territoire français. Ils ont même piétiné à plusieurs reprises le portrait du Président Ali Bongo à l’intérieur de l’Ambassade. Ils ont aussi envahi le célèbre hôtel particulier Pozzo di Borgo qui avait été acquis par l’Etat gabonais en 2010. Ce qu’ils veulent, ces Ntsameurs c’est opposé une violence symbolique ici en France, aux violences physiques et psychologiques des violations des droits humains exercés par le régime d’Ali Bongo en territoire gabonais.
Ce sont des contestations hybrides innovantes, c’est-à-dire des modes de contestation inspirés à la fois par les pratiques culturelles gabonaises, par les méthodes de protestation et de persuasion publiquement non violente, et par les techniques modernes de communication telles que les réseaux sociaux. A titre d’exemple, les sketcheurs kongosseurs, le kongosseur c’est un dérivatif du mot d’origine camerounaise qui signifie rumeur, commérage, ragot, et c’est très utilisé dans la culture gabonaise. Et ces sketcheurs kongosseurs utilisent donc le kongossa pour parodier de manière humoristique et satirique les agissements du régime gabonais, ils les tournent en dérision pour mieux les dénoncer.
Les discours sont souvent radicaux. Ils appellent souvent à l’insurrection populaire au Gabon. Ils adoptent des propos diffamatoires s’en prenant directement aux gens du régime, n’hésitant pas à parler de leur vie personnelles. Ils n’hésitent pas non plus à multiplier la diffusion de fake news, ce qui porte atteinte d’ailleurs à leur crédibilité. Et ils vont même jusqu’à dire qu’Ali Bongo est mort. A chaque fois qu’ils le voient à la télévision, ils disent que ce n’est pas lui, que c’est un sosie. D’autres sont persuadés qu’il est bel et bien vivant, mais ils posent tout de même la question de la vacance du pouvoir et interrogent sur qui dirige réellement le Gabon aujourd’hui. Tout ça tourne non-stop en boucle sur les réseaux sociaux.
C’est vrai, qu’on se trouve dans une véritable bulle médiatique. La Diaspora est très volubile. Elle a envahi l’espace des réseaux sociaux et des médias en attaquant le régime, d’ailleurs quelle gène énormément en termes de communication. Et ces réseaux sociaux sont regardés très activement au quotidien par les Gabonais qui se détournent des chaines de télévision nationale qu’ils considèrent comme biaisées en termes d’information.
Donc, toutes ces vidéos qui sont balancées, les live qu’ils diffusent au quotidien sur les réseaux sociaux ça apportent beaucoup de dynamisme à cette contestation politique, et ça auto-entretien une grande pression sur le régime. Et c’est vrai que tout ça à finalement un impact. Mais, il ne faut pas oublier que ce n’est pas eux qui mènent la lutte au quotidien. Eux, ils sont à l’abri derrière leurs ordinateurs, et ils ne prennent absolument aucun risque. Et ceux qui mènent la lutte, ce sont ceux qui sont au Gabon, ce sont ces organisations de la société civile qui posent des actions au quotidien même si celles-ci passent souvent en dehors des écrans radars de la communauté internationale. »
Cependant, il manque encore cruellement l’organisation de cette diaspora gabonaise en une entité dotée d’une conscience et d’une identité spécifiques en tant que communauté rattachée à une région d’origine, et de ce fait redevable, d’une manière ou d’une autre, des actions concrètes en vue de la réinvention du Gabon. Cette réinvention passe nécessairement par le développement d’une identité biculturelle, à même de tisser, de retisser et de raffermir à jamais de solides liens transnationaux et transgénérationnels avec le Gabon.